Après les grandes manifestations contre le président Faure Gnassingbé d’août et de septembre, des milliers de Togolais ont une nouvelle fois manifesté dans la rue suite à l’appel d’une coalition de quatorze partis d’opposition. Faure Gnassingbé est au pouvoir au Togo depuis 2005. Il succède à son père Gnassingbé Eyadema qui a été président de 1967 à 2005. Le régime de Gnassingbé Eyadéma avait été mis à l'index par les organisations de défense des droits de l’homme pour avoir exécuté des centaines de personnes et jeté leur corps à la mer après la proclamation des résultats de l'élection de 1998.
La montée des tensions au Togo remonte à la mi-août lorsqu'une nouvelle coalition de militants de l'opposition a déclaré une action de protestation nationale conjointe. Les manifestations exigeaient l'imposition de limites aux mandats à la présidence et de facto, une fin de la «dynastie Gnassingbé». Ces événements ont rapidement submergé la police qui, avec les milices pro-gouvernementales, ont utilisé des méthodes violentes pour disperser les manifestants causant la mort de plusieurs manifestants, notamment à Sokodé.
De nombreux activistes Togolais essayent d'alerter la communauté internationale sur la situation au Togo. Ainsi Farida Nabourema, activiste Togolaise des droits de l'homme publie de nombreux updates sur la situation au Togo comme celles-ci:
Dictator @FEGnassingbe has lost legitimacy in #Togo and the world knows it. He is no longer our president and we have been saying this for the past 4 months.
So whatever this guy votes at the U.N is not representative of us the people. #Togodebout #Fauremustgo pic.twitter.com/wQQ94ptyo5— Farida Nabourema (@Farida_N) December 21, 2017
It's been 4 months since the People of #Togo have risen against the dictatorship of @FEGnassingbe but till day, not even once had this man have the decency to address his people after numerous killings and hundreds of arbritrary arrests. He has no respect for us. #Fauremustgo
— Farida Nabourema (@Farida_N) December 21, 2017
Pour mieux comprendre le contexte de cette crise persistante au Togo, nous avons interviewé Sylvio Combey (SC), journaliste togolais et Yawa Degboe (YD), togolaise anciennement analyste des médias, sur la situation au pays:
Global Voices (GV): Les manifestations au Togo ont commencé depuis août 2017. A votre avis, quelles sont les causes profondes de cette colère?
Yawa Degboe (YD): Les trois pays limitrophes du Togo (le Ghana, le Bénin, et le Burkina Faso) ont tous connu des transitions politiques ces dernières années. Le vent a tourné dans la région et pourtant il n'a pas encore soufflé au Togo. Ceux ne sont pourtant pas les tentatives qui ont manquées. De nombreuses personnes sont mortes au cours des années pour défendre des idéaux démocratiques et exiger l'alternance du pouvoir mais rien n'y fait. Je pense sincèrement que la décision de la Cour Suprême du Kenya au mois d’août dernier de demander un second vote présidentiel pour des raisons d'irrégularités dans le processus électoral a donné un nouveau souffle et de l'espoir au mouvement actuel au Togo. L'accumulation du pouvoir au sein d'une même famille politique a des impacts énormes et dévastateurs en terme de partage des richesses entre les habitants. D’après moi, ceux sont là les raisons profondes de la colère de la population togolaise.
Sylvio Combey (SC):En réalité, les manifestations n'ont pas commencé en août 2017 mais bien avant. Par contre, elle se sont amplifiées et pris une tournure imposante en août avec l'appel lancé par le Parti National Panafricain Les causes profondes sont liés à des problématiques de gouvernance. Le Togo est gouverné par une seule famille depuis 1967. Feu Gnassingbé Eyadema a fait 38 ans au pouvoir et on fils a fait maintenant 12 ans au pouvoir. Cela obligerait le président actuel a quitté le pouvoir. C'est aujourd'hui le point d'achoppement principal.
GV: La crise dure depuis quelques mois. Comment cette situation est-elle vécu par les Togolais ? Il-y-a-t-il eu des représailles des forces de l'ordre ? Et il y a -til une crainte que les mainfestations dégénèrent ?
YD: Il y a des scènes de violences dans les rues par des milices, des soldats aux ordres de je-ne-sais-qui. Beaucoup d'information circulent sur WhatsApp ou les réseaux sociaux. On peut y voir des gens blessés, morts, des milices poursuivant des manifestants dans les rues. Mais a l'heure des ” Fake News” et de la désinformation, je prend tout cela avec autant de recul que possible. La diaspora reçoit des informations par les quelques médias qui relaient les nouvelles africaines ou les proches. Chacun doit faire le tri et identifier quelles sources d'information sont fiables. Ce que je sais, c'est que à l'heure actuelle, des togolais souffrent dans l’indifférence générale et que cela fait trop longtemps que ça dure.
SC: Cela fait des années que la situation au pays est difficile à digérer pour les Togolais. Les manifestations du 19/08 ont été réprimées avec force provoquant de nombreux blessés. De plus, de nombreux manifestants ont été emprisonnés et n'ont été relâchés qu'après plusieurs efforts de médiations de la société civile et des ambassades. En novembre 2017, des milices que le gouvernement appelle des comités d'auto-défense ont été mandaté pour mener les représailles contre les manifestants. La montée des violences a été évoqué par le gouvernement pour suspendre le droit de manifester mais cela a amplifié la colère de l'opposition. Il a fallu une médiation intense grâce au Ghana, à la Guinée et d'autres ambassades pour que les manifestations puissent reprendre et éviter un autre déferlement de violence.
GV: Il y a-t-il eu un impact économique ou social sur le fonctionnement du pays ?
YD: Compte tenu de la situation économique du pays, les personnes qui manifestent sont majoritairement dans l’économie informelle, sans emploi,ou étudiants. Un salarié ne prendra pas la journée ou quelque heures pour aller manifester car il n'est pas garanti que le poste qui lui permet de nourrir sa famille et de subvenir a ses besoins l'attendra encore a son retour. Donc les entreprises tournent, certaines choses sont faites mais l’économie tourne au ralenti.
SC: La crise actuelle a eu une forte incidence économique et sociale. La circulation est forcément ralentie lors des manifestations ce qui a un impact sur les activités des taxis, transports et le commerce en général. Les commerçants dans les centre-villes subissent aussi un ralentissement de leurs activités.
GV: La constitution prévoit-elle une décision sur les candidats pour les élections prochaines ?
SC: Il n'existe pas de limitations dans la constitution en vigueur. La constitution a été modifiée à plusieurs reprises. Celle qui a été voté par la majorité des Togolais en 1992 a été amendée par une assemblée nationale favorable au président en 2002. Les manifestants veulent revenir à celle de 1992 qui stipule que nul ne peut faire plus de 2 mandats.
YD: Sincèrement, je ne sais plus ce que prévoit la constitution. Elle a ete changée, malmenée ou réinterprétée tellement de fois que je ne m'y fie plus. Le peuple togolais doit créer ses propres règles.
GV: Selon vous, quelles sont les issues possibles à cette crise ?
YD: Il y a 2 scénarios possibles: le status quo ou le changement.
En 2005, lors de la mort du Président Gnassingbe Eyadema, le père du president actuel, il y a eu de nombreuses manifestations menées par les Togolais à travers le monde pour exiger un changement politique. Rien n'y a fait. Le status quo a gagné et le fils a succédé au père. Après la chute de l'ancien président Blaise Compaoré au Burkina Faso, j'ai eu la chance d'avoir un entretien avec l'Ambassadeur Charles R. Stith qui dirigeait l'ancien Centre d'Etudes des Présidences Africaines à Boston University. Lorsque je lui est posé des questions sur les transitions politiques en Afrique de l'Ouest, il a dit ” le pouvoir est une séductrice et une fois qu'elle vous embrasse, il est difficile de tourner la tète. Il est très difficile de rester au pouvoir plus de 8 à 10 ans et encore avoir quelque chose à contribuer”. Le statu quo est très tentant mais nous sommes à un point où le Togo a besoin de changement. Le changement peut prendre plusieurs formes. Les différentes transitions politiques au Ghana, Bénin, Burkina Faso, Kenya ou plus récemment au Zimbabwe nous montrent plusieurs modèles. C'est au pouvoir en place de décider quelle voie il décide d'emprunter.SC: Il faut aller au dialogue mais un vrai dialogue constructif. Plusieurs tentatives de dialogues ont abouti à rien auparavant car aucun accord n’ a été respecté. Il faudra aboutir à un accord signé par tous les partis et une recommandation gouvernementale pour l'implémentation de ces accords.
GV: Il y a -t-il un aspect méconnu du grand public sur la situation au Togo que tu aimerais que les gens hors du Togo connaissent pour comprendre la situation ?
YD: Des gens meurent et souffrent et cela dure non pas depuis le mois d’août mais depuis des années. Quand je rentre au pays, je peux voir de mes propres yeux la dégradation de la situation économique de la population et la concentration de la richesse dans les mains de quelques uns. Je n'ai pas besoin de statistiques économiques pour le constater. Et cela fait mal, parce que sur le papier, le Togo a tous les atouts pour prospérer. C'est un pays avec des richesses considérables sur seulement 57,000 km2 et 7.6 millions d'habitants. A l’époque de mes parents, le Togo était connu comme “la Suisse de l'Afrique”. Ma génération n'a jamais connu cette époque. Malgré tout, la population togolaise est assez résiliente et religieuse dans son ensemble. Une phrase ironique a circule ces dernières semaines après la chute de Mugabe au Zimbabwe: ” On prie pour le Togo, et Dieu répond au Zimbabwe.”