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Un dessinateur jordanien traduit en justice pour un dessin de Jésus-Christ

Catégories: Afrique du Nord et Moyen-Orient, Jordanie, Palestine, Arts et Culture, Censure, Droits humains, Liberté d'expression, Média et journalisme, Médias citoyens, Advox
[1]

Emad Hajjaj. Photographie partagée sur la page Wikipedia du dessinateur (CC-BY-SA)

Un caricaturiste jordano-palestinien a été accusé d'insulter la religion et de provoquer des conflits religieux après avoir publié un dessin représentant le Christ.

Emad Hajjaj [2] a été interrogé par le procureur général jordanien le 31 octobre suite à une plainte deposée contre lui, selon laquelle il “insultait la religion”. Le dessin, partagé sur Twitter et sur Facebook, représente Jésus-Christ sur la croix, condamnant le patriarche de l'Église orthodoxe de Jérusalem Théophile III.

La légende indique : “Je suis le Christ fils de Marie et je désavoue le patriarche Théophile III et tous ceux qui ont été impliqués dans la vente des biens de la noble Église orthodoxe grecque à l'occupant israélien.”

Emad Hajjaj a dessiné cette caricature en réaction aux informations [3] sur la vente de terrains par l'Église orthodoxe de Jérusalem aux colons israéliens afin de rembourser sa dette.

Le dessin a été publié le 29 octobre dans le journal Al-Araby Al-Jadeed et sur les réseaux sociaux de Hajjaj.

Vendre les terrains de l'Église orthodoxe de Jérusalem à l'occupation est une trahison du christianisme et des chrétiens.

Le dessinateur publiait déjà [2] dans des journaux et magazines locaux et régionaux. Son travail vise principalement la politique au Moyen-Orient, y compris l'occupation israélienne des Territoires palestiniens.

En ce moment, E. Hajjaj est libre et n'a pas encore été officialement inculpé. Cependant, d'après le syndicat des journalistes jordaniens, il le sera [9] probablement pour “provocation de conflits religieux” qui tombe sous le coup de la loi sur la cybercriminalité [10] du royaume. Cette loi a été récemment modifiée et inclut maintenant une peine d'emprisonnement de un à cinq ans pour toute “provocation de conflits religieux, sectaires, ethniques et régionaux.”

Les lois jordaniennes comme le code pénal, la loi sur la cybercriminalité et la loi sur la presse et les publications limitent [11] la liberté d'expression des internautes. Ces restrictions incluent la publication de dessins ou “d'informations fausses ou exagérées” concernant la famille royale, la publication de contenu jugé insultant pour la religion ou qui porte atteinte aux “valeurs islamiques” et la diffamation de responsables, d'agents des services publics et de l'armée.

تهمة الاساءة للاديان ينبغي الغائها من قانون العقوبات؛ نصوص تجريمية تهدر الحق بالتعبير وإبداء الرأي
متضامنة مع #عماد_حجاج [12] #حرية_التعبير [13] https://t.co/7xWVM5k6ya [14]

Toutes les incriminations d'insulte à la religion devraient être supprimées du code pénal ; [ce sont] des textes pénalisants et portant atteinte au droit à la liberté d'expression et d'opinion. Je suis solidaire d'Emad Hajjaj.

L'année dernière, l'écrivain Nahed Hattar avait été mis en examen pour avoir partagé sur Facebook une caricature se moquant de la façon dont les membres du groupe extrémiste et violent État Islamique (EI) imaginent Dieu et le paradis. Après avoir posté ce dessin, Nahed avait reçu de nombreuses menaces et avait été accusé d'”insulter le divin”. Il a été abattu [16] le 25 septembre 2016 devant le tribunal d'Amman où il devait comparaître.

L'assassinat de Hattar a soulevé des questions sur le rôle du gouvernement jordanien dans l'établissement d'un environnement où les voix minoritaires sont menacées et réduites au silence. Après tout, c'était bien lui avait envoyé Hattar au tribunal, et malgré les menaces de mort à son encontre, les autorités ne lui avaient pas accordé de protection policière.

Réfléchissant sur les mesures prises par le gouvernement jordanien pour contrer les discours haineux tout en restreignant la liberté d'expression, Reem Al Masri, un expert de la gouvernance de l'internet, écrit [17] sur le site d'actualité 7iber (prononcée Hiber) :

تماما كما يقف أب ينهر أولاده على سلوكياتهم السلبية دون النظر لدوره في توليدها، تقف الدولة بعيدًا عن خطاب الكراهية.

نسألُ حسب تعريف خطاب الكراهية المُقترح: هل تعدّ الأعمال التي تتخذها الحكومة والتي قد تشيطن بها فئة من فئات المجتمع أو تحرم مجموعات من حرياتهم الأساسية جزءًا من الأعمال المؤججة لخطاب الكراهية؟

(…) كل مرة ترفع الدولة سبابتها متوعدة من يثير ما تسميه «خطاب الكراهية» علينا أن نرجع للمسلّمات والأصول، بأن الخطاب ضد مجموعات دينية أو عرقية أو جنسية يتأجج في بيئة سياسية طاردة للتعدّدية وفي ظل غياب مشاركة مجتمعية في تعريف هذا الخطاب.

Tout comme un père qui gronde ses enfants pour leur mauvaise conduite sans considérer sa part de responsabilité, l'État détourne le regard du discours de haine.

Lorsqu'on étudie la définition proposée du discours de haine, on peut se demander si, en diabolisant un des groupes de la société, ou en privant certains groupes [ou des individus] de leurs libertés fondamentales, l'État ne suscite pas un discours de haine ? […] À chaque fois que l'État menace ceux qui s'engagent dans le soi-disant “discours de haine”, nous devons accepter la réalité : les discours contre les groupes religieux, ethniques et sexuels sont brimés par un milieu politique qui refuse le pluralisme et ne fait pas participer la société lorsqu'il s'agit de définir ce type de discours.

En arrêtant Hajjaj, les authorités jordaniennes ont encore une fois démontré leur réticence à établir un environnement sûr dans lequel les opinions minoritaires seraient tolérées.