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Ce que disent les Chinois de la chute au Zimbabwe de Robert Mugabe , ce vieil ami de leur pays

Catégories: Asie de l'Est, Chine, Zimbabwe, Dernière Heure, Manifestations, Médias citoyens, Politique, Relations internationales
Chinese president Xi Jinping welcomed Zimbabwe President Mugabe's visit in August 2014. Photo from Xinhua. [1]

Le Président chinois Xi Jinping accueille le Président du Zimbabwe Robert Mugabe lors d'une visite en août 2014. Photo : Agence d'information d'état chinoise Xinhua.

Tandis que les forces politiques et militaires se liguent au Zimbabwe pour faire quitter le pouvoir à l'inamovible président Robert Mugabe, les Chinois observent avec intérêt le possible retrait d'un homme que beaucoup qualifient de dictateur.

Mugabe, 93 ans, dirige le Zimbabwe depuis l'indépendance du pays d'avec la colonisation britannique il y a plus de 30 ans. Quand la majeure partie des pays occidentaux ont commencé à sanctionner le Zimbabwe à cause de la politique de confiscations de terres de Mugabe et de ses violations des droits humains au début des années 2000, la Chine a fait son entrée et est devenue la principale alliée de Mugabe.

Au cours des années, les relations entre le Zimbabwe et la Chine se sont resserrées au fil des crédits, projets d'infrastructures et d'investissement,  et visites diplomatiques. Entre 2010 et 2015, la Chine a accordé au Zimbabwe plus d’un milliard de dollars US en prêts [2].

Un tel soutien financier a conduit l'opposition au Zimbabwe à accuser [3] Pékin de complicité avec Mugabe et de vol par milliards au pays grâce au trafic illicite de diamants. Et de fait, l’économie du Zimbabwe s'est détériorée pendant le règne de Mugabe [4], avec une corruption devenue un grave problème. Au début de novembre Mugabe avait limogé son vice-président, Emmerson Mnangagwa, une manoeuvre apparemment destinée à positionner son épouse Grace Mugabe pour qu'elle s'empare de la présidence.

La situation a atteint son apogée le 15 novembre 2017, quand l'armée a pris le contrôle du pays. Des dizaines de milliers de Zimbabwéens se sont déversés dans les rues de la capitale Harare [5] pour scander dans la liesse des slogans anti-Mugabe comme “Mugabe doit partir” et “Non à la dynastie Mugabe”. La ZANU-PF a privé Mugabe de ses fonctions à la tête du parti au pouvoir, mis Mnangagwa à sa place, et menacé de destituer Mugabe s'il ne se retirait pas de la présidence.

Jusqu'à présent, Mugabe refuse toujours de démissionner. [NdE : il vient de le faire ce mardi après-midi]

‘Ce vieil ami n'était pas fiable’

Les médias internationaux ont été nombreux à s'interroger [6] sur l'implication de la Chine dans le coup d’État zimbabwéen, puisque l'action de l'armée s'est déroulée à peine trois jours après le retour d'une visite en Chine du commandant en chef de l'armée, Constantino Chiwenga.

Sur la populaire plate-forme de médias sociaux Weibo, un grand nombre d'Internautes chinois ont aussi fait écho à cette théorie :

政变的总司令刚从中国回去,一回去就政变,自己想吧

Le chef du putsch venait de revenir de Chine. Le putsch a eu lieu peu après son retour, concluez vous-même.

老朋友已经老了,成天听枕边风吹。枕边风总说中国坏话。前两年老朋友还说他们国家经济不好都是中国的缘故呢。这样的老朋友让人寒心啊。还是石家庄某学院的新学生更让人放心。

Le vieil ami est devenu très vieux et sous la coupe de sa femme. Sa femme a souvent dit des choses négatives sur la Chine. Il y a seulement deux ans, ce vieil ami est même allé jusqu'à dire que si l'économie du pays allait mal, c'était à cause de la Chine. Un ami comme ça n'était pas fiable. Les nouveaux types sont diplômés de l'Académie militaire Shijiazhuang.

Le Zimbabwe envoie sa hiérarchie militaire étudier en Chine depuis les années 1960, et l'ex-Vice Président Mnangagwa aurait [7] aussi été formé par l'Armée populaire de libération chinoise.

‘Une version africaine de la chute de la Bande des Quatre’

Au-delà d'une possible influence chinoise sur le coup d’État, de nombreux internautes ont discerné un parallélisme entre la situation au Zimbabwe et une période précise de l'histoire chinoise : l'arrestation de la “Bande des Quatre” [8] par l'armée le 6 octobre, un mois après la mort de l'ancien chef de l’État Mao Zedong.

La figure de proue de la Bande des Quatre était la dernière femme de Mao, Jiang Qing. Le commentaire ci-dessous est l'un des plus populaires sur Weibo :

这次事件,基本上可以断定是一次非洲版的“粉碎四人帮”事件

Cet incident est essentiellement une version africaine de la répression de la Bande des Quatre.

Tout comme Mao Zedong était considéré comme le père fondateur de la République populaire de Chine, Mugabe faisait figure de grand leader ayant joué un rôle central pour libérer le Zimbabwe du pouvoir colonial britannique.

Les dégâts infligés à l'économie de son pays et les violations de droits humains sous Mugabe n'ont pas empêché celui-ci d'être désigné [9] en 2015 président de l'Union Africaine qui regroupe 54 États du continent.

‘Un pays non démocratique est par nature une prison’

De nombreux commentaires sur Twitter expriment l'idée que la chute de Mugabe démontre le pouvoir du peuple. Ainsi, @twiqiang08 écrit :

Les gens au Zimbabwe arrachent les portraits géants de Mugabe, jadis leur “grand leader, grand capitaine, grand professeur et soleil rouge”. Commentaire : quand les gens se réveillent, toute la “grandeur” va disparaître, le dictateur sera relégué dans les poubelles de l'histoire.

Les termes “grand leader, grand capitaine, grand professeur et soleil rouge” étaient utilisé pour décrire Mao Zedong. Dernièrement, les organes de médias d'obédience étatique ont commencé à appeler le Président Xi Jinping “grand leader” à la suite du 19ème congrès national du PCC et récemment utilisé plus de 15.000 vocables chinois [12] pour expliquer en quoi “Xi est le timonnier sans rival qui guidera la Chine vers ce grand rêve”.

Sur Weibo, un utilisateur a dit son doute de l'euphémisme “pouvoir du peuple” alors que les dictateurs sont souvent mis d'abord en place par le “peuple” :

看来全世界皆然,所谓人民,只知道欢呼。穆加贝被他们欢呼上台,视为救世主,把他们都搞成万亿富翁,人均寿命从60多岁降到30多岁,现在终于倒台了,又来欢呼。

Le soi-disant “peuple” n'est autre que des escouades d'acclamation, les gens sont les mêmes partout dans le monde. Quand Mugabe est arrivé au pouvoir, ils l'ont acclamé et pris pour un sauveur. Il a fini par les transformer tous en milliardaires (à cause de la dépréciation monétaire) et leur espérance de vie moyenne est descendue de la soixantaine à la trentaine. [Selon la Banque Mondiale, l'espérance de vie au Zimbabwe a diminué de 62 ans au milieu des années 1980 à 40 ans en 2002 et 2003. Dans les années récentes le chiffre est revenu à 59.] Maintenant qu'il est tombé, ils acclamant à nouveau.

Mais l'utilisateur de Twitter @huangmeijuan de relever que les foules en délire sont forcées d'approuver les dictateurs, puisqu'il n'y a pas de place pour le désaccord :

Aujourd'hui, les slogans comme “Mugabe doit partir”, “On n'a pas besoin d'un grand leader” tiennent les rues du Zimbabwe. Le grand leader est parti, mais le pays n'est pas tombé pourtant dans le chaos ou la guerre de clans. La police responsable des répressions de rassemblements du passé s'est enfuie, personne ne s'est montré. La nature d'un pays non démocratique, c'est d'être une prison, et le grand leader n'est qu'un gardien de prison.

Les dissidents politiques chinois sur Twitter ont exprimé des vœux pieux sur le prochain dirigeant autoritaire susceptible de tomber. @BaiqiaoCh a écrit :

Encore un dictateur notoire est tombé. Mugabe, 93 ans, a été contraint à se retirer par un coup d’État au Zimbabwe. Mugabe a une relation étroite avec le Parti Communiste Chinois, et en 2015 il s'est même vu décerner le Prix Confucius de la Paix. Quel sera le prochain [dictateur] à se retirer dans un coup d’État ? Le gros Kim de Corée du Nord or ou Xi la brioche à la vapeur de Corée de l'Ouest [la Chine] ? J'ai tellement envie de voir ça.