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Le sit-in dans la boue jusqu'au cou des paysans indiens du Rajasthan contre les achats publics forcés de terres

Catégories: Asie du Sud, Inde, Développement, Droit, Droits humains, Environnement, Manifestations, Médias citoyens, Politique, Travail
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“Les paysans creusent des tranchées, et s'y assoient”. Arrêt sur image d'une vidéo YouTube de NDTV

Depuis le 2 octobre 2017, une cinquantaine d'agriculteurs ont entamé à Jaipur, dans le Rajasthan, un État du Nord-Ouest de l'Inde, une protestation au mode inédit [2] : ils s’assoient tour à tour dans des trous où ils sont enterrés jusqu'à la taille dans la boue.

Les protestataires accusent le gouvernement local d'acquérir leurs terres sous la contrainte, après leur avoir versé un dédommagement insuffisant. Ils veulent l'arrêt des acquisitions en cours, la tenue d'une nouvelle enquête, et un déroulement des acquisitions conforme aux termes de la récente Loi sur l'Acquisition foncière de 2013 [3] promulguée le 1er janvier 2014.

Avant d'entreprendre la manifestation “sale” en cours, à laquelle ils ont donné le nom de “Zameen Samadhi Satyagraha [4]” (satyagraha [5], une désobéissance civile non-violente), les paysans avaient organisé un sit-in de 14 jours, dans l'indifférence du gouvernement.

Ils ont alors creusé 40 trous et quelques tranchées. [6] Parmi les 54 individus de tous âges qui prennent leur tour de s'asseoir dans les trous, il y a plusieurs femmes dont une de 90 ans, Nanthi Bai.

Le litige foncier se déroule près de Jaipur au village de Nindar [7], qui fait partie des 330 hectares (1.300 bigha) que le gouvernement d’État a mis en réserve en 2010 pour le projet Ninder [8] de construction de 10.000 maisons. Celles-ci seront à la portée des classes à faibles revenus, des “catégories économiquement faibles”, et de la classe moyenne.

Depuis que l'acquisition des terrains pour le projet a commencé en 2010, les habitants de Jaipur la contestent par des moyens divers. Jusqu'ici, la Jaipur Development Authority [9], qui réalise le projet, a acquis 150 hectares [4] sur le territoire du village, et les agriculteurs veulent bloquer l'acquisition de ce qui reste. La Jaipur Development Authority a consigné 600 millions de roupies indiennes (7,8 millions d'euros) devant un tribunal local [10] pour une partie des terrains. Les paysans contestataires affirment que le calcul des compensations remonte à 2010 alors que les prix actuels du marché sont beaucoup plus élevés. Environ 5.000 familles, dont celles des paysans, seront concernées par les acquisitions.

Qui plus est, le projet a reçu le feu vert avant qu'une nouvelle loi sur les acquisitions foncières soit adoptée en Inde. Le haut-fonctionnaire à la retraite Laxman Burdak [11] a rappelé sur Facebook :

L'administration devrait acquérir les terres des paysans selon les termes de la nouvelle Loi sur les acquisitions foncières, la réhabilitation et la relocalisation. Il est clairement mentionné que l'administration ne peut pas acquérir de terres sans le consentement de 80 % des paysans.

1,3 milliard de personnes vivent en Inde, avec une densité de population [12] de 445 au kilomètre carré. C'est donc la terre qui est la ressource rare dans ce pays. La Loi d'acquisition foncière de 1894 [13] de l'ère coloniale britannique accordait une protection insuffisante aux victimes d'acquisitions foncières. La nouvelle loi de 2013 qui la remplace promet  [14]:

1) Dédommagement accru pour les paysans : les prix du marché sont mis à jour
2) Application plus large : les non-propriétaires subissant une perte de revenus sont dédommagés
3) Réhabilitation et relocalisation deviennent obligatoires
4) Recueil du consentement éclairé des expulsés : au moins 80 % pour les projets privés
5) Exigence d'évaluations de l'impact social pour déterminer les effets d'un projet sur les terres et les revenus des gens : en particulier, pour identifier toutes les personnes concernées.

Raj Kumar, commissaire adjoint de la Jaipur Development Authority, a pourtant déclaré aux média [15] que le processus d'acquisitions foncières avait démarré en 2010 et que l'affaire était finalisée avec dédommagements appropriés en mai 2013. Les autorités sont allées jusqu'à dire que des “intérêts personnels” se dissimulaient derrière l'agitation.

Une posture malvenue, estime Videh Kumar [16] de New Dehli :

Une réhabilitation convenable est impérative, si elle n'est pas assurée, les programmes, aussi bon qu'en soit le concept, ne manqueront pas d'inciter à une forte agitation.

Les paysans disent que leur détresse n'est pas entendue. L'expatrié indien Kazim Ahmed [17] a exprimé sur Facebook son mécontentement que les médias indiens n'en fassent pas assez pour souligner la détresse des victimes :

Ç'a été une information internationale, [et] qu'ont fait d'autre les médias indiens que de seulement rapporter ? Pas de débats télévisés nationaux, on préfère nous détourner vers des sujets mineurs !

Pour ce que ça vaut, l'ex-ministre en chef du Rajasthan Ashok Gehlot a tweeté sur l'affaire :

Vision insoutenable des paysans de Ninder qui manifestent en s'enterrant le corps dans la boue.

Ces paysans ne mendient pas de faveurs ni ne demandent l'aumône, ils réclament ce qui est leur droit le plus strict.

Et la journaliste Smita Prakash d'écrire :

Les paysans et leurs familles au Rajasthan s'enterrent dans la boue pour protester contre l'acquisition publique de leurs terres. 17e jour aujourd'hui.

Reste à savoir si cette manifestation apportera aux participants l'attention espérée.