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Catalogne : entre espoir et indignation après le référendum pour l’indépendance

Catégories: Europe de l'ouest, Espagne, Cyber-activisme, Droit, Élections, Manifestations, Médias citoyens, Politique

Une personne âgée invective la police nationale lors du référendum catalan du 1er octobre 2017. Photo de Vicens Forner Puig [1], publiée avec son autorisation.

[Article d'origine publié en espagnol le 5 octobre 2017. Les liens de cet article renvoient vers des pages en espagnol.]

Les citoyens qui disposent du droit de vote en Catalogne ont publié sur les réseaux sociaux, accompagné du mot-clic #votarem [2] (nous voterons), des photos et des témoignages de leur participation au polémique référendum pour l'indépendance [3] de la région, organisé le 1er octobre 2017 et qualifié d’illégal par le gouvernement central de Madrid qui l’avait déclaré inconstitutionnel. [4]

L’actuel processus d’indépendance catalane [5] a débuté en 2012, lorsque le Parlement catalan a demandé à Madrid l’autorisation d’organiser un référendum d’autodétermination. Malgré les continuels refus, soutenus par le Tribunal constitutionnel, [6] le gouvernement catalan a choisi de convoquer unilatéralement une consultation non contraignante en 2014 et, finalement, un référendum il y a 10 jours.

La couverture médiatique de l’événement réalisée par la télévision publique et d’autres importants médias a fait l’objet de nombreuses critiques [7], mais il était possible de suivre le déroulement de la journée de consultation minute par minute sur le terrain, depuis les réseaux sociaux. En effet, le Web a rapidement été inondé de témoignages d’espoir, de personnes ayant passé la nuit dans les collèges où se tenait le vote [8] pour éviter qu’ils soient fermés ou de longues files [9] qui reflétaient les heures d’attente pour pouvoir voter.

Parmi les images qui ont particulièrement ému les internautes, celles de personnes âgées entrant ou sortant des isoloirs sous les applaudissements [10] du voisinage. Leur implication tout au long du processus [11] a donné lieu à des slogans tels que Sense les àvies no hi ha revolució [12](« Pas de révolution sans les grands-mères » ) ou Nuestros abuelos no se tocan [13](« Pas touche à nos grands-parents »)

Dans des moments d’une telle répression, certaines déterminations soulagent.

La violence des forces de sécurité espagnoles [18] fut indéniablement l’élément le plus débattu : des vidéos de bus remplis de policiers en provenance de Courdoue [19], à l’autre bout du pays, aux images de pompiers basques [20] venus se joindre aux pompiers catalans [21]pour défendre les urnes [22]. Un nombre considérable de commentaires sont venus alimenter les tweets, les vidéos et les articles qui prônaient ou critiquaient la répression, dans un vif débat sur la question de la légalité ou de l’illégalité du référendum [23].

L’indignation face aux violences policières ne s’est pas cantonnée à la Catalogne. Par exemple, dans un tweet devenu viral, Patricia Horrillo, activiste et journaliste à Madrid, a défendu que la critique de la répression policière devait être dissociée des opinions politiques personnelles :

On peut ne pas être d’accord avec l’indépendantisme, mais si vous regardez les images de la répression policière d’aujourd’hui et que cela ne vous indigne pas, je m'inquiéterais.

L’indignation s’est exprimée dans la rue avec la convocation de manifestations de solidarité avec le peuple catalan, dans différentes villes du pays, notamment à Madrid, à Séville [25] ou à Grenade [26].

Début du rassemblement de soutien à la Catalogne, à la Puerta del Sol.

Au-delà des résultats du référendum [30] et des tensions nationales, les réseaux sociaux se sont fait l’écho de diverses anecdotes conciliatrices, par exemple avec des photos ou des vidéos de personnes qui sont allées voter enveloppées du drapeau espagnol [31], républicain [32] ou vêtues du maillot de l’équipe nationale de football, des images qui se sont reproduites lors de la grève [33]organisée deux jours après le scrutin pour protester contre les violences policières.

Voilà comment on fait la révolution ici. Ne vous laissez pas tromper par les médias.

De nombreux citoyens ont choisi de ne pas participer au scrutin, qu’ils considéraient illégitime ou inutile [38]. Toutefois, au vu des images de répression, d’autres, qui n’avaient pas l’intention de voter, ont exprimé leur détermination à le faire, en geste de protestation [39] et se sont unis par solidarité à la grève.

Ce geste ne demande aucune explication. C’est la bonne voie.

De même, certains votants ont opté pour un « non » à l’indépendance et expliqué sur les réseaux sociaux leur décision de participer au référendum, qu’ils considéraient comme l’exercice d’un droit démocratique à défendre.

Un manifestant qui a voté « non » au référendum catalan explique les raisons qui l’ont poussé à faire grève.

Le référendum a également réveillé certaines contradictions au sein de franges de la population catalane qui ne se sentaient en principe pas concernées par la question ou qui n’avaient pas le privilège de pouvoir participer au scrutin. Dans un article du journal El Salto [46], la militante féministe andalouse Ana Burgos [47], établie en Catalogne, se demandait « que fait une Andalouse, avec toutes les histoires d’andalouphobie dont je suis victime chaque jour, à ne rien défendre ici. »

Durante el inicio y desarrollo del procés nunca me sentí interpelada: un liderazgo convergente que poco tenía que ver conmigo en una sociedad –como tantas otras– profundamente clasista, racista y patriarcal cuyo proyecto político nacional, poco autocrítico, no me representaba. (…)

Entonces, las ofensas al pueblo por parte de Rajoy [el presidente] y sus secuaces nos hicieron salir a defender un proceso del que desconfiábamos y unas instituciones en las que no creíamos, o al menos problematizábamos, muchas de nosotras. (…) Y es que más bien nos estábamos echando a las calles a defender a nuestras hermanas y vecinas, a un pueblo al que le está cayendo la del pulpo.

Au début et au cours du processus, je ne me suis jamais sentie concernée : un leadership convergent qui n’avait pas grand-chose à voir avec moi dans une société, comme tant d’autres, profondément élitiste, raciste et patriarcale, dont le projet politique national, peu autocritique, ne me représentait pas. (…)

Puis, les offenses de Rajoy [le président] et de ses acolytes contre le peuple nous ont poussées à prendre la défense d’un processus dans lequel nous n’avions pas confiance et des institutions dans lesquelles nous ne croyions pas, ou du moins qui posaient problème à beaucoup d’entre nous. (…) En fait, nous sortions dans la rue plutôt pour défendre nos sœurs et nos voisines, un peuple pris pour cible.

Parmi les autres critiques et contradictions soulevées, certains soulignaient les centaines de milliers d’immigrés qui résident en Catalogne, mais n’avaient pas le droit de participer au référendum [48]. Sohaib Takkal Hassani, activiste et porte-parole de l’association Juventud Multicultural Musulmana (Jeunesse multiculturelle musulmane) s’est exprimé ainsi dans une publication Facebook [49] :

Ella: ¿Iras a votar el domingo?
Yo : No, no tengo el derecho a voto
Ella: Y si lo tienes, irías a votar?
Yo : No Tengo el derecho a voto
Ella: Si, Si, entiendo. Pero en el caso que tengas, irías a votar?
Yo : No tengo el derecho a voto
Ella: Enserio… ¿Irías a votar?
Yo : Iré a vomitar porque votar no puedo.

Elle : Tu iras voter dimanche ?
Moi : Non, je n’ai pas le droit de vote.
Elle : Et si tu l’avais, tu irais voter ?
Moi : J’ai pas le droit de vote.
Elle : J’ai compris, mais si tu l’avais, tu voterais ?
Moi : Non, j’ai pas le droit de vote.
Elle : Sérieusement… tu voterais ?
Moi : Je vomirai, parce que je ne peux pas voter.

Fàtima Aatar [50], anthropologue et activiste, s’est penchée pour le magazine La Directa sur le fait que les résidents étrangers ne puissent pas se prononcer :

…com és possible que en un exercici de desobediència política, jurídica i social no s’hagi desobeït en aquesta qüestió concreta? Per què s’ha escollit heretar la Llei d’estrangeria espanyola tenint en compte que és de les qüestions més característiques del règim? Desobediència? Quan i per a qui?

Comment est-il possible que dans un exercice de désobéissance politique, juridique et sociale, il n’y ait pas eu de désobéissance à ce sujet concret ? Pourquoi avoir choisi d’hériter de la loi espagnole sur les droits et les libertés des étrangers, en tenant compte du fait qu’il s’agit d'une des questions les plus caractéristiques du régime ? Désobéissance ? Quand et pour qui ?

Moha Gereou [51], journaliste et activiste établi à Madrid, a tiré des parallèles entre les violences physiques et administratives exercées par l’État espagnol contre les immigrants [52] et la répression lors du référendum :

Si tu n’es pas espagnol et que tu veux le devenir, tu t’exposes à des violences.
Si tu es espagnol et que tu ne veux plus l’être, tu t’exposes à des violences.

Les jours, les semaines et les mois à venir s’annoncent chargés et il est difficile de prédire les événements [55]. Toutefois, il est évident que l’Espagne et la Catalogne font face à l’un des processus les plus complexes et déterminants de leur histoire démocratique moderne et que la manière dont les institutions y répondront marquera l’avenir de l’État, des peuples qui le composent et, surtout, de ses citoyens.

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