Les Nigérians attendaient de leur président absentéiste un discours sur sa santé, il leur parle des tensions ethniques

Capture d'écran du discours télévisé du président Buhari aux Nigérians le 21 août 2017.

Capture d'écran du discours télévisé du président Buhari aux Nigérians le 21 août 2017.

Le président Muhammadu Buhari est de retour au Nigeria après une “congé maladie” inexpliqué de trois mois au Royaume-Uni. Dans son premier discours télévisé à la nation depuis son retour, 48 heures plus tard, il n'a pas parlé de sa santé personnelle ou de ses soins dans le pays. Au lieu de cela, il a traité de la vision ethnique de la politique, qui provoque la division.

Il a fait remarquer que pendant son absence, il était “préoccupé” en voyant les commentaires dans les discussions sur les médias sociaux concernant les affaires courantes qui “ont traversé nos lignes rouges nationales en osant remettre en question notre existence collective en tant que nation”.

L'unité du Nigeria est une question close et non négociable, a-t-il dit :

Nous ne devons pas permettre à des éléments irresponsables de provoquer des problèmes, alors qu'ils s'enfuiront dès que les choses se gâteront, laissant aux autres la responsabilité de ramener l'ordre, si nécessaire avec leur sang. Chaque Nigérian a le droit de vivre et de poursuivre ses affaires n'importe où au Nigeria sans entrave ni difficulté. Je crois que la très grande majorité des Nigérians partagent ce point de vue. Ce n'est pas nier qu'il existe des préoccupations légitimes. Chaque groupe ethnique a un grief. Mais la beauté et l'attrait d'une fédération est qu'elle permet à chaque ethnie d'exprimer ses griefs et d'élaborer un mode de coexistence.

Les propos ethniques haineux en ligne sont en hausse au Nigeria depuis les élections présidentielles de 2015. Les raisons ont été expliquées dans un billet sur Global Voices en août 2016 intitulé “Nigeria: Curbing the Tide of Ethnic Hate — Online and Off.” (Nigeria: freiner la marée de propos ethniques haineux – en ligne et hors ligne). Récemment, dans le sud-est du pays, le mouvement Indigenous People of Biafra (Peuples autochtones du Biafra) (IPOB) sous la conduite de Nnamdi Kanu a revendiqué la sécession d'avec le Nigeria. Ce qui a a provoqué une cascade d'événements, dont le principal a été la «”Déclaration de Kaduna [fr], intimation publiée par un groupe de jeunes du Nord donnant à toute personne de l'ethnie Igbo trois mois pour quitter le nord du Nigeria.

Dans son discours, le président n'a fait aucune allusion officielle à son état de santé, et bien que de nombreux Nigérians soient heureux voir rentrer le commandant en chef de leurs forces armées, ce fait n'est pas passé inaperçu. L'opacité sur la nature de la maladie de M. Buhari a incité l'analyste des affaires publiques Chido Onumah à proposer le discours différent que Buhari aurait dû prononcer :

Je ne suis jamais tombé malade de toute ma vie entière, mais être malade est une condition humaine et je prie pour qu'aucune maladie n'affecte nos pires ennemis. Je veux dire qu'il est dommage que je doive voyager à l'étranger pour un traitement médical alors que nous avons les ressources nécessaires pour améliorer le système médical de notre pays, mais en raison de la mauvaise gouvernance du passé, nous ne l'avons pas fait. Je veux assurer tous les Nigérians que mon gouvernement fera mieux pour améliorer notre système de santé et veiller à ce qu'aucun autre président après moi ne voyage à l'étranger pour un traitement médical ; au contraire ce sont d'autres leaders mondiaux qui nous visiteront pour une telle raison.

“Ce serait une obligation et non un choix”

Néanmoins, le discours que le Président Buhari a prononcé sur les tensions ethniques a suscité des réactions mitigées de la part des Nigérians. Oby Ezekwesili, ancien ministre et chef de la campagne ” Bring Back Our Girls” (‘Ramenez nos filles’) a tweeté :

Je peux donner une réaction instantanée de citoyen au président @MBuhari que son discours de ce matin a été un terrible exemple d'occasion manquée.

Patrick Okigbo III, dans un commentaire sur Facebook, n'a pas été content non plus du contenu du discours présidentiel :

Je suis nigérian, pur et simple, mais je ne suis pas d'accord pour dire que “l'unité du Nigeria est réglée et non négociable”. Cela équivaudrait à de l'esclavage et pas à une libre adhésion. […] Je crois que la vie est meilleure et nous sommes plus forts ensemble. Cependant, je crois que chaque groupe ethnique doit être fort en venant à une table commune pour négocier son espace. Le rôle du gouvernement fédéral est de permettre que ce dialogue se fasse dans des espaces sûrs. Nous devons engager les diverses nationalités ethniques et déterminer la meilleure façon de créer une nation qui fonctionne pour tous. Taper du poing sur la table et proclamer une union non négociable peut fonctionner pendant un certain temps, puis les liens s'affaibliront. Le discours que l'on entend dans le sud-est aujourd'hui est le signe de l'affaiblissement de nos liens. Le mouvement de Nnamdi Kanu n'est pas une blague. Ce n'est pas une mauvaise gueule de bois qui disparaîtra. C'est plutôt une opportunité pour le Nigeria de mettre quelques questions sur la table et de les traiter sérieusement. Comme on le disait, le meilleur moment pour planter cet arbre était il y a vingt ans ; la prochaine fois c'est maintenant. Taa ka bu gbo. Aujourd'hui, il est encore temps pour commencer.

M. Kanu a été arrêté en 2015 pour 11 chefs d'accusation liés au terrorisme, et de crime de trahison, avant d'obtenir une liberté sur caution cette année. Certains pensent que la décision du gouvernement de le poursuivre pourrait l'avoir renforcé et aggravé une situation déjà dangereuse. L'éditorialiste Reuben Abati a écrit :

Cinquante ans après le déclenchement de la guerre civile, nous avons maintenant un homme appelé Nnamdi Kanu. Il pourrait bien être un ennemi du Nigeria. Il est le produit le plus effrayant de nos nombreuses années et actes de déni, et il pourrait bien jeter le pays dans un cauchemar pire que Boko Haram, si on n'y prend garde. Il a débuté comme chef d'un groupe appelé Peuple indigène du Biafra et directeur de Radio Biafra. Lui et ceux qui ont adhéré à sa rhétorique de la sécession et du renouvellement du rêve biafrais ont organisé des manifestations à travers le monde, vues de loin comme un groupe de Nigérians de la diaspora mécontents. […] Celui qui a ordonné l'arrestation et les poursuites contre Nnamdi Kanu a joué un mauvais tour à ce pays. Kanu est un personnage qu'on aurait mieux fait d'ignorer. Son procès et ses difficultés l'ont transformé en héros et en martyr vivant pour les Igbos. Et le jeune homme jusqu'à présent a compris le jeu. Depuis qu'il a été libéré sous caution, il critique l’État et le gouvernement nigérians.

“Nous sommes encore à nous accrocher aux mêmes lignes dessinées dans le sable hier”

Cependant, il y a des Nigérians qui soutiennent le discours du Président Buhari. Le poète nigérian Ikeogwu Oke a partagé ceci sur son mur Facebook:

J'ai lu – et je relirai – le dernier discours du président Buhari. Je conviens qu'il pouvait être amélioré, comme tout autre discours. Mais je suis surpris que l'une des critiques à son encontre est qu'il dise que l'unité du Nigeria n'est pas négociable. Est-ce que quelqu'un doté de bons sens s'attendait à ce que M. Buhari ou le chef de tout autre pays déclare ouvertement dans un discours à la nation que l'unité du pays est négociable, sanctionnant ainsi des agitations pour sa dissolution ? Quelqu'un peut-il indiquer un précédent où un dirigeant a officiellement déclaré que l'unité de son pays était négociable, même dans le soi-disant monde civilisé ? Même si un tel précédent devait exister, les circonstances sous-jacentes sont-elles les mêmes que les nôtres? […] Pour moi, je suis d'accord que l'unité de toute nation devrait être négociable. Mais s'attendre à ce qu'un chef d’État le proclame dans un discours à la nation, il faudra attendre encore longtemps.

Les clivages ethniques dans la politique au Nigéria ont ainsi été résumés par l'écrivain nigérian Mazi Nwaonwu :

Est-ce que quelqu'un parmi vous a lu “Divided We Stand” (Divisés nous restons) par le talentueux Ekwensi ? C'est un précurseur de la «Moitié d'un Soleil Jaune» de Chimamanda Ngozi Adichie. Les deux livres ont beaucoup de choses en commun, mais le plus frappant montre que même au milieu de la tourmente avant et pendant la guerre, de nombreux habitants du Nord, de l'Est et de l'Ouest ont maintenu leurs relations et trouvé un moyen pour vivre ensemble.

Mais… En fait il ne s'agit pas des livres ni des auteurs géniaux qui les ont écrits. Il s'agit de la façon dont nous demeurons apparemment divisés, et de la façon dont cette division est illustrée par notre vision des problèmes. Alors quand quelqu'un écrira quelque chose de superbe contre notre président en exercice, vous trouverez probablement des noms tels que Obi, Chima, Ngozi etc, qui salueront l'auteur, son magnifique esprit et son œuvre. Un autre écrira un texte pro-Buhari qu'on trouvera tout aussi beau et qui sera salué par des Adamu et des Sani. Les Yinka et les Salawu resteront accrochés entre les deux, échos de leurs pères avant eux.

C'est drôle, mais ces deux livres ont capturé l'essence de cette époque que nos pères ne pensaient pas revisiter. Plus de quatre décennies plus tard, nous y sommes encore, accrochés aux mêmes lignes tracées dans le sable par le passé.

Le Nigeria a été handicapé par la vision ethnique de la politique depuis son indépendance en 1960. Selon les mots de ces deux chercheurs, Felicia H. Ayatse et Isaac Iorhen Akuva : “Le Nigeria conserve l'esprit d'appartenance ethnique dans son existence post-coloniale, ce vice a été la cause de la plupart des difficultés politiques, administratives, économiques, sociales et culturelles au Nigeria”. Malheureusement, ces sentiments ont été exploités par la plupart des politiciens nigérians jusqu'aujourd'hui.

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