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Qui était Boukary Konaté? Retour sur les projets d'un pionnier du web malien

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, Mali, Arts et Culture, Cyber-activisme, Développement, Education, Médias citoyens, Santé

Boukary Konaté avec les enfants de son village – photo d’ Eduardo Avila avec sa permission

Le Sommet de Global Voices 2017 démarre dans un mois (ou presque). Une célébration de la vie et des projets de collaborateurs de Global Voices comme Boukary Konaté [1] aura lieu. Voici un retour sur les accomplissements de ce pionnier du web Malien:   

Les initiatives concrètes de solidarité du monde entier pour lui venir pour ses soins lors de sa maladie ainsi que les nombreux témoignages d'appréciation et de sympathie qui fusent de toutes parts démontrent suffisamment le vide laissé par la disparition de Boukary Konaté le 17 septembre 2017. Mais que faisait-il de si exceptionnel? Voici quelques éléments de réponse.

Lors de la cérémonie de remise des prix du concours lauréats des BOBs, organisé par la Voix de l'Allemagne, à laquelle avait participé le chef de la diplomatie allemande M.Guido Westerwelle, que Boukary avait remporté, le site dw.com le présentait ainsi [2]:

Mardi après-midi (26 juin), la Deutsche Welle remet officiellement les prix de son concours de blogs, les BOBs. Le Malien Boukary Konaté se voit récompenser pour son blog baptisé “Fasokan”. Il gagne le prix du jury dans la catégorie “Éducation et Culture”. Cet enseignant de formation est attaché aux villages de son pays…

Une grappe d'enfants se masse autour d'un ordinateur équipé d'une batterie solaire et découvre le vaste monde à travers internet. C'est l'une des images que l'on peut voir sur le blog Fasokan [3] de Boukary Konaté, un enseignant malien qui, depuis de nombreuses années, s'efforce de jeter des ponts entre les villages du Mali, avec leurs cultures et leurs traditions, et les nouvelles technologies. Son blog bilingue, en français et en bambara, a été récompensé par le jury des BOBs, le concours international de blogs de la Deutsche Welle, dans la catégorie spéciale Éducation et Culture.

Parlant du blog Fasokan de Boukary, Claire Ulrich, membre francophone du jury expliquait [2]ainsi son jugement:

Boukary Konaté n'a jamais oublié le monde rural dont il est originaire, ni son métier de professeur, Il consacre beaucoup de son temps libre à des sessions de formation à l'internet mobile dans les villages, les cyber-cafés et les écoles rurales. » Dans son blog, Boukary Konaté explique sa démarche ainsi : « Le peu que je peux faire pour le développement et la promotion des langues africaines, je le fais pour que nos langues traversent les rivières et les fleuves et prennent place parmi les autres langues dans le vestibule de partage d'information et de savoir, qu'est Internet.

Le site rfi.fr, a révélé que Boukary a été un des premiers blogueurs africains [4] à être sélectionnés en 2010 pour la première édition du réseau Mondoblog qui regroupe actuellement 600 blogueurs de 70 pays:

Boukary Konaté était un blogueur faisant partie de la première sélection de Mondoblog en 2010. Il avait été l’un des premiers Africains à donner du corps à l’expression « blogueur engagé ». Infatigable baroudeur, Boukary portait un amour infini pour la culture de son pays, le Mali. Il allait donc dans les villages les plus reculés recueillir la sagesse de ces contrées et se servait de son blog sur Mondoblog [5], mais aussi de ses différentes collaborations avec des médias internationaux (Global Voices, France 24) pour la faire connaître dans le monde. Ce professeur de bambara, de français et d’anglais, assurait aussi une mission d’éducation des populations des régions reculées du Mali, en leur permettant par exemple de découvrir l’Internet et ses multiples usages.,,

Des blogueurs faisant partie de ce réseau ont eux aussi voulu rendre hommage à Boukary. C'est le cas de Faty, qui se définit comme de “formation psychologue, enseignante d'abord ensuite beaucoup d'autres métiers. ..engagée jusqu'au bout et eternelle amoureuse de sa ville natale, Tombouctou”. L'ayant connu personnellement, elle nous révèle que Boukary avait une phobie de l'avion [6]:

Oui. Boukary était le seul blogueur qui avait peur de l’avion, à ma connaissance, ignorant sciemment le personal branding pour prêter la vedette à ceux qu’il rencontrait…
La culture malienne. Les traditions sont l’essence de ce héros qui su utiliser l’éducation et l’innovation pour connecter nos zones rurales au monde, mais aussi connecter le monde à cette richesse de notre patrimoine.
Boukary, repose en paix.
Tu resteras dans nos cœurs.

Georges Attino, journaliste… passionné de culture, de musique et aussi de langues africaines, regrette de n'avoir pas connu Boukary et lui dédie  [7]“Janjo” l’hymne aux guerriers dans la société société traditionnelle bambara:

Boukary [8], j’aurais voulu te rencontrer autour d’un verre de thé. Pour autant même sans t’avoir vu je te connaissais. J’avais entendu parler de l’homme qui parcourait les villages à vélo et à moto. Tu voulais réveiller ces villages [9], les révéler à tous pour préserver le patrimoine culturel du Mali [10]. Ce réveil passait par la valorisation des langues nationales. On avait parlé d’un projet de journal écrit en bambara (mandingue). On avait prévu de se voir pour en parler en profondeur. Comme tu l’avais dit « tout ce qui est debout se couchera un jour » et ton jour est malheureusement arrivé.

Boukary [11] tu faisais partie des doyens du blogging au Mali. T’es le précurseur du blogging en bambara. Fasokan  [12](« la langue de la patrie », en bambara) était même ton surnom sur les réseaux sociaux.  Quand le village se réveillera [13] tu ne seras plus là. Ton parcours est semblable à ton nom de famille: Konaté (konatɛ) « kona tɛ » qui veut dire « qui n’est pas stérile » tu n’as pas été stérile Boukary. Tu as enfanté en moi cet amour du partage, de la culture des langues nationales.

Tu mérites le « janjo ». C’est la chanson la plus populaire de la culture mandingue. Cette culture que tu défendais tant. « Janjo » c’est l’hymne des guerriers, dédié à ceux qui se sont fait remarquer par des actions nobles. Ce chant c’est la victoire sur l’ennemi. Ton ennemi c’était l’oubli, l’oubli dans lequel les traditions maliennes pourraient tomber. Le jour s’est levé sur eux grâce à toi.

I ni ce, i ni baara (Merci pour ce travail).

Pour le blogueur et journaliste [13] Boubacar Sangaré qui l'a connu depuis leur formation dans le cadre du projet Mondoblog:

Passif ? Il refusait de parler de politique. Sur son blog Fasokan [12], Boukary écrivait en langue bambara, qu’il voulait valoriser, la sortir des emprunts et des amalgames. Ensuite est venu son projet culturel Quand le village se réveille [14]. « Fasokan », comme on l’appelait, parcourait les villages pour collecter les traditions, la culture et les diffuser. Son surnom lui-même vient du bambara, de faso [15]patrie [16]») et de kan [17]langue [18]»).

Les traditions, il aimait en parler comme le Christ aime l’Église. C’est grâce à lui que l’on pouvait découvrir pourquoi une grenouille n’a pas de queue. C’est grâce à lui que l’on pouvait découvrir ce qui se cachait derrière le masque dogon.

Boukary est un baobab qui est tombé. Un puits plein qui souffrait de voir à côté d’autres puits secs. Une outre pleine dont on a pu tirer beaucoup de choses. Une bibliothèque qui n’a pas brûlé, car ce qu’il savait, il l’a partagé avec nous dans les conditions que nous connaissions tous.

Boukary Konaté faisait partie aussi du réseau des Observateurs de la chaine TV France24 depuis 2010. Il y était considéré comme “adepte des sujets étonnants”. Le site observers.france24.com, lui rend hommage [19] en ces termes:

Boukary Konaté était quelqu’un qui donnait son temps aux autres. Le numérique le fascinait et il en avait fait une arme au service de la culture : en 2014, il a lancé le projet “Quand le village se réveille”, un blog [9] puis une page Facebook [20] et une application smartphone [21] où il recensait chaque semaine, avec des articles, des photos et des vidéos tous les aspects du patrimoine culturel malien. On peut notamment y apprendre à quoi servait un curieux bonnet dogon ou encore à quoi jouent les habitants dans les coins reculés de son pays. Le projet a séduit le ministère de la Culture et de l’Education du Mali, ainsi que les internautes, qui l’avaient soutenu lors d’une opération de levées de fonds sur Internet.

La marque de fabrique de Boukary Konaté, c’était surtout son temps donné aux autres…

Ses projets servaient surtout à diffuser ses connaissances lors d’ateliers de formation. À plusieurs reprises, Boukary Konaté s’était rendu dans les régions maliennes éloignées de la capitale pour former les jeunes générations aux bases du blogging et les sensibiliser sur l’importance de sauvegarder leur culture.

Il révèle [19] aussi:

En 2016, il avait lancé “Malebooks [22]“, projet auquel il croyait dur comme fer et qui visait à apporter la connaissance et les livres dans des régions du Mali où les bibliothèques manquent cruellement. Le projet a déjà permis de distribuer 48 liseuses contenant en moyenne 4 000 livres libres de droit, dans des écoles des régions de Ségou, Gao et Bamako, et à des élèves de 13 à 19 ans. Boukary expliquait.

Le réseau des Observateurs de la chaine TV France24 rendra hommage à Boukary Konaté dans une émission programmée du 23 au 30 septembre. D'autre part, un premier article a été mis en ligne [23] sur ce réseau avec plusieurs témoignages de personnes qui l'ont connu.

Dans cette video de la RTM Boukary explique ce que c'était son projet “Quand le village se réveille”.