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La République Centrafricaine gangrenée par un conflit sans fin

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, République Centrafricaine, Droits humains, Ethnicité et racisme, Gouvernance, Guerre/Conflit, Médias citoyens, Politique, Religion
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Personnels militaires burundais en République Centrafricaine, via Idriss Fall – Domaine public

Le 9 août 2017, Juan José Aguirre, l'évêque de Bangassou en République Centrafricaine (RCA), a informé du massacre de plus de 50 personnes par les milices musulmanes [2] dans un village à une soixantaine de km de Bangassou [3]. Une annonce qui est la dernière en date dans un enchaînement de violences illustrant l'escalade des tensions entre milices chrétiennes et musulmanes, et conduit certains à craindre que le pays soit au bord d'un génocide.

L'historique des tensions récentes

La République Centrafricaine a plongé dans la tourmente en 2013 quand la coalition rebelle principalement musulmane, appelée Seleka [4] (“coalition”), a renversé le président d'alors François Bozizé [5], un chrétien. Le premier objectif de la coalition était d'installer un gouvernement musulman, dans un pays dont 80 % de la population est chrétienne. Après le coup de force, des milices chrétiennes connues sous le nom d’Anti-balaka [6] — ou “anti-machete” — se sont unies pour combattre la Seleka. A l'époque, le risque de génocide poussa l'ONU à agir. Le 5 décembre 2013, le Conseil de Sécurité de l'ONU autorisa le déploiement de l’opération Minusca [7], avec l'appui de l'opération française Sangaris. Très vite, la force militaire et la stratégie bien pensée utilisée sur le terrain par les forces occidentales conduisirent à la signature finale d'un accord de paix en juillet 2014. Mais depuis, la situation sur place s'est envenimée. 2017 a vu renaître le conflit. Le retrait du contingent militaire français l'an dernier pourrait faire basculer la République Centrafricaine dans la même situation que le Rwanda en 1994 : les derniers mois ont vu une multiplication des alertes d'insécurité. L'escalade des violences remet de plus en plus en question l'efficacité de la Minusca. Malgré la dissolution de la Seleka après 2014, des factions connues sous le nom d'ex-Seleka restent très importantes dans le pays, notamment dans les zones échappant au contrôle du gouvernement.

La République Centrafricaine est une exception dans le paysage politique africain, du fait de la nature de ses dissensions internes. Alors que beaucoup de guerres civiles — en particulier africaines — sont issues de divisions culturelles et ethniques, la République Centrafricaine est déchirée par des différences religieuses. Les miliciens tant chrétiens anti-Balaka que musulmans Seleka mènent régulièrement des “massacres ciblés” de civils, selon leurs croyances religieuses. De ce point de vue, la réalité du pays diffère de celle du Rwanda ou du Congo, où les problématiques ethniques ont toujours supplanté les différences religieuses.

Nonobstant cet aspect du conflit, la République Centrafricaine est loin d'être engloutie dans une vieille guerre de religion. Si de nombreuses populations différentes, chrétiennes et musulmanes, doivent cohabiter, elles le faisaient de façon relativement pacifique jusqu'en 2013. Ce qui peut expliquer que le pays semble impuissant à gérer les événements actuels.

A la différence de ses voisins, la République Centrafricaine n'a jamais été confrontée jusqu'alors à un tel conflit. Elle avait réussi à éviter une guerre civile généralisée, et beaucoup s'accordent à dire que le conflit actuel est le pire qu'ait connu le pays depuis l'indépendance.

Escalade de la violence

Après quelques mois de paix à la suite de l'élection en mars 2016 de l'actuel président Faustin-Archange Touadéra [8], les violences ont repris. De nombreux commentateurs ont critiqué le retrait des troupes françaises cette même année, par rapport à la situation sécuritaire sur le terrain. [9]Les choses ont encore empiré depuis le début de 2017, avec de nouveaux affrontements entre Anti-Balaka et Ex-Seleka. Selon l'ONU, il y a eu 34 tués fin juillet dans une autre partie du pays. Six volontaires de la Croix-Rouge ont été tués le 3 août à Gambo par des miliciens Ex-Seleka, en représailles à une attaque des Anti-Balaka quelques jours avant [10]. Le processus de paix, démarré en 2013 après l'intervention française, n'est plus qu'un lointain souvenir, et on peine à imaginer autre chose qu'une escalade du conflit.

Ces dernières semaines, Alindao, comme beaucoup d'autres villes, a connu la répétition du conflit sanglant qui détruit le pays depuis ses débuts en 2013. Ce récent massacre de civils a été connu en juin 2017 — d'au moins 133 civils — avec des quartiers entiers en flammes.

MSF International cite dans un tweet un civil survivant de l'attaque  [11]:

Ils m'ont tiré dans l'épaule et je suis tombé. J'ai fait le mort ; c'est comme ça que j'ai survécu. Elisée R., 27 ans.

Ce massacre s'est produit de fait dans une zone de déploiement de la Minusca. Les camps de l'ONU ne sont pas prévus pour les personnes déplacées, car dépourvus d'organisation et de moyens sur le terrain. Les habitants des villes attaquées essaient d'atteindre les pays voisins comme la République Démocratique du Congo. A Banguassou, ces dernières semaines, plus de la moitié de la population a fui la ville. [12] L'archevêque de Bangui, Dieudonné Nzapalainga, constate  [12]:

Ce n'est qu'à Bangui qu'il y a un semblant d’État. Hors de Bangui, l’État est inexistant. Ce sont les rebelles qui sont aux commandes.

La mission de l'ONU manque certes d'efficacité, mais il faut tenir compte aussi de dures conditions de terrain pour l'aide humanitaire. La République Centrafricaine est un pays extrêmement pauvre, grand comme deux fois la France mais ayant moins de 1.500 km de routes goudronnées. Les troupes de l'ONU s'y déplacent avec beaucoup de difficulté et certaines zones sont quasi hors d'atteinte.

De plus, la République Centrafricaine n'a pas d'armée digne de ce nom, et son gouvernement est fantomatique, sans vraie prise sur la réalité. Un an après l'élection du président Faustin-Archange Touadéra, de larges pans du territoire échappent toujours au contrôle des institutions.

L'ONU met en garde contre un possible génocide

A présent, la situation a tellement dégénéré que Stephen O'Brien, le Sous-secrétaire général de l'ONU aux affaires humanitaires, a assimilé les violences à des “signes avant-coureurs de génocide” [13]. Lors de sa visite dans le pays, M. O'Brien a dit à la presse avoir vu 2.000 musulmans terrés dans une église catholique de la ville de Bangassou. Un épisode qui a suivi l'incendie d'un village entier par les miliciens chrétiennes anti-Balaka, qui ont rassemblé les civils, et qui selon les termes d'O'Brien :

étaient simplement allongés attendant de les tuer [les villageois] s'ils tentaient un mouvement. Une méthode très ancrée de nettoyage ethnique.

A propos de “méthode très ancrée de nettoyage ethnique”, M. O'Brien a appelé le Conseil de Sécurité à augmenter significativement le financement et les “casques bleus [14]” — les forces de maintien de la paix de l'ONU actuellement au nombre d’un peu plus de 12.700 hommes [15] — sur le terrain dans le cadre de l'opération Minusca. Il a aussi souligné que le nombre de personnes déplacées s'est accru de 40 % depuis l'an dernier, atteignant 600.000 dans un pays de 4,5 millions d'habitants.

Les signes d'un génocide prévisible apparaissent à un moment de faible soutien disponible sur le terrain de la part de la communauté internationale. En mai, la Croix-Rouge a signalé avoir trouvé 115 corps [16]à la suite d'une série d'attaques de milices. D'après Crisis Group, [17] les violences se sont aggravées dans le Nord et l'Est, laissant plus d'une centaine de morts. La situation économique empire, la dette publique a grimpé de 20 % et frise à présent 50 % du PIB.

Le sort du pays pourrait échapper à tout contrôle

Des mesures urgentes doivent être prises. Le déploiement de militaires français sur place a obtenu quelques résultats encourageants, mais trop fragiles pour être vraiment durables, étant donné l'insécurité et l'absence d'infrastructures solides sur place. La République Centrafricaine est un État failli, au bord de l'effondrement, déjà à l'aube d'un génocide. La situation actuelle sur le terrain ressemble au Rwanda de 1994, dont le sauvetage in extremis n'a été possible que par l'intervention d'autres pays africains, comme l'Ouganda, et de la communauté internationale.

L'avenir paraît bien sombre, et aucune intervention de l'Union Africaine n'est à l'ordre du jour. Des pays comme le Liberia et la Sierra Leone, relevant de l'Afrique de l'Ouest et membres de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) [18] ont bénéficié de l'aide militaire de la Brigade de surveillance du cessez-le-feu de la CEDEAO (ECOMOG [19]). A la différence de ces pays, la République Centrafricaine ne fait pas partie de l'ECOMOG et ne peut pas prétendre à la même sorte d'aide. Le meilleur espoir réside probablement dans une prise de conscience de la communauté internationale, analogue à celle du génocide rwandais de 1994. La situation n'en paraît pas moins désespérée, même pour les missions de maintien de la paix. Le 8 mai 2017, cinq casques bleus sont morts [20]dans l'attaque de leur convoi, amenant les principaux fournisseurs de contingents à une attitude de prudence.

Précision importante : le pays ne représente aucun risque direct pour la sécurité de l'Occident. La multiplication des menaces terroristes dans les endroits troublés que sont le Yémen, l'Afghanistan, la Somalie et le Mali — en particulier pour la France — a pour effet que, selon toute probabilité, la République Centrafricaine n'est plus une priorité pour la communauté internationale.