USA : Trois semaines après l'ouragan Maria, les autorités “blanchissent” la dévastation et les morts à Porto Rico

Une rue inondée à San Juan, Porto Rico après l'ouragan Maria. Photo US Department of Defense, domaine public domain.

Lorsque l'ouragan Maria a frappé Porto Rico, il a laissé les pires destructions causées par une tempête dans cette île de la Caraïbe et le territoire des USA depuis près d'un siècle.

Plus de deux semaines après la tempête [l'article d'origine a été publié le 9 octobre, NdT], les Porto-Ricains sont confrontés à des pénuries potentiellement mortifères de nourriture, eau potable et carburant. Plus de 90 % des foyers restent privés d'électricité, 60 % sont sans eau courante, et 75 % des réseaux de télécommunications sont toujours hors d'usage.

Les médias de Porto Rico découvrent que, si certains chiffres-clés, comme l'accès général à l'électricité et à l'eau, sont rapportés avec une relative précision, le reste de l'information relative aux destructions est, selon le mot d'un membre du Congrès des Etats-Unis, “whitewashed”, “blanchie”, dissimulée.

Le nombre de morts varie largement aussi, entre les estimations officielles et les compte-rendus locaux.

Les faits et chiffres de cet ordre ont une importance cruciale dans toute opération de secours et d'aide après une catastrophe. Ils sont essentiels à la compréhension de la situation et à la prise de décision sur l'allocation des ressources pour la reconstruction. Ils peuvent aussi constituer un outil indispensable pour permettre aux citoyens et aux organes d'information de tenir les institutions responsables de leurs engagements envers leurs administrés.

La recherche des responsabilités se complique d'autant plus que Porto Rico, en tant que territoire des États-Unis, n'a qu'un seul représentant au Congrès, sans droit de voter. Et si les congressistes d'ascendance porto-ricaine interviennent en faveur de Porto Rico, leurs appels à l'action sont largement ignorés.

Qui détermine le bilan humain ?

Le nombre officiel des morts faits par un ouragan est parmi les chiffres dont la publication est de la plus haute importance. Pendant plusieurs jours après la tempête , le nombre de morts a plafonné à 16, selon les autorités locales porto-ricaines et fédérales américaines. Mais quelques heures seulement après que Donald Trump concluait sa conférence de presse à San Juan le 3 octobre, les autorités ont publié un décompte révisé à 34 morts.

Les investigations locales font cependant envisager un bilan réel beaucoup plus lourd.

Dans un entretien avec le Secrétaire à la Sécurité publique Héctor Pesquera, le Center for Investigative Journalism (CPI) basé à San Juan a appris qu'au moins 200 personnes sont mortes à Porto Rico du 20 au 29 septembre compris, un nombre qui excède largement celui d'une période [normale] aussi courte. Et ce ne sont là que les enregistrements officiels — L'absence d'électricité a obligé les services d'état civil à faire les enregistrements manuellement, ralentissant ainsi le processus.

Par des entretiens à l'hôpital Pavía d'Arecibo, le CPI a appris que 49 personnes étaient décédées dans ce seul hôpital les deux premiers jours ayant suivi l'ouragan, pendant lequel l'établissement était quasiment dépourvu d'électricité.

Chiffres biaisés, et brièvement censurés

Le gouverneur de Porto Rico Ricardo Rosello a déclaré le 3 octobre que 63 des 69 hôpitaux de l'île avaient rouvert. Mais que veut dire “rouvrir” pour un hôpital ? Les responsables publics ont expliqué que cela signifiait que les hôpitaux acceptaient des patients. Une liste publiée par les services du gouverneur indique que 29 hôpitaux sur les 63 décrits comme étant “opérationnels” n'ont toujours pas d'électricité.

Le gouvernement fédéral américain rechigne également à fournir des données exhaustives sur la situation. Le 5 octobre, les utilisateurs du site web de la FEMA, l'Agence fédérale des situations d'urgence, ont constaté que les statistiques détaillées sur les coupures d'eau, d'électricité et autres commodités publiées et routinièrement mises à jour, avaient soudain disparu.

Les chiffres détaillant les opérations de secours — pour la plupart, des chiffres “positifs” comme le nombre d'hôpitaux, de magasins d'alimentation et de stations-service rouverts — demeuraient, eux, en ligne. Quand de multiples organes de médias ont rapporté ce fait de censure, les chiffres sont revenus. Ce qui n'a pas pour autant rassuré le public sur l'obstination de l'administration à vouloir l'empêcher de connaître la situation sur l'île.

Dans un entretien avec le Washington Post, le représentant de l'Illinois Luis Gutierrez, qui est d'ascendance porto-ricaine et s'est rendu sur l'île après l'ouragan, a ouvertement accusé le gouvernement d'essayer d'empêcher l'information sur les dégâts d'atteindre le public des États-Unis continentaux.

“Ils ne veulent pas qu'on sache la vérité…chaque histoire qu'on trouve est une tragédie humaine. De vie et de mort et de lutte entre les deux”, dit-il.

Gutierrez a aussi expliqué que le président et les responsables de son administration dissuadaient les membres du Congrès d'aller dans l'île. “Nous sommes donc allés acheter nous-mêmes nos billets d'avion et y avons été.” Et de poursuivre :

A notre retour, nous avons dit la même chose que chaque journaliste qui a été là-bas : Ceci est une crise humanitaire.

Si la nouvelle n'est pas bonne, elle est forcément fausse !

A côté de l'information inégale sur les dommages de la tempête, Donald Trump et son gouvernement ont ouvertement tout fait pour maîtriser le récit plus général sur l'ouragan Maria et ses effets. Les hauts responsables ont délibérément mis en avant et encouragé les “bonnes” nouvelles sur les opérations de remise en état, et ouvertement intimidé les responsables publics et médias qui tentaient de ne pas faire de même.

Quelques jours avant la visite de Trump, la directrice par intérim du Département de la Sécurité intérieure Elaine Duke a vanté l'opération de secours du gouvernement américain à Porto Rico, qu'elle a qualifié de “bonne nouvelle”. La maire de San Juan Carmen Yulín Cruz n'a pas tardé à prendre le contre-pied, en qualifiant la dévastation de “nouvelle de gens qui meurent”. Trump a presque instantanément cinglé la maire sur Twitter, l'accusant de “mauvais leadership” et l'accusant d'avoir reçu des démocrates l'ordre d'être “méchante” avec lui.

A part ses attaques contre Yulín Cruz, les tweets de Trump en rapport avec Porto Rico se sont centrés sur deux idées :  les opérations de secours “réussies” (ses propres mots) des premiers intervenants et de l'agence fédérale FEMA, et le spectre de la “fausse” couverture médiatique de la dévastation.

Quand Trump a accusé les réseaux de médias d’ “ôter le moral” aux soldats et aux premiers intervenants, le premier à rétorquer a été Ali Velshi de MSNBC, accusant Trump de “blanchir” l'histoire :

Nous faisons des heures sup’ pour dire la VRAIE Histoire, @realDonaldTrump, que vous avez blanchie

Quand Trump a demandé aux Porto Ricains de ne pas “croire les fausses informations”, un twitteur a répondu : “Ils cherchent désespérément de l'eau potable propre, ils ne consultent pas leur Twitter !”

Une Porto-Ricaine vivant sur le continent a riposté en décrivant le désespoir de sa mère :

Ma mère a enfin réussi à me joindre aujourd'hui. Elle n'a plus rien à manger et dit qu'autour d'elle ça ressemble à une zone de guerre. C'est ça la vraie information !

NdT : Donald Trump a tweeté aujourd'hui 12 octobre que l'aide fédérale à Porto Rico ne sera pas “éternelle”, ajoutant que “L'électricité et toutes les infrastructures étaient désastreuses avant les ouragans. Le Congrès va décider”.

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