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La Malaisie interdit des livres et dessins considérés comme “portant atteinte à l'ordre public”

Catégories: Asie de l'Est, Malaisie, Arts et Culture, Censure, Gouvernance, Liberté d'expression, Littérature, Manifestations, Média et journalisme, Médias citoyens, Politique, Religion
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Le dernier recueil du caricaturiste politique Zunar a une nouvelle fois été ciblé par un moratoire du gouvernement malaisien. Image tirée du site web de Zunar.

Sauf mention contraire, les liens de cet article renvoient vers des pages en anglais.

Le ministère de l’Intérieur malaisien a interdit [2] la vente et la distribution des ouvrages de l’auteur turc Mustafa Akyol ainsi que ceux de deux auteurs malaisiens, Ahmad Farouk Musa et Faisal Tehrani, sous prétexte qu’ils “portent atteinte [3] à l’ordre public”. La directive, datée [4] du 6 septembre 2017, n’a été rendue public que le 28 septembre. Akyol, Farouk et Faisal promeuvent tous un islam modéré et progressiste dans leurs ouvrages.

Le caricaturiste politique Zulkiflee Anwar Ulhaque, plus connu sous le nom de Zunar [5], a également annoncé que son dernier recueil de dessins en date, intitulé “Sapuman: Man of Steal”, avait à nouveau été interdit [6] par le gouvernement.

En Malaisie, dont la population est majoritairement musulmane, le gouvernement prétend promouvoir une relation harmonieuse entre les différentes ethnies et religions coexistant dans la société. Mais ces dernières années, certains leaders et groupes politiques islamiques tenants d'une ligne dure ont accédé à des positions de pouvoir au sein de plusieurs institutions d’État et utilisent désormais cette plate-forme pour promouvoir et imposer une interprétation plus stricte de la religion.

L'un des derniers exemples en date de cette tendance est la brève détention [7] d’Akyol en Malaisie le 25 septembre après que les autorités religieuses l’ont accusé d’enseigner l’islam sans disposer d’autorisation officielle du gouvernement. Akyol, un éminent journaliste et universitaire, était invité par le Front de la renaissance islamique malaisien (Islamic Renaissance Front – IRF) afin de dispenser une série de conférences sur l’islam, les droits de l'homme et la démocratie.

Et maintenant… les autorités malaisiennes interdisent mon livre “L’islam sans les extrêmes : un plaidoyer musulman pour la liberté”, qui avait été publié en malais il y a un an.

Farouk Mousa, un membre de l’IRF, accuse [10] le gouvernement de sectarisme et d’anti-intellectualisme :

By banning books that provoke the mind to think critically, this government of ours showed its true colour of being an authority of bigotry and anti-intellectualism.

En interdisant des livres qui développent l’esprit critique, notre gouvernement montre son véritable visage : celui d'une autorité sectaire et anti-intellectuelle.

Tehrani a déclaré que ce récent moratoire sur des livres prouve que le parti au pouvoir depuis les années 1950 a déjà “atteint un état de crise et de folie visant à contrôler la société et les esprits.”

“Lorsque le gouvernement faillit, dessiner est un devoir”

Zunar, qui a par le passé été arrêté pour sédition à cause de ses caricatures, a acquis une reconnaissance mondiale pour son travail, raflant entre autres les récompenses [11] du Committee to Protect Journalists et de Cartoonist Rights Network International. Dix autres ouvrages [fr] [12] de Zunar sont toujours interdits par le gouvernement.

Zunar réclamant que la police lui rende les 1.187 livres et 103 t-shirts ayant été saisis lors de son arrestation en décembre 2016. Photo publiée sur la page Facebook Zunar Cartoonist Fan Club.

Sur Twitter, il appelle [1] les autorités à respecter la liberté des artistes :

Le gouvernement malaisien annonce l’interdiction du recueil de caricatures de Zunar, “SAPUMAN, MAN OF STEAL.” A ce jour, 11 ouvrages de Zunar ont été interdits.

Faisant référence à l’implication du Premier ministre dans une affaire de corruption à hauteur de plusieurs centaines de millions de dollars, Zunar poursuit [1] :

I don’t make fantasy cartoons. My cartoons are results from my reaction on current issues, especially on corruption. Do not blame the cartoonist if politicians steal billions.

Je ne fais pas de dessins fantaisistes. Mes dessins sont le fruit de ma réaction aux problèmatiques actuelles, en particulier la corruption. N’accusez pas le caricaturiste si les politiciens dérobent des milliards.

Zunar a annoncé qu’il ferait appel de l’interdiction devant les tribunaux et a promis de continuer à dessiner même si ses recueils sont interdits :

I would like to reiterate that this ban will not stop me from drawing cartoons to expose corruption and injustice. You can ban my books, you can ban my cartoons, but you cannot ban my mind. When the government is faulty, drawing cartoon is a duty.

Je voudrais rappeler que cette interdiction ne m’empêchera pas de continuer à dessiner afin d’exposer la corruption et l’injustice. Vous pouvez interdire mes livres, vous pouvez interdire mes dessins, mais vous ne pouvez pas interdire mon esprit. Lorsque le gouvernment faillit, dessiner est un devoir.

“Pourquoi restreindre le savoir ?”

Karima Bennoune, la Rapporteuse spéciale des Nations Unies dans le domaine des droits culturels, avertit [15] qu’interdire des livres “pourrait empêcher qu'un débat grandement nécessaire ne s'engage.”

Inquiète d'apprendre l’interdiction de livres, dont certains sur un islam modéré et progressiste alors même que le gouvernement vante ces concepts à l’étranger.

Le prédicateur musulman Wan Ji Wan Hussin questionne [19] la légitimité de ce moratoire sur les livres d’Akyol et d’autres universitaires :

Likely to alarm public opinion? Only those with weak intellect will feel alarmed.

Such moves (book banning) are done by people who are against civilisation (Malay: tamadun). Those who are pro-civilisation would celebrate and take pride in intellectuals and their work.

Susceptibles d’alarmer l’opinion publique ? Seuls ceux qui disposent d’un intellect limité s’alarmeront.

Ce genre de décision (interdire des livres) est pris par des réfractaires à la civilisation. Les pro-civilisation célèbreraient et seraient fiers de ces intellectuels et de leur travail.

Dans une interview recueillie par Free Malaysia Today [20], Eric Paulsen du groupe Lawyers for Liberty (Avocats pour la Liberté) affirme qu’il est dangereux [21] pour le gouvernement d’empêcher le public d’accéder à l’information :

Why restrict knowledge? Why allow the government to decide what can or cannot be read, and what is the right or wrong interpretation of a particular issue, no matter how sensitive?

Pourquoi restreindre le savoir ? Pourquoi permettre au gouvernement de décider ce qui peut ou ne peut être lu, quelle est la bonne ou la mauvaise interprétation d’une problématique, même sensible ?

Le ministère de l’Intérieur a invoqué la loi relative à la presse et aux publications afin de justifier l’interdiction de ces livres, jugés néfastes à l’intérêt général. En juillet 2017, il avait également ordonné [22] l’interdiction d’un livre sur l’islam et la démocratie constitutionnelle. Peut-être est-il temps pour la Malaisie de questionner l’usage arbitraire des lois par les autorités en vue de restreindre la liberté d’expression dans le pays.