
Des Iraniens, rassemblés pour manifester sur la place Ferdowsi à Téhéran samedi soir, se dispersent quand la police a mis en place des canons à eau. Photo Iran Newspaper, partagée pour diffusion.
Plus de doute à présent : quelque chose couve en Iran. Le 28 décembre, des manifestations ont éclaté à Machhad contre la ‘vie chère’ et se sont propagées dans les viles petites et grandes dès le lendemain. Les théories sur ce qui a amené la situation actuelle abondent, et de nombreuses conjectures et explications sont partagées prématurément.
I am skeptical of those who have more answers than questions about #Iranprotests.
— Mohsen Milani (@milanimohsen) December 30, 2017
Ceux qui ont plus de réponses que de questions sur les manifestations en Iran me laissent sceptique.
Pour mieux comprendre la situation actuelle, il faut se pencher sur l'histoire récente de l'Iran, et démêler quelques-unes des motivations potentielles à l'origine de ces événements. Aperçu de ce qui se joue sur le terrain, en quoi cela diffère de la contestation de 2009, et pourquoi certains pensent que les enjeux sont bien plus importants qu'il n'y paraît.
Sur le terrain
Ces manifestations sont les premières de cette ampleur depuis le mouvement de protestation de 2009 contre la réélection du Président Mahmoud Ahmadinejad. Comme pour les manifestations de 2009, il existe une mobilisation nationale générale contre le statu quo ; cependant, il manque à la contestation actuelle le soutien, et en quelque sorte, le leadership des candidats réformistes dont le Mouvement Vert avait bénéficié avec Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karroubi. Cette fois, les slogans évoquaient plutôt un mécontentement général de tous les côtés : réformistes, modérés et conservateurs.
First video of university students in Tehran chanting “reformists, conservatives your adventure is over.”#University_of_Tehran#IranProtests#RegimeChangepic.twitter.com/yVCGzEhvi1
— Raman Ghavami (@Raman_Ghavami) December 30, 2017
Info n° 34
Première vidéo des étudiants de Téhéran scandant “réformistes, conservateurs votre aventure est finie”.
Ce que l'on sait jusqu'ici : il y a des manifestations qui se produisent à travers le pays ; il y a des images de divers slogans de manifestants qui évoquent la désillusion populaire envers non seulement le système de gouvernement de la République Islamique, mais aussi le gouvernement de Hassan Rohani ; il ne semble pas y avoir d'idée d'un objectif collectif ou d'un leader ; les manifestants paraissent pourtant exprimer leur mécontentement du chômage et de la stagnation économique ; de nombreux points de vue et interprétations sont répandus sur les médias sociaux ; Il y a des craintes que l'Internet ne soit coupé ; et des internautes iraniens ont signalé des connexions hors ligne, des interruptions de téléphonie mobile, et des services de VPN qui ne fonctionnent plus.
OpenVpn قطعه
ولی سایفون وصله.— Raha (@RahaRst) December 30, 2017
OpenVPN ne marche pas
Mais Psiphon marche.
اینترنت موبایل همراه اول از ساعت 21 تا همین الان در #کرج قطع بود.
— foad shams (@foadshams) December 30, 2017
L'internet mobile de Hamra Aval coupé de 21h à maintenant à Karaj.
Mais, de façon générale, le pays reste connecté et un flux régulier d'images de la contestation arrive de toutes les régions du pays.
Personal experience: I had access to the internet all day long without any problem. some said they had few problems w/ internet for 1 or 2 hours, but every things went back to normal. Infact in these 3 days of protests there is'nt any serious disruption yet.
— Essi Marlboro (@Essi_Marlboro) December 31, 2017
[David Kaye : Des informations laissent entendre que le gouvernement iranien interfère avec l'internet pendant les manifestations actuelles en Iran. rappelons que le Conseil des droits de l'homme de l'ONU a condamné ces disruptions dans sa résolution 32/13 de 2016]
Expérience personnelle : j'ai eu accès à Internet toute la journée sans problème. Certains disent avoir eu quelques problèmes avec l'internet pendant 1 ou 2 heures, mais que tout est revenu à la normale. En fait en ces 3 journées de manifestations il n'y a pas encore eu de perturbation sérieuse.
Pour le moment, la seule coupure de l'Internet paraît concerner l'accès aux grandes plate-formes de médias sociaux Telegram et Instagram. En Iran, on estime à 40 millions les utilisateurs mensuels (dans un pays de quelque 45 millions d'internautes) sur Telegram et environ 20 millions sur Instagram. Le fondateur de Telegram Pavel Durov a tweeté ce message sur la situation :
Iranian authorities are blocking access to Telegram for the majority of Iranians after our public refusal to shut down https://t.co/9E4kXZYcP9 and other peacefully protesting channels.
— Pavel Durov (@durov) December 31, 2017
Les autorités iraniennes bloquent l'accès à Telegram pour la majorité des Iraniens après notre refus public de fermer [la chaïne] https://t.co/9E4kXZYcP9 et d'autres chaînes de protestation pacifique.
BREAKING: Iran state TV says authorities temporarily block Instagram, messaging app Telegram to `maintain peace’ amid protests.
— The Associated Press (@AP) 31 décembre 2017
Dernière heure : La télévision d’État iranienne indique que les autorités bloquent temporairement Instagram et l'appli de messagerie Telegram pour “maintenir la paix” dans les manifestations.
Qu'est-ce qui motive les manifestations ?
Alors que les spécialistes donnent leurs points de vue, un éminent commentateur à l'intérieur de l'Iran a soulevé quelques interrogations. Sadegh Zibakalam, un professeur de science politique à l'Université de Téhéran, proche des réformistes, a relevé les raisons de la contestation et quelques-uns des nouveaux slogans particuliers en faveur de l'ancienne monarchie déposée. Son article a été largement partagé sur Instagram et Telegram :
?درست است دولت آقای روحانی دولت خیلی موفقی از نظر اقتصادی نبوده است، اما آنچه که باعث نارضایتی امروز مردم شده است، آنچه که باعث وضعیت وحشتناک ایران شده است فقط سیاستهای روحانی در این 7-6 ماه گذشته و حتی 4 سال گذشته نبوده است….
?ایران بودجههایی در سوریه، لبنان و یمن هزینه میکند. در این صورت آیا مردم ایران راضی هستند که پولشان صرف حزبالله لبنان و یمن بشود؟…
?جنس نارضایتیها و سرخوردگیها یک مقدار با سال88 متفاوت شده است. سال88 اعتراضات سیاسی بود اما الان اعتراضات اقتصادی و غیرسیاسیتر شده است. چه کسی فکر میکرد که در کشور ایران بعد از چهل سال حاکمیت جمهوری اسلامی ایران به نفع سلطنت و پادشاه شعار داده شود و یک عده بگویند ..و شعار سر دهند که پادشاه و پهلوی بازگردد؟
C'est vrai que le gouvernement de M. Rohani n'a pas été des plus brillants quant à l'économie, mais la cause du mécontentement populaire aujourd'hui et de l'effrayante situation de l'Iran ne se résume pas à la politique de M. Rohani des 6-7 derniers mois, ni même des 4 dernières années….
Les budgets de l'lran dépensés en Syrie, au Liban et au Yémen. Ainsi, les Iraniens doivent-ils être satisfaits que leur argent aille au Hezbollah au Liban et au Yémen ?…
La nature du mécontentement et des frustrations a changé depuis 2009. Les manifestations de 2009 étaient politiques, mais celles d'aujourd'hui sont économiques et apolitiques. Qui aurait cru qu'en Iran, après 40 ans de République islamique on entendrait des slogans en faveur d'une monarchie et d'un roi, et même des slogans appelant au retour du roi et des Pahlavis ?..
Ces surprenants slogans en faveur de la monarchie ne signifient pas pour autant que son retour et son soutien soient un thème général des manifestations ; ils sont plutôt un type de slogans parmi une variété de revendications.
L'idée est aussi répandue que les événements ont été aiguillonnés par les éléments ultraconservateurs pour déstabiliser le Président Rohani. La journaliste Golnar Motavelli rapporte cette théorie de Téhéran après avoir passé en revue les médias iraniens :
7/ This is significant because it shows that the Mashhad protests, whether spontaneous or not, in the very least had the sympathy and support of the hardline conservative establishment, particularly in the city itself
— Golnar Motevalli (@golnarM) December 31, 2017
[6/ Cette information a été rapportée sur Tasnim et Fars, deux des agences d'information semi-officielles les plus lues et suivies, vues comme alliées aux factions des radicaux et ultra-conservateurs profondément loyales aux institutions sécuritaires et religieuses]
C'est significatif, car cela montre que les manifestations de Machhad, qu'elles soient spontanées ou pas, ont au moins la sympathie et le soutien de l'establishment conservateur radical, et ceci surtout dans la ville elle-même
D'après Golnar toutefois, si les slogans ont adopté le thème du mécontentement général contre tous les cadres du système, c'est que les ultra-conservateurs qui ont initialement soutenu les manifestations en ont probablement perdu le contrôle dans l'absolu.
10/ “something else is going on behind the curtain” he then said, addressing whoever it is he thinks that is (ostensibly hardline elements), that “their smoke blew back in their faces”, a Persian way of saying “you shot yourselves in the foot”
— Golnar Motevalli (@golnarM) December 31, 2017
9/ Les slogans se sont élargis pour inclure le système étatique en entier, y compris sa direction. C'est à ce moment précis que le pouvoir a commencé à montrer une réaction officielle. Une des premières a été celle du 1er vice-président Jahangiri dans un discours à Téhéran disant comprendre que les gens soient inquiets sur l'économie mais que]
10/ “il se passe quelque chose d'autre en coulisses” a-t-il dit alors, quel que soit ceux à qui il pense (ostensiblement des éléments radicaux), “leur fumée leur est revenue à la figure”, une façon persane de dire “ils se sont tiré une balle dans le pied”