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D'icône politique à tyran : les effigies du Président Duterte dans les manifestations aux Philippines

Catégories: Asie de l'Est, Etats-Unis, Philippines, Arts et Culture, Manifestations, Médias citoyens, Politique

Le Rody's cube brûlé sous le pont de Mendiola aux portes du palais présidentiel. Source: Manila Today. Utilisation autorisée.

[Article d'origine publié le 29 décembre 2017]

Le monde a eu un aperçu de la créativité de l'art protestataire aux Philippines quand les médias traditionnels internationaux ont remarqué l’effigie de Donald Trump [1] brûlée par les manifestants pendant sa visite dans le pays à l'occasion de la réunion de l'Association des pays d'Asie de Sud-Est (ASEAN), du 12 au 14 novembre 2017.

Le personnage de Trump furieux à quatre bras formant une croix gammée avait été créé par le collectif artistique Ugatlahi et a même fait son chemin [2] jusqu'à l'émission humoristique américaine à succès “Jimmy Kimmel Live”.

Le “Tourniquet fasciste” symbolise le fascisme, la guerre, le militarisme, et le pillage des ressources. Le Duterte “Homme Fort” caché derrière Trump représente celui-ci en caniche des USA.

Bon an mal an, ces effigies sont les pièces maîtresses très attendues des actions majeures de protestation aux Philippines menées par la Coordination de gauche militante Bagong Alyansang Makabayan [6], ou Bayan en abrégé. Bayan veut dire “peuple” en tagalog.

Les effigies représentent typiquement les présidents ou autres personnalités philippines, et leur exploitation et oppression du peuple philippin. C'est devenu un rituel de conclure les rassemblements en mettant le feu à l'effigie pour symboliser l'indignation collective contre l'ordre régnant.

Les effigies de protestation de Bayan créées depuis l'accession au pouvoir du Président Rodrigo Duterte reflètent aussi de façon intéressante la position évolutive des militants de gauche et des défenseurs des droits face à son gouvernement.

Aucune effigie contestataire n'assistait au premier discours sur l'état de la nation de Duterte le 23 juillet 2016. Le collectif artistique Ugatlahi [7], qui réalise traditionnellement les effigies de Bayan depuis les années 1990 de l'administration du Président Joseph Estrada, avait préparé à la place des peintures de trois mètres de haut représentant ce qu'ils considéraient être le programme pour le peuple [8] : réforme agraire authentique, industrialisation nationale, gouvernement pour le peuple, affirmation de la souveraineté nationale, programmes sociaux progressistes, et le respect des droits des personnes, la justice et la paix.

Fresques de Karatula, Ugatlahi et Tambisan

Beaucoup ont d'abord bien accueilli la reprise par Duterte des négociations de paix avec la guérilla communiste, la nomination de ministres de gauche dans son gouvernement, les annonces de remise en liberté de tous les prisonniers politiques, et les promesses de réformes.

Mais cette vision plutôt positive de Duterte n'a pas tardé à se gâter quand les cadavres de trafiquants de drogues suspectés apparemment tués par la police [13] sans procès se sont empilés, que les négociations de paix avec le mouvement communiste armé se sont enlisées [14], et que les promesses de réformes sociales se sont avérés des mots creux.

Et le 10 décembre 2016, une effigie de feu le dictateur Ferdinand Marcos a été brûlée sous le pont Mendiola à deux pas du complexe du palais présidentiel pendant l'action de protestation pour la Journée internationale des Droits humains. Les restes de Marcos, mort en 1989 après avoir gouverné d'une main de fer les Philippines pendant 21 ans, allaient recevoir de Duterte des funérailles de héros un an plus tard, le 17 novembre 2017.

Dans un billet Facebook [15], le collectif a averti Duterte de ne pas suivre les traces de Marcos, ou c'est son effigie qui serait brûlée la prochaine fois.

La première effigie géante… qui sera brûlée sous l'administration Duterte

Et c'est effectivement ce qui s'est passé, avec le feu mis à une succession d'effigies de Duterte, dont une représentant un missile à tête de Duterte chevauché par Trump [19] lors de l'anniversaire du rejet par le Sénat philippin des bases militaires américaines le 16 septembre 1992.

REGARDEZ : Une effigie du président US Donald Trump et du Pangulong Rodrigo Duterte qui sera brûlée pendant le rassemblement pour le cortège.

REGARDEZ ! RESBAK travaille à un Game of Thrones inspiré par l'effigie de Duterte.

“Doots dans une Godasse” [Jeu de mots sur ‘Duterte’ et une insulte, NdT], une effigie toute indiquée pour la main de fer et l'oppression de Duterte et son gouvernement.

REGARDEZ : Des manifestants s'apprêtent à brûler une effigie du prés. Duterte et du prés. US Trump face aux forces de police.

Lors le rassemblement du 21 septembre 2017 qui commémorait la déclaration de la loi martiale par le dictateur Marcos en 1972, Ugatlahi a réalisé un Rody’s Cube de 3 mètres de haut [30] sur le modèle du Rubik’s cube avec pour faces les visages de Duterte, Marcos, Hitler, et la tête d'un chiot.

Rudy's cube [autre jeu de mot, sur le diminutif du prénom de Duterte, NdT] par le collectif artistique Ugatlahi et Sandugo #ContreLaTyrannie #PlusJamaisÇa

Les manifestants brûlent une effigie du Président Duterte à Mendiola, Manille, aujourd'hui. Plus d'infos sur les Philippines ce soir au briefing Lateline/Contexte

Le personnage symbolisait les affinités de Duterte avec les dictateurs et sa nature supposée de marionnette des États-Unis, à cause du nombre croissant de violations des droits humains [38] dans son imposition de la loi martiale à Mindanao, sa guerre contre les drogues et sa guerre totale contre les guérillas communistes.

La dernière réalisation d'Ugatlahi montre le visage de Duterte, dépliable pour révéler un diable à l'intérieur, accompagné de quelques-unes de ses récentes déclarations. Elle a été dévoilée pendant la manifestation pour la Journée internationale des Droits humains de cette année [39] à Manille.

VRAI VISAGE. Le collectif artistique Ugatlahi dévoile une effigie dépeignant le fascisme de l'administration Duterte. On lit sur l'effigie quelques déclarations du président.

Les déclarations de Duterte citées : “Je reconnais être un fasciste, je vous catégorise donc déjà comme des terroristes”. “Je me fiche que vous deviez tous subir la pauvreté et la faim”. “Je suivrai l'Amérique de toute façon, on dit que je suis un American Boy [42]“. “Je bombarderai toutes ces écoles des Lumad [42]“.

Pour conclure, ces oeuvres d'art montrent comment la vision qu'ont de Duterte les activistes a évolué, partant d'un optimisme prudent sur un personnage populiste qui paraissait ouvert à la mise en œuvre de certaines réformes sociales pour finir par le considérer comme un tyran déterminé à détruire ce qui peut rester dans le pays d'espace démocratique pour les droits humains et une politique progressiste.