La gestion des bidonvilles à Conakry et à Freetown, un symptôme de la vulnérabilité des capitales africaines

Capture d'écran d'une vidéo des inondations à Freetown, Sierra Leone par Breaking News.

La catastrophe qui s'est abattue sur Freetown, la capitale de la Sierra-Leone, le 15 août lorsque des pluies diluviennes ont causé des centaines de morts et des milliers de sans-abri et provoqué des inondations ainsi que des glissements de terrains sans précédents, démontre encore une fois la vulnérabilité des grandes villes africaines et de ses populations fragilisées, notamment celles des bidonvilles.

A cause de la démographie galopante et du manque de revenus pour les habitants des zones rurales, les capitales africaines explosent sous la pression démographique, avec des bidonvilles qui apparaissent chaque jour. L'état ne parvient pas à suivre la croissance démographique et c'est ainsi que des bidonvilles se crééent. Ce n'est seulement que quand une population importante occupe des endroits non prévus pour des résidences que les autorités se réveillent et prennent des mesures drastiques.

C'est ce qui s'est passé à Conakry, capitale de la Guinée, pays voisin de la Sierra-Leone. Sans aucune planification, la population venue de l'intérieur s'est installée de manière anarchique sur les abords d'une rivière. Le gouvernement avait lancé une opération de démolition  du quartier de Démoudoula surgi à la fin du siècle dernier et au début du 21ème, soulevant un vif débat sur les réseaux sociaux.

Un bulldozer en action à Demoudoula. Crédit photo: http://guinee28.info, utilisée avec permission

Un bulldozer en action à Demoudoula. Crédit photo: http://guinee28.info, utilisée avec permission

Les utilisateurs des réseaux sociaux avaient réagi de manière contrastée. Alimou Sow, auteur, élu meilleur blogueur francophone en 2013 par le jury des Bobs de la Deutche Welle, a réagi sur sa page Facebook par une longue intervention après avoir visité les lieux:

C’est un drame humain qui est en train de se dérouler, presque à huis clos, à Démoudoula.

Depuis quelques jours, dans ce quartier de la commune de Ratoma (Conakry), des bulldozers s’activent à démolir des maisons habitées, jetant dans la rue femmes et enfants ne sachant ni où aller, ni à quel saint se vouer. Des sinistrés de juillet, mois pendant lequel, à Conakry, le ciel est comme troué. Mais on s’en fout non ?

Ces maisons détruites par l’Etat sont autant de rêves brisés, autant de liens familiaux disjoints, autant de corps avilis, autant de cœurs meurtris. Chaque brique brisée représente des mois, voire des années de dur labeur. Toute une vie démolie sous le regard hagard des enfants et impuissant des parents.

En Guinée, l’on vit pour deux choses : la famille et la maison. Chez nous, quand tu détruis la maison de quelqu’un tu auras détruit toute sa vie. Et aucun dédommagement n’est à la hauteur d’une telle tragédie.

Mais quel est le tort de ces sinistrés de juillet ? Occupation illégale du lit de la rivière “Démoudoula” (terre des chimpanzés en langue Poular), dit-on. Et quel est leur sort ? L’abandon dans la rue !

Est-ce que c’est pour protéger ces déguerpis d’une inondation éventuelle et pour préserver ainsi leurs vies et leurs biens ? Pas sûr, puisque comme dit le dicton “mieux vaut prévenir que guérir”. On aurait dû les empêcher de s’installer-là, dans le lit de la rivière. N’est-ce pas des commis de l’Etat vendus qui ont vendu les parcelles de terre à ces malheureux ?

D’ailleurs, en matière de risques à Conakry il y a bien pire ailleurs : la décharge de la Minière qui constitue à la fois une catastrophe humaine et écologique, le dépôt des hydrocarbures à Kaloum tout près de la centrale électrique de Tombo dont une explosion éventuelle pourrait ravager tout Kaloum (je touche du bois), les différentes garnisons installées au cœur de la capitale (on a encore en mémoire l’explosion meurtrière de la poudrière du camp Alpha Yaya au début des années 2000), etc.

Est-ce que c’est pour protéger l’environnement ? Peut-être. Mais Démoudoula est-il un cas isolé à Conakry ? Quid des forêts d’Enta, de Dabompa, de Démoudoula ? Quid de nombreux marigots ensevelis à Conakry ? Quid de l’occupation et de la destruction de notre littoral ?

Qu’en est-il des projets dévastateurs sur nos corniches que des activistes de la société civile dénoncent ? Notre Forêt guinéenne est-elle Forte dans un pays où la principale source d’énergie est tirée du charbon de bois ? Que fait-on pour promouvoir les énergies alternatives ? Combien coûte une bouteille de gaz en Guinée ?

Il y a longtemps qu’on a délogé, chassé et probablement mangé les chimpanzés de Démoudoula. Maintenant on y déloge des humains à coup de pelleteuses.

A supposer que c’était à la fois pour préserver l’environnement et pour protéger les riverains et leurs biens : ce n’est ni le moment, ni la manière. Cela devrait être fait à un moment approprié (pas en pleine saison des pluies), respecter un délai d’avertissement suffisant et un plan clair de relogement et de dédommagement.

Finalement, je pense que notre Etat est atteint de “démolitionite”. Sur les ruines de Kaporo-rails, la haine et la délinquance ont germé. On détruit des habitations pour construire la frustration, l’amertume et la haine.

Alimou Sow fait allusion à Kaporo-rail, un quartier de Conakry qui a été rasé au sol en 1998, mettant à la rue plus de 120 000 personnes avec la destruction de milliers bâtiments pour habitations, mosquées et écoles.

Cette émouvante intervention d'Alimou Sow a provoqué beaucoup de réactions, certaines approuvant l'action de l'état, d'autres se posant les mêmes questions que M. Sow mais diffèrent sur la solution à prendre. Ainsi, Cellou Diallo dénonce le moment choisi pour cette action, mais approuve l'action gouvernementale:

Le moment est très mal choisi, j'en conviens. Mais ils doivent être déguerpis par l'état qui doit en contrepartie les soutenir soit en les dédommageant pour se retourner contre ceux qui sont les complices ou cessionnaires…ou soit en soutenant leur action directement contre les personnes qui ont cede les terrains. Mais ils doivent quitter.

Quant à Sény Touré, il dénonce une série de négligences de l'autorité publique qui font du tort aux plus pauvres, en particulier la dépossession d'un terrain de l'hôpital Ignace Deen pour la construction d'un hôtel de luxe et la vente d'un autre domaine de plus de 3 hectares cédé par l'état à 250 000 GNF, (soit l'équivalent de 25 Euros) selon les dires de Ibrahima Camara, Directeur de l’Aménagement du Territoire et de l’Urbanisme, dans une interview accordée à guineetime.com en février 2014, déguerpissant les occupants originaux. 

Ce terrain situé dans une des zones les plus dynamiques de la capitale guinéenne accueille le complexe Résidence 2000 qui comprend une centaine d’appartements de standing avec vue sur la mer (Corniche Sud) pour des loyers à partir de 2000€ par mois. Le projet est très controversé car seulement à cause de l'expulsion de la population autochtone, mais aussi pour son impact environnemental négatif.

Il s'insurge:

Trop de paradoxes dans ce bled! On casse des maisons, certes construites dans le lit d'une rivière, mais on a encouragé la construction d'un hôtel dans le jardin de l'hôpital Ignace Deen! Un ex jardin pour malades reconverti en hôtel!
Et les pauvres habitants de Koba qui souffrent des effets de la résidence 2000? A qui doivent ils se plaindre? Je le dis encore une fois: on voit la paille chez l'autre, et non la poutre chez nous!
Alimou Sow, je ne sais pas, mais j'ai l'impression que ce régime affectionne les crises sociales. Et une dernière chose: quel est le concessionnaire qui déloge en pleine saison hivernale? Pfff n'importe quoi.

Un autre utilisateur de Facebook Ousmane Yattara, vivant à Nice, France, a fait plusieurs interventions défendant la légalité tout en demandant que l'état indemnise les victimes et invite la société civile à veiller à ce que personne ne soit au-dessus des lois; voici une synthèse de ce qu'il pense:

Demoudoula j'encourage cette action du gouvernement …j'espère que personne ne sera épargnée y compris les hauts cadres qui ont leur maison là-bas …la fin de l'anarchie en Guinée est un reve …que ca sert d'exemple à tous ceux qui achètent dans les zones protégées. .un jour on detruira vos maisons … il faut par contre indemniser tout le monde même ceux qui n'ont pas de titre foncier….

En guinée particulière à Conakry , un jour on passera forcement par détruire plusieurs maisons pour que notre capitale retrouve sa beauté …. au dela des zones protégées conakry n est pas lotis …le jour on commencera ce travail y aura forcement des victimes …c'est pour cela tout ce qu'on fait aujourd hui on le payera un jour , par des douleurs de plusieurs … c'est la violence légitime de l'Etat…
Perso j'aime la force légitime de l'Etat , ce qui me dérangerai c'est si on épargne les maisons des hauts cadres et si on indemnise pas les victimes , il faut que la société civile veille à ce que personne ne soit au dessus des lois …

Ce qui fait mal à Souleymane Barry c'est que tous les citoyens ne sont pas logés à la même enseigne:

Souleymane Barry Ce qui fait plus mal dans cette histoire c'est cette démolition sélective. Kiridi Bangoura a son château en plein lit de la rivière mais il n'est pas inquiété. Quel est ce commis de L'état aujourd'hui qui ne dort pas dans un luxueux palace pieds dans l'eau? Des édifices bâtis à coups de centaines de mètres cubes de terres déversées sur les côtes pour repousser les eaux afin de se faire des parcelles sèches. À ce rythme la mayonnaise est entrain de bien prendre car tous les ingrédients sont déjà réunis et les conséquences risquent d'être très fâcheuses.

Le Ministère de l'Habitat a suspendu les démolitions pour des raisons humanitaires pour une période allant du 15 juin au 15 octobre, suite aux nombreuses protestations des citoyens et des organisations de la société civile. Mais comme pour se moquer des victimes, le communiqué a été publié le 29 juin, alors que les démolitions ont commencé le 13 juillet, soit près d'un mois après le début de la période de grâce.

Le gouvernement promet dans un communiqué en date du 19 juillet 2017 d’indemniser les citoyens dont les titres de propriété sont reconnus réguliers, tout en poursuivant en justice les occupants illégaux des lieux.

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