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Une communauté autochtone du Paraguay face à l'un des plus grands barrages hydroélectriques au monde

Catégories: Amérique latine, Paraguay, Médias citoyens, Peuples indigènes

Les Ava Guarani du Paraná ont pu récupérer leurs terres. D'abord annoncées comme entièrement inondables suite à la construction du barrage hydroélectrique, les terres ne seront que partiellement recouverte d'eau. Photo : Zulema Malky. Utilisée avec permission.

Cette publication est la version condensée d'un article de Kurtural, rééditée et publiée par Global Voices avec la permission et la participation de ses auteurs. Il est extrait des chroniques “Les bannis ne vont pas au supermarché” [1] qui sera prochainement repris sur le site de Global Voices.

Depuis la construction de la centrale hydroélectrique d’Itaipú [2], le peuple Ava Guarani de Sauce se bat pour demeurer sur ses terres ancestrale. Dans les années 80, après avoir reçu la promesse qu'ils pourraient y retourner lorsque les eaux du barrage auraient reculé, la collectivité a été expédiée vivre loin de l'unique ressource en eau essentielle depuis toujours à leur genre de vie : le fleuve Paraná. En 2015, après avoir vécu plusieurs années à l'écart, la communauté a décidé de retourner sur les rives du fleuve, et malgré leur expulsion violente par les autorités, les Ava Guarani clament leur droit de retour à la terre qu'ils ont été forcés de quitter pendant tant d'années.

Une expulsion surprise

En 2016, Cristóbal Martínez a connu pour la seconde fois l'expulsion de sa communauté à cause du barrage d'Itaipu, l'un des plus grands barrages hydroélectriques au monde. Les Ava Guarani de Sauce sont une communauté entretenant des liens spirituels avec les eaux entourant leur terre. Depuis les zones reculées de leur terre ancestrale, cachés avec leurs possessions, ils ont vu les policiers incendier leurs maisons et réduire leur tapỹi [village] en cendres. Mais ils décidèrent de ne pas quitter les rives du rio Paraná [3].

Le 30 septembre 2016, lendemain de la tentative d'expulsion, douze voitures de la brigade spéciale de la police nationale (GEO), de la police montée et des fonctionnaires de l’Institut nationall indigène paraguayen [4] (INDI) se rendirent dans le village pour s'enquérir de l'état de santé de la communauté mais ne trouvèrent personne.

Les hommes, les femmes, les enfants et les personnes âgées s'étaient réfugiés près de la rivière où ils vivaient jusque dans les années 70 dans l’État d'Alto Paraná, à l'Est du Paraguay, proche de la frontière brésilienne. Pour les peuples guaranis, l'Yvy Marãe'ỹ (ou «terre sans mal») est le seul endroit sur Terre où ils peuvent se sentir heureux, un lieu où l'eau coule abondamment du rio Paraná, le deuxième plus long d'Amérique du Sud.

Pour Martínez, le leader de la communauté, la méfiance envers les autorités est profonde. L'histoire lui a appris que les paroles de “l'homme blanc” ne valent rien et que les mensonges écrits sur papier sont redoutables. Le 13 septembre 2016, le juge Emilio Gómez Barrios a signé une ordonnance judiciaire utilisée pour expulser la communauté. Gómez Barrios ordonna l'expulsion sur la demande de Germán Hutz, un puissant producteur de soja, par ailleurs beau-frère du vice-président paraguayen Juan Afara.

Depuis 2015, date à laquelle la communauté est revenue à Sauce, Martínez a reçu des menaces et des propositions de pots-de-vin, parmi lesquelles une offre de 50.000 dollars US de la part d'émissaires de Gómez Barrios. Martínez explique également que l'INDI lui a proposé de l'argent et un terrain marécageux qu'il a refusé.

De nombreuses opérations de sauvetage d'animaux ont eu lieu au cours des années de construction du barrage. Aucune ne fait référence à une aide pour les communautés déplacées. Photo: Zulema Malky. Utilisation autorisée.

Les origines d'un géant binational

Sous la dictature d'Alfredo Stroessner, la construction d'un barrage hydroélectrique comme celui d'Itaipu était le plus grand symbole de progrès. En avril 1973, Stroessner signa le traité d'Itaipu avec le général Emilio Garrastazú Médici, [5] alors président du Brésil. À l'époque, l'influence des États-Unis sur les dictatures militaires latino-américaines permettait de recourir facilement à l'emprunt et Itaipu ne fit pas exception. Le prêt fut rapidement accordé et le barrage construit.

Voici comment le projet paraguayo-brésilien s'imposa finalement comme le plus grand projet de l'histoire des deux pays.

Au total, 38 communautés autochtones – 688 familles – furent déplacées de leurs territoires à la suite de l'expropriation de 165 000 hectares pour la construction du barrage d'Itaipu. Un rapport interne d'Itaipu fournit la preuve que le projet n'a pas indemnisé la communauté Ava Guarani et, bien que les expulsant de l'ensemble de leurs terres, n'a finalement utilisé que partiellement le territoire qui était autrefois le leur.

Cependant il n’existe dans les rapports aucune mention d’assistance aux communautés déplacées ni des accords passés avec elles. De nombreuses opérations de sauvetage d'animaux eurent lieu au cours des années de construction du barrage mais aucune ne fait référence à une aide pour les communautés déplacées ou au respect des engagements pris dans le rapport.

Les difficultés endurées par la communauté Ava Guarani ont également été écartées du rapport de la Commission Vérité et Justice [6] créée entre 2002 et 2008 afin de rendre justice aux victimes de la dictature.

Un nouveau Sauce renaît sur les rives du Paraná

Les “sauceños” [habitants du village de Sauce] n'oublièrent pas la promesse faite lors de la construction du barrage ; leurs terres leur seraient rendues. Le retour est un sujet récurrent pour Cristóbal Martinez et sa communauté. En gardant cet objectif, ils commencèrent à se renseigner et à faire des expéditions pour connaître l'état de leurs terres.

Quand ils entendirent la rumeur de l'existence de plus de 1000 hectares de terres publiques en face de la réserve Limoy d'Itaipu, ils décidèrent de saisir leur chance et de revenir s'y installer. En août 2015, après plus de 30 ans d'exil, ils finirent par retourner à Sauce. Les familles reconstruisirent leurs maisons, leurs fermes, les puits, les poulaillers. Un nouveau village de Sauce était né, permettant à la communauté Ava Guarani de revenir vivre sur sa terre d'origine.

Des décennies après avoir été expulsée, la communauté de Sauce est revenue sur ses terres pour défendre son droit de vivre en harmonie avec le fleuve. Photo: Zulema Malky, utilisée avec permission.

En 2015, la communauté a entamé des négociations avec les autorités. Mais un an après la violente expulsion de 2016, ils abandonnèrent la table des négociations, considérant qu'aucune des institutions gouvernementales n'avait tenu ses promesses. Cependant, ils continuent d'exiger que l'État remplisse ses obligations et leur assure le plein recouvrement de leurs territoires.

Les Ava Guarani du Paraná considèrent qu'il n'est pas possible de respecter un accord déjà rompu. La survie de la communauté reste la priorité et ses membres continueront d'occuper leurs territoires.