Le journaliste marocain Hamid El Mahdaoui a entamé une grève de la faim après qu'une cour d'appel a alourdi sa peine de prison de trois mois auparavant à un an.
Dans les premières heures du 12 septembre 2017 et après un procès qui a duré plus de neuf heures, le tribunal d'appel d'Al Hoiceima a rendu un verdict qui a accru la peine de Hamid El Mahdaoui de trois mois à un an de prison, pour avoir prononcé un discours qui, d'après le tribunal avait incité d'autres citoyens à manifester et à violer la loi aux termes du code pénal marocain.
Mahdaoui est le directeur et rédacteur en chef du site indépendant Badil.info. Il a été arrêté par les autorités marocaines le 20 juillet dans la région du Rif, où il était allé pour couvrir les manifestations, et a ensuite été reconnu coupable d'incitation à manifester.
La preuve principale utilisée contre lui a été une vidéo du 19 juillet filmée par un policier qui le montrerait incitant les gens à participer à une manifestation du 20 juillet qui avait été interdite par les autorités marocaines.
Les droits de manifestation et de réunion sont garantis par la constitution marocaine et la loi sur les rassemblements publics. Les organisateurs ne sont pas tenus de demander une autorisation préalable, mais ils doivent informer les autorités de l'endroit, de l'heure et de la date de la manifestation prévue. Cependant, les autorités peuvent interdire une manifestation si elles considèrent qu'elle pourrait perturber l'ordre public.
Après que le tribunal a annoncé son verdict le 12 septembre, Mahdaoui a décidé de faire la grève de la faim pour protester contre son procès injuste et la violation de son droit à la liberté d'expression, a déclaré son épouse Bouchra El Khounchafi à l'édition marocaine de HuffPost.
Al Hoceima et d'autres villes de la région du Rif sont troublées par des manifestations depuis la mort du vendeur de poissons Houcine Fekri en octobre dernier, broyé dans la benne d'un camion à ordures en essayant de récupérer son poisson confisqué par un policier. Les manifestations se sont transformées en “Hirak” ou mouvement pour l'emploi et le développement économique, ainsi que contre la marginalisation et la corruption. En réponse, les autorités marocaines ont recouru à la répression, arrêté les manifestants ainsi que les militants et réprimé la couverture médiatique des manifestations.
Les groupes locaux et internationaux de défense des droits de l'homme disent que M. El Mahdoui n'a pas incité à manifester, mais qu'il a seulement exprimé son point de vue sur l'interdiction de la manifestation du 20 juillet lorsque des passants [ar] qui, le reconnaissant, l'ont interpelé pour discuter avec lui au sujet du Hirak.
L'organisation non gouvernementale Human Rights Watch a analysé la vidéo a lu la transcription utilisée comme preuve dans le procès de M. El Mahdaoui :
Dans une transcription de la vidéo, Mahdaoui critique la décision du gouvernement d’interdire la manifestation du 20 juillet, en affirmant : « C’est notre droit de manifester de manière pacifique et civilisée ; […] opprimé et méprisé, j’ai le droit de m’exprimer et de manifester. »
Human Rights Watch, qui a visionné la vidéo et a pris connaissance de la transcription, n’a rien trouvé dans l’une ou l’autre qui relève d’une incitation directe de Mahdaoui à participer à la manifestation interdite du 20 juillet. Hajji, son avocat, a déclaré que le tribunal n’avait fourni aucune autre preuve en dehors de la vidéo et de la transcription.
Le site indépendant de Mahdaoui, Badil.info, couvre une variété de sujets au Maroc : la politique, les droits de l'homme ou la corruption, et a rendu compte des manifestations [ar] dans la région du Rif.
M. Mahdaoui est également connu pour ses critiques ouvertes en ligne contre les autorités marocaines. Il compte plus de 97 000 abonnés sur sa chaîne YouTube où il donne des commentaires sur la situation politique et des droits de l'homme au Maroc. Au cours des derniers mois, les vidéos téléchargées sur sa chaîne comprenaient des entretiens avec des militants des droits et des familles de manifestants du Hirak arrêtés, ainsi que des images montrant la violence policière contre eux à El Hoceima [ar] et à Rabat [ar]. Le 25 juin, M. Mahdaoui a publié un entretien [ar] des parents du leader du mouvement, Nasser Zafzafi, en prison depuis le 29 mai 2017, après qu'un procureur a ordonné son arrestation pour avoir interrompu un prêche du vendredi critiquant le mouvement de protestation.
Ce n'est pas la première fois que les autorités marocaines poursuivent M. Mahdaoui à cause de son travail de journaliste ou pour s'être exprimé. Selon l'ONG Reporters sans frontières, “il a déjà fait l’objet d’une dizaine de plaintes notamment pour diffamation”. En juin de cette année, le ministre de l'Intérieur du Maroc a déposé une plainte pour diffamation contre M. Mahdaoui après une vidéo du journaliste l'accusant de corruption.
Le 29 juin 2015, un tribunal de Casablanca l'a condamné à quatre mois de prison avec sursis, lui infligeant une amende de 6 000 Dirhams marocains (540 euros) et au versement de 10 000 Dirhams (900 euros) de dommages et intérêts au chef de la direction générale de la sécurité nationale, pour des billets publiés sur son site Badil au sujet du militant politique Karim Lachqar, décédé en garde à vue. En août 2015, une cour criminelle dans la ville de Meknès a ordonné à Badil fr de fermer pendant trois mois et condamné Mahdaoui à 30 000 Dirhams (2.700 euros) d'amende pour avoir publié un billet sur un attentat à la voiture piégée dans la ville. Les articles des médias sur un attentat ont ensuite été démentis par le gouvernement.
Bien que le gouvernement marocain affirme que l'arrestation de M. Mahdaoui n'est pas liée à son travail, plusieurs autres journalistes ont été harcelés ou arrêtés par les autorités marocaines pour leur couverture des manifestations dans la région du Rif. Entre le 26 mai et le 22 juillet, l'ONG Reporters sans frontières a documenté l'arrestation de sept journalistes et travailleurs des médias en rapport à leur couverture du Hirak. Le Maroc a également recouru à l'expulsion de journalistes étrangers qui couvraient les manifestations, dont deux journalistes espagnols travaillant pour El Correo Diplomatico et un journaliste algérien travaillant pour le journal en français El-Watan à Alger.
En quadruplant la peine de M. Mahdaoui, les autorités marocaines ont montré qu'elles ne voulaient pas mettre fin à la répression des médias pour créer un environnement sécurisé pour les journalistes leur permettant de faire leur travail lors des troubles dans la région du Rif. En attendant, le journaliste poursuit sa grève de la faim [ar].