Gwenaëlle, de la passion pour la physique à celle des langues minoritaires

Gwenaëlle Lefeuvre, co-éditrice Lingua Français.

Gwenaëlle Lefeuvre est notre co-rédactrice de Lingua en français. Elle est physicienne, passionnée de lecture et défenseure des langues minoritaires. Gwen nous en dit plus sur elle-même dans cette interview.

Parle-nous un peu de toi, de comment tu as rejoint Global Voices et des étapes de ta participation au sein de GV.

Je cherchais des options de carrière alternatives pour un ami, lorsque je suis tombée sur un blog de traduction qui mentionnait GV. J'ai regardé, je me suis portée volontaire en tant que traductrice, et m'y voilà. Je traduis de l'anglais vers le français, mais j'essaie de lire dans d'autres langues aussi (pas toujours avec succès, cependant). L'année dernière, nos éditeurs Claire et Suzanne m'ont proposé de réviser les traductions sur notre site, et cette année, Eddie Avila [en] m'a finalement convaincue d'écrire sur les langues minoritaires. J'y passe des moments agréables !

Ton expérience de traductrice, d'auteure et de réviseuse a-t-elle changé ta vision du monde ?

Absolument ! J'ai toujours essayé de rester à jour avec ce qui se passe dans le monde, mais avoir accès à des informations dont personne n'a parlé m'a ouvert les yeux. Savoir ce qui se passe par exemple au Guatemala, au Sri Lanka ou au Japon a fait une différence dans la façon dont je conçois ma place dans le monde en tant que citoyenne. Le monde est devenu beaucoup plus grand et beaucoup plus petit en même temps, grâce à ces informations et aux membres que j'ai rencontrés (la plupart seulement virtuellement).

Ton travail à GV a-t-il une incidence sur ta pratique professionnelle ? Penses-tu que ton expérience à GV t'est utile dans d'autres domaines ?

GV n'a pas d'impact direct sur ma carrière professionnelle parce que mon domaine n'a rien à voir avec le journalisme ou l'activisme : je suis physicienne. Je travaille avec des choses et des machines, que je comprends très bien. Travailler avec GV m'aide à mieux comprendre les gens, à quel point nous sommes tous semblables, mais de différentes façons. Comme mon entreprise a des clients partout dans le monde et que je suis en contact avec eux, je suis maintenant plus prête à apprendre sur nos différences culturelles et comment montrer le respect et la politesse. Cela a fait une différence dans la qualité de leurs rapports avec moi, ce qui est très gratifiant.

Le traduction et l'édition m'ont aidée d'une autre manière : je suis une Française typique en ce sens que j'aime ma langue. Mais j'ai quitté la France il y a dix ans, et j'avais peur de perdre ma langue maternelle. Travailler avec GV est devenu la meilleure façon pour moi de garder mon français aussi correct et précis que possible. C'est difficile, mais j'aime ça.

Donne-nous un exemple de ta journée-type. Pourrais-tu également expliquer comment tu gères ton temps pour accomplir toutes ces tâches, y compris ton travail quotidien ? Quelques trucs ?

La plupart du temps, j'ai une routine, principalement parce que j'ai un travail à plein temps. J'aime me lever tôt, mais j'aime aussi dormir, donc chaque matin c'est une compétition entre ces deux besoins opposés ! Si je parviens à me lever tôt, j'écris un peu, puis je vais au travail. Je me promène le long du front de mer avant de prendre le bus pour aller au travail. C'est ma façon la plus agréable et tranquille de commencer ma journée.

Ma journée de travail (dans une entreprise de semi-conducteurs) est divisée entre travailler dans une salle blanche, seule ou avec mes techniciens, et sur mon ordinateur sur des projets avec des clients et des partenaires. Nous sommes une petite entreprise qui essaie d'apporter une technologie assez nouvelle au marché traditionnel, le travail d'équipe est donc très important et constitue également l'un des aspects les plus intéressants de mon travail.

Je parle souvent avec mes parents sur Skype dans le bus en rentrant à la maison et le reste de la soirée est “libre” : pour GV, des moments privilégiés avec mon mari qui travaille aussi beaucoup, déplacer nos affaires par-ci par-là dans notre appartement car nous sommes encore en plein dans notre projet de rénovation …

Trouver du temps pour GV et mes passe-temps favoris se résume au choix de me concentrer sur une tâche à la fois pour ne pas me sentir coupable envers toutes les autres choses que j'aurais du faire, ou pouvais faire et que je ne fais pas faites. Après tout, c'est une illusion que de croire qu'on peut faire plusieurs choses en même temps. Pour GV, je décide si je traduis, édite ou écrit chaque jour, je trouve cela plus efficace car je ne dois pas m'éparpiller.

Quelle a été ton expérience précédente en matière de traduction ? Est-ce que ta participation à GV est très différente de ce que tu avais fait auparavant ?

J'ai traduit un texte important seulement une fois, pour une amie travaillant sur une thèse. Elle devait lire de longues lettres manuscrites du début du 20ème siècle. Bien qu'elle comprenne assez le français pour en comprendre le sens, elle ne pouvait pas lire l'écriture manuscrite. Le style littéraire était très difficile à traduire, mais j'ai aimé lui expliquer les nuances culturelles de l'ancien français.

Alors, qu'est-ce que tu fais lorsque tu ne traduis pas ?

En plus de travailler et de déplacer des meubles dans mon appartement, j'adore bien trop de choses ! Apprendre des langues, danser, marcher dans la campagne et en ville, lire, discuter avec ma famille, rester en contact avec mes amis partout dans le monde, leur rendre visiter et découvrir de nouveaux endroits, maintenant écrire également. Je vais avoir un blog (sur les langues, bien sûr!) dans un mois, de sorte que cela me rendra plus occupée.

Décris-nous ton travail à Lingua et parle-nous de tes projets ainsi que de ta vision pour le site ? Comment le site français de GV va-t-il ?

Bien que j'aime vraiment la traduction et la révision des publications pour Lingua [fr] ma partie préférée est l'interaction avec notre équipe de traducteurs. Nous avons de si bonnes personnes à bord : elles sont toutes si accueillantes pour les nouveaux arrivants, désireuses de s'entraider sur n'importe quel problème linguistique ou technique. C'est un grand plaisir de faire partie de cette équipe et d'avoir l'opportunité de les voir s'améliorer en tant que traducteurs. Après avoir reçu la même générosité à mes débuts à GV, c'est à la fois excitant et plein d'humilité d'avoir la chance de restituer cette expérience.

Le site français se porte bien ! Grâce au dévouement et au dynamisme de ses membres. Maintenant, comme je l'ai déjà dit, ce que j'aimerais vraiment, c'est de le voir devenir célèbre ! Je crois que malgré les nouveaux défis qu'une reconnaissance plus large peut apporter, par la qualité des informations, celle de notre équipe d'auteurs et de traducteurs, il le mérite bien. Maintenant, atteindre cet objectif est un effort collectif, dont j'espère faire partie.

Pourquoi penses-tu que quelqu'un devrait lire GV en français ?

L'homme et la femme de la rue devraient lire GV en français pour la variété, à laquelle il ne pourrait que rarement avoir accès dans les médias traditionnels. Pour l'empathie et l'humanité des articles, parce que nous lisons beaucoup sur les querelles des politiciens, mais rarement sur la vie de chacun d'entre nous ; pour nous rappeler que nous partageons tous la même petite planète et que nos problèmes ne sont pas si différents.

Comment choisis-tu des publications à traduire en français et, en fait, pourquoi as-tu choisi de faire du bénévolat de cette façon ?

J'ai commencé par sélectionner des articles que je trouvais intéressants, je pouvais ainsi approfondir et en apprendre davantage sur un autre pays. Peu à peu, je me suis rendu compte que j'étais plus attirée par les articles sur les droits des femmes et sur les langues minoritaires, maintenant j'ai tendance à traduire principalement, mais pas exclusivement, sur ces sujets. Je pense qu'il est très important que le public francophone sache ce que les femmes affrontent dans tous les coins du monde et qu'il se rende compte que les langues minoritaires peuvent constituer un atout incroyable pour une population et ne doivent pas être traitées comme une responsabilité nationale (comme on fait en France, balayer et mettre la poussière sous le tapis).

Depuis que tu collabores avec GV, quelle est ton expérience la plus mémorable ?

Pas une en particulier, mais toute la communication avec la communauté GV, les rencontrer en ligne ou même mieux, en personne. J'ai eu la chance de rencontrer trois membres de l'équipe Lingua française à Strasbourg l'année dernière, y compris notre magnifique éditrice Suzanne, et un auteur afghan à Delhi plus tôt cette année. De plus, en mars, j'ai reçu un nombre incroyable de messages d'encouragement de l'équipe Lingua française lorsque je me suis présentée aux élections pour le conseil : je suis tellement reconnaissante pour leur confiance, c'est comme si j'avais gagné ! J'ai hâte de rencontrer encore plus de membres.

Tu traduis pour GV depuis plus de trois ans, que dirais-tu à ceux qui commencent tout juste ?

Entrez, nous sommes des personnes superbes, et vous ne serez pas seul dans votre parcours de traducteur ! Par ailleurs, la communauté rendra l'expérience agréable et enrichissante, vous aurez la responsabilité de transmettre le message de l'auteur à un public différent, de diffuser des informations afin que votre travail soit reconnu !

Le multilinguisme est également au cœur de tes préoccupations. Pourquoi le multilinguisme est-il important ?

Il existe de nombreuses façons d'aborder le multilinguisme, et le mien est principalement le respect. Je ne peux tout simplement pas imaginer comment un pays peut prétendre respecter ses citoyens quand il décourage ou supprime l'usage de certaines langues, jugées pas assez dignes, pas précieuses ou intellectuelles. J'ai récemment découvert que la langue maternelle de mon père n'était même pas le français mais une langue régionale. En un sens, je me sens privée de tout un patrimoine culturel que j'aurais pu recevoir, mais que je n'ai jamais connu, à cause d'une politique linguistique inutilement restrictive.

Vu sous un autre angle, le multilinguisme n'est pas simplement une question de communication mais plutôt d'une meilleure manière de communiquer. Apprendre une langue n'est pas seulement apprendre des mots et des sons, c'est apprendre à connaître la culture et parler de “parler au cœur des gens”, comme l'a dit Nelson Mandela.

Permets-moi de te questionner sur tes propres rêves. Quels sont tes rêves ?

Un monde où les frontières sont obsolètes et absolument tout le monde parle au moins trois langues, suffisamment de temps pour apprendre au moins 15 autres, visiter le Japon, l'Argentine et beaucoup plus l'Inde ? Mes rêves sont plutôt des rêveries, mais ils alimentent mes jours avec l'énergie dont j'ai besoin pour accomplir un peu de tout cela !

Qu'est-ce que l'esprit GV ?

C'est une question difficile car la communauté est si diversifiée. L'esprit GV est ce que tout le monde y met et en tire;  c'est valable pour moi aussi, il s'agit de l'inclusivité et de la gentillesse que j'ai trouvée dans chacune de mes interactions avec n'importe quel membre de GV.

Parle-nous de la ville dans laquelle tu vis.

Je vis à Brighton, sur la côte sud de l'Angleterre. C'est une station balnéaire populaire où les gens viennent depuis le 18ème siècle pour faire la fête et s'amuser. Cela donne à la ville une atmosphère détendue et, bien qu'elle ne soit pas très riche en musées, nous avons beaucoup de festivals toute l'année, sur à peu près tout ce qu'on peut imaginer : les voitures du début du 20ème siècle, la nourriture, la musique, une célébration païenne de l'hiver… À bien des égards, c'est une ville qui est plus grande et plus intéressante qu'elle ne le semble sur la carte.

J'aime vraiment vivre ici, entre la mer et une ville animée. C'est une ville jeune, avec de nombreux collèges, écoles de langue et deux universités. C'est un endroit très international, mais elle a presque une atmosphère française à ce sujet, avec beaucoup de cafés et leurs terrasses toujours pleines.

On raconte que c'était l'une des villes du sud de l'Angleterre qui était la plus opposée au Brexit. Je suppose que les universités et la grande communauté LGBTQ contribuent à en faire l'une des villes les plus inclusives, quoique chères, d'Angleterre. J'espère vraiment que les choses ne changeront pas pour le pire. Je peux encore sentir l'Europe ici.

Et comment décrirais-tu ton pays à un étranger ?

Il est si difficile de décrire la France ! Tout le monde a lu quelque chose à propos d'elle, l'a visitée ou connaît quelqu'un qui l'a fait et a une opinion sur la France.

Ayant vécu à l'étranger depuis plus longtemps, je pense maintenant que mon pays est un paradoxe. La France se voit comme un phare culturel, mais elle a des difficultés à faire face aux actes honteux de son passé colonial. Elle aime sa langue au point de faire des lois pour résister à l'invasion culturelle anglaise, mais elle adopte une politique répressive à l'égard de ses propres langues régionales. Elle essaie de s'attaquer aux problèmes de l'immigration et de l'intégration de manière différente des autres pays et elle rencontre beaucoup de difficultés, mais nager contre courant l'ennuie rarement.

La France semble être une cible facile pour les clichés, mais restez loin d'eux. Comme n'importe quel pays, il est complexe et en évolution. Comme n'importe quel autre endroit, vous y trouverez des personnes ouvertes et fermées. La visiter une fois vous donnera une expérience, pas “la connaissance”. En outre, visiter Paris n'est pas visiter une région, et cela vous pouvez compter sur la population locale pour vous le rappeler !

Enfin, décris-toi et ta vision du monde.

La physique a façonné ma façon de voir le monde, mais comme l'a écrit un de nos écrivains classiques, Rabelais, en 1532 : “Science sans conscience n'est que ruine de l'âme”. Je suis toujours convaincue que les progrès scientifiques ont les moyens d'améliorer la vie des gens, alors je suppose que cela me rend optimiste !

Merci Gwen de nous avoir emmenés pour ce voyage à travers ta vie et ton expérience à GV ! N'oubliez pas de la suivre sur Twitter @DiffractedWord.

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