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L'Algérie, ancienne championne de la lutte anti-coloniale, expulse maintenant les migrants africains

Catégories: Afrique du Nord et Moyen-Orient, Afrique Sub-Saharienne, Algérie, Droits humains, Ethnicité et racisme, Gouvernance, Médias citoyens, Politique, Réfugiés
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Capture d’ ecran de migrants guineens via France 24

L'actualité pointe encore ses feux sur les mauvais traitements et expulsions dans des conditions inhumaines des migrants en provenance d'Afrique sub-saharienne vivant en Algérie. Les autorités sont allées jusqu'à prendre des mesures extrêmes. C'est ainsi qu'avant de se ressaisir et de s'excuser, la Direction des Transports de la wilaya de Mostaganem, avait publié une directive le 27 septembre interdisant “strictement” [2] aux chauffeurs de bus et de taxis  effectuant de longs trajets de transporter les “migrants illégaux”. Cette circulaire avait été largement partagée et dénoncée par les internautes et les chauffeurs eux-mêmes qui la considéraient “raciste” et “xénophobe”.

Mehdi Alioui chargé des blogs à huffpostmaghreb.com signale les tweets de plusieurs Algériens qui dénonçaient cette directive avant son annulation et rapporte  [2]:

La directive a vite fait scandale, chez les internautes et les transporteurs. Le communiqué a été qualifié de “raciste” et “xénophobe”.

Des chauffeurs ont vivement réagi à cette instruction, estimant que cette instruction était “inapplicable”. “Mais quand même on n’est pas des racistes! Je n’ai pas le droit moi de dire aux passagers qui me tendent leur ticket: hé toi ! montre-moi tes papiers ! Ça c’est le travail des gendarmes ou de la police”, s’exclamait un receveur à la gare routière de Carroubier à Alger.

Les razzias dans les rues et expulsions de migrants sub-sahariens, cependant, continuent. Dans un billet publié par sahel-intelligence.com, Frédéric Powelton décrit les conditions [3] dans lesquelles les arrestations et les expulsions sont faites sans distinction entre migrants légaux et clandestins :

Plusieurs dizaines de migrants clandestins ont été emmenés de force dans le sud algérien avant d’être expulsés sans eau ni nourriture par les forces de l’ordre algériennes, une initiative qui passe mal au niveau humanitaire puisque ces expulsions se font en plein désert.

Dans un nouvel élan raciste, les autorités algériennes ont débuté cette semaine une vague d’expulsion de migrants subsahariens. Les forces de l’ordre ont en effet mené plusieurs arrestations, en vue de renvoyer hors d’Algérie les migrants d’origine subsaharienne. Ces captures se font sans distinction entre les migrants illégaux et ceux ayant une situation régulière.

Ces initiatives s’articulent autour de deux axes majeurs. Dans un premier temps, les forces de l’ordre algériennes mènent des razzias dans plusieurs villes du nord du pays afin de capturer les migrants subsahariens. Après les avoir regroupés, ces derniers sont ensuite acheminés vers le sud du pays avant d’être relâché en plein désert…

La communauté internationale s’inquiète de plus en plus de la voie empruntée par Alger concernant la lutte contre l’immigration illégale.

JULIEN D. confirme [4] ces arrestations dont certaines sont faites au lieu de travail des migrants ou dans la rue, fournit d'autres précisions et relève que ce  n'est pas la première fois que les autorités algériennes se comportent ainsi :

Cette semaine, de nombreux migrants ont été arrêtés par la police dans les rues ou sur leurs lieux de travail. Essentiellement d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique Centrale, ils ont été conduits par bus à Tamanrasset dans le sud du pays. Détenus durant plusieurs jours, ils seront relâchés à la frontière sud de l’Algérie sans leur notifier la destination exacte. Ce qui contribue à créer une véritable inquiétude pour plusieurs organisations des droits de l’homme.

Une situation similaire s’était produite en décembre dernier. Plusieurs migrants avaient alors été relâchés à Agadez [5], dans le nord du Niger et abandonnés à leurs tristes sorts. Cette nouvelle vague d’expulsion interpelle les observateurs, car selon plusieurs observateurs, elle ne garantit pas le respect de la dignité humaine.

Dans un billet écrit en juin 2017, Zahra Rahmouni dénonçait [6] les conditions précaires et sans recours dans lesquelles se trouvent de nombreux Sub-sahariens travaillant sur des chantiers en Algérie et elle ajoutait, à propos du racisme:

Le 20 juin coïncidait aussi avec la journée mondiale des réfugiés. « Nous avons constaté que certaines personnes ont choisi ce jour-là pour mener une campagne raciste et choquante contre les Subsahariens, les Africains, les personnes de couleur », a regretté Hassina Oussedik qui dénonce les appels à la violence relayés sur les réseaux sociaux.

Hier, le hashtag #لا_للافارقه_في_الجزاير [7]  « Non aux Africains en Algérie » était largement partagé sur Twitter et des internautes ont même appelé à « nettoyer les villes » algériennes.

« Nous devons réagir et montrer que les personnes qui tiennent ces propos ne reflètent pas l’ensemble de la société algérienne. Nous sommes un pays africain. Nous avons des compatriotes qui ont une couleur de peau plus foncée. Il important que nous travaillions sur la tolérance et l’acceptation de nos différences », a déclaré Oussedik qui appelle les autorités à prendre des mesures contre le racisme et les appels à la violence.

Pendant les luttes contre le colonialisme et l'apartheid, l'Algérie a joué un grand rôle dans l'assistance aux mouvements de libération nationale. Tous les mouvements de libération nationale (MLN) ont pu ouvrir des bureaux à Alger. C'est ce qui explique que dès sa libération Nelson Mandela ait consacré sa première visite à ce pays pour le remercier, comme le rappelle [8] un billet publié sur berberes.com :

C’est l’Algérie qui a fait de moi un homme» ! Plus qu’un hommage, c’est une profession de foi, celle de Nelson Mandela qui témoigne ainsi d’une gratitude éternelle en direction du pays qui l’a accueilli et entrainé entre 1961 et 1962.

C’est dire que la relation qui lie «Madiba» au pays du Million et demi de Martyrs est intime, presque fusionnelle. Et pour cause ! Jamais, le père de la lutte anti-apartheid en Afrique du sud ne reniera ses amitiés algériennes, encore moins sa reconnaissance à ce pays frappé de plein fouet par l’hydre terroriste au moment, où lui, Mandela dirigeait la transition de sa patrie de l’apartheid vers la «nation arc-en-ciel».

Tous ceux qui avaient des difficultés avec l'oppresseur savaient qu'à Alger, ils pouvaient trouver une oreille attentive et une assistance matérielle adéquate. Le blogueur Mehdi Algérien Patriote évoque dans un billet l'assistance que son pays a fournie aux mouvements de libération nationaux : African National Congress (ANC) d'Afrique du sud, Mouvement populaire de libération de l'Angola,  FRELIMO du Mozambique et PAIGC de Guinée-Bissau.

Pour illustrer l'importance de l'Algérie pour tous les mouvements de libération nationale et la reconnaissance de leurs leaders envers ce pays, le blog History of Algeria rappelle [9]les propos du leader du PAIGC, Amilcar Cabral:

En 1968, lors d’une conférence de presse à la villa Boumaâraf, à Ghermoul, à Alger, siège des mouvements de libération en Algérie, il répondait à la question d’un journaliste américain sur l’engagement et l’aide de l’Algérie en ces termes : « Prenez un stylo et prenez note : les musulmans vont en pèlerinage à la Mecque, les chrétiens au Vatican et les mouvements de libération nationale à Alger ! »

Le Président algérien actuel, Abdelaziz Bouteflika, alors le plus jeune ministre des Affaires étrangères que le monde ait connu ainsi que Président de l’Assemblée générale de l'ONU, a été un fervent avocat de la cause des opprimés et un des fondateurs du tiers-mondisme. Il a été ministre des Affaires étrangères de à , dans les gouvernements d'Ahmed Ben Bella et de Houari Boumédiène, dans la période d'agonie du colonialisme en Afrique. C'est grâce à son action dans ses fonctions et comme Président de l'Assemblée générale de l'ONU que l'Afrique du sud a été exclue en 1974 de l'organisation internationale.