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Les militantes saoudiennes remportent la bataille de la conduite sur fond de maintien de la tutelle masculine et d'arrestations de dissidents

Catégories: Afrique du Nord et Moyen-Orient, Arabie Saoudite, Droits humains, Femmes et genre, Liberté d'expression, Médias citoyens
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Illustration pour la campagne “Je suis mon propre tuteur”. Crédit : son auteur @MsSaffaa

Cet article a été écrit par Khalid Ibrahim [2], directeur exécutif du Gulf Center for Human Rights [3], une organisation indépendante à but non lucratif qui défend les libertés d'expression, d'association et de réunion pacifique dans la région du Golfe et les pays voisins.

Le 26 septembre, le roi Salman d’Arabie Saoudite a signé un décret ordonnant au ministre de l'Intérieur de commencer à émettre des permis de conduire pour les femmes, les autorisant ainsi à conduire dans le royaume. Cette décision tant attendue n’entrera pas en vigueur avant le 18 juin 2018. Un comité ministériel chargé de formuler des recommandations doit se former dans les 30 jours suivant l’ordonnance royale.

Cette avancée fait suite à de nombreuses années de campagne et de lutte menées par la « Women2Drive Campaign », campagne pour le droit de conduire des femmes, qui remonte au 6 novembre 1990. A cette date, 47 femmes ont défilé dans les rues de Riyad au volant de leur voiture pour protester contre cette interdiction. Les 13 voitures qu’elles conduisaient ont été arrêtées par les forces de police envoyées pour contrer la manifestation.

Cette action a été suivie, au cours des dernières années, par de nombreuses campagnes similaires menées par des femmes saoudiennes conduisant leur voiture en signe de contestation. Les autorités saoudiennes ont répliqué par l’arrestation de plusieurs militantes comme ce fut le cas le 1er décembre 2014, quand Maysaa Al-Amodi et Lujain Al-Hathlol [4] ont été placées en détention provisoire pour avoir conduit leur propre voiture.

L’ordonnance royale ne sera pas mise en application avant dix mois, mais il y a des craintes [5] que ce nouveau comité ministériel puisse démarrer son travail par l’adoption de recommandations émises au préalable par le Conseil de la Choura, l’Assemblée consultative saoudienne. Son pouvoir limité consiste à proposer des lois et à conseiller le gouvernement dans cette monarchie absolue. Certaines de ces recommandations [6] concernent l’âge des conductrices qui ne devrait pas être inférieur à 30 ans, la nécessité d’une autorisation préalable du tuteur, et le fait que les femmes ne devraient être autorisées à conduire qu’en ville et ce, de 7 h à 20 h du samedi au mercredi et de 12 h à 20 h du mercredi au vendredi.

Malgré les récentes mesures autorisant les femmes à conduire et à se rendre [7], pour la première fois, au stade Roi Fahd de Riyad pour les célébrations du 87ème anniversaire de la fondation du Royaume saoudien, la réforme en Arabie Saoudite est freinée par les restrictions discriminatoires à l’encontre des femmes et la persécution de ceux qui s’expriment en faveur des réformes.

En réalité, le système discriminatoire de tutelle masculine [8] est toujours en place en Arabie Saoudite. Selon ce système, les femmes ont besoin du consentement ou de la présence d’un proche masculin pour voyager à travers le pays, faire une demande de passeport, se marier et même louer leur propre logement. Beaucoup de militants et de défenseurs des droits, dont Essam Koshak [9] et Mariam Al-Otaibi [10], ont été arrêtés arrêter pour avoir participé à la campagne #IAmMyOwnGuardian (Je suis mon propre tuteur) qui appelle à la fin du système de tutelle masculine.

Au cours des dernières semaines, les autorités saoudiennes ont lancé une vague d’arrestations [11] à l’encontre d’écrivains, d’universitaires, de militants en ligne, et de religieux. Les arrestations ont pris la forme de perquisitions au domicile au cours desquelles les appareils électroniques ont été confisqués. Parmi ceux récemment arrêtés, l’universitaire Abdullah Al-Malki [11], connu pour  son militantisme en faveur des droits humains, et Essam Al-Zamel, connu pour ses écrits soulignant la nécessité d’une réforme économique dans le royaume.