Cet article de Madhura Chakraborty a initialement été publié sur Video Volunteers, une organisation internationale primée, centrée sur les médias communautaires et basée en Inde. Une version éditée est publiée ci-dessous dans le cadre d'un accord de partage de contenu.
Perdre un enfant est une épreuve en soi. Mais imaginez n'avoir aucune idée de l'endroit où il se trouve et l'attendre durant 27 ans. Une nuit, en 1990, le fils de Parveena Ahangar, alors âgé de 17 ans, a été capturé par un groupe paramilitaire dans le quartier de Batamaloo à Srinagar, capitale de l’État indien du Jammu-et-Cachemire, simplement car il était été suspecté d'être un militant.
Depuis, Parveena attend toujours de connaître le sort de son fils. Et elle n'est pas la seule. Des estimations non officielles de groupes de défense des droits humains situent le nombre de « personnes disparues » à plus de 8 000. A cela s'ajoute la présence incontestable de fosses communes au Cachemire qui abriteraient les corps de plus de 7 000 personnes.
Le Cachemire, à majorité musulmane, est divisé géographiquement entre l'Inde et le Pakistan, qui en revendiquent tous deux l'appartenance. Douze millions de personnes vivent au Cachemire indien, et nombreux sont ceux qui réclament l'indépendance. Depuis 1989, plus de 68 000 personnes ont été tuées lors de révoltes sporadiques et des répressions par l'armée indienne leur faisant suite. Aujourd'hui, il s'agit de la zone la plus densément militarisée au monde, avec plus d'un demi million de soldats présents sur le territoire.
La travailleuse sociale et correspondante de Video Volunteers Nadiya Shafi s'est intéressée à la résistance des parents des disparus, menée de front par Parveena :
En 1994, la détermination et la ténacité de Parveena dans sa quête de justice mène à la création de l'Association des Parents de personnes disparues (Association of Parents of Disappeared Persons – APDP). Pour l'association, Parveena est amenée à se déplacer dans les zones les plus reculées du Cachemire afin de rendre visite aux familles de personnes ayant été enlevées, pour la plupart par l'armée indienne et les forces paramilitaires, sans plus jamais réapparaître. Elle commente :
I had to give up the burqa. I had to appear in courts, visit military interrogation centres. It was not possible to do all that in a burqa. I did it for my son.
J'ai du abandonner ma burqa. Il fallait que je me présente dans des tribunaux, que je visite des centres d'interrogatoire militaires. Il m'était impossible de faire tout cela en burqa. Je l'ai fait pour mon fils.
Les disparitions forcées ne sont qu'un exemple de la longue liste des violations des droits humains que sont accusés d'avoir commises l’État indien et les forces armées au Cachemire. Pourtant, aucun de ces cas n'a jamais fait l'objet d'une enquête indépendante, empêchant ainsi la justice de suivre son cours.
Depuis 1993, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture se voit refuser l'accès à la vallée. La législation indienne sur les pouvoirs exceptionnels accordés aux forces armées (Armed Forces Special Powers Act – AFSPA) et sur la sécurité publique (Public Safety Act – PSA) accorde une impunité complète au personnel militaire stationné au Cachemire, au nom de la lutte contre les insurgés. Ces lois draconiennes donnent aux troupes le droit de tirer à vue, d'arrêter des suspects dès l'âge de 12 ans en usant de force et sans mandat, d'entrer et de perquisitionner n'importe quel bâtiment et de stopper et de fouiller n'importe quel véhicule, d'occuper ou de détruire des habitations dans le cadre des opérations de contre-insurrection, et de détenir des Cachemiris jusqu'à deux ans sans aucune charge. Aucune poursuite, procès ou quelconque procédure judiciaire ne peuvent être engagés contre quiconque agissant dans le cadre de ces lois.
Dans les cas de violations de droits humains, qu'il s'agisse de torture en détention, de meurtre, de disparitions ou de viols, les accusés n'ont jamais été jugés par des tribunaux civils. Au cours d'une affaire récente ayant fait grand bruit, une cour martiale a suspendu les condamnations à vie de cinq officiers du régiment des fusiliers de Rajputana, accusés d'avoir piégé des villageois cachemiris en leur promettant un emploi avant de les massacrer et d'avoir fait en sorte que la scène ressemble à une tentative d'infiltration ratée de la part de militants.
Malgré l'échec du système judiciaire à traiter des violations commises au nom de la lutte contre le terrorisme, Parveena a persévéré, voyageant du Cachemire à Delhi et jusqu'à Genève afin de venir plaider sa cause auprès des mécanismes internationaux de défense des droits.
Il n'a pas été simple de rassembler les parents, épouses, et enfants des personnes disparues à travers la vallée du Cachemire. La plupart des familles concernées sont pauvres et vivent dans des zones rurales, et ont du mal à accéder à des avocats et défenseurs des droits humains. Parveena explique :
They were often threatened to not file First Information Reports (FIRs) and the police would also not register cases. I assured them that nothing will happen to them, that I will always be in front of them and that I needed them at my back. We have even traveled to Delhi and protested and held hunger strikes at Jantar Mantar monument.
Ils ont souvent été menacés de ne pas soumettre de First Information Reports [procédure similaire à un dépôt de plainte], et il arrive que la police refuse d'enregistrer leurs dépositions. Je leur ai assuré que rien ne leur arriverait et que je les protégerais toujours, mais que j'avais besoin d'eux derrière moi. Nous sommes même allés jusqu'à Delhi pour y organiser des manifestations et des grèves de la faim devant le Jantar Mantar.
Son activisme pacifique lui a valu d'être nommée pour le Prix Nobel de la Paix en 2005. Parveena poursuit sa quête sans relâche :
Is the law only for the military, the [Border Security Force], the Special Tasks Force? They offer us compensation of 100,000 Indian rupees [1,540 US dollars]. We don’t want their money. We want our children back.
La loi est-elle faite seulement pour les militaires, les [forces de sécurité frontalière], les forces spéciales ? Ils nous offrent une compensation de 100 000 roupies indiennes [environ 1 540 dollars]. Nous ne voulons pas de leur argent. Nous voulons nos enfants.
L'Inde a signé la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, mais ne l'a jamais ratifiée. A travers son activisme indéfectible, Parveena espère créer assez de pression internationale pour que l'Inde traite enfin les disparitions forcées comme l'acte criminel qu'elles sont.