Le mot espagnol patria signifie, selon la définition de dictionnaire de l'Académie espagnole, “pays natal ou d'adoption, organisé en nation, auquel l'être humain se sent attaché par des liens juridiques, historiques et affectifs”.
Dans les médias d'information vénézuéliens, patria est un mot qui revient fréquemment. En examinant les articles parus dans des 86 sources vénézuéliennes entre juin et décembre 2017, on découvre que le mot patria figure dans au moins 17.020 informations. Dans cette période, le Venezuela a connu un cycle de manifestations de masse anti-gouvernementales, l'émergence et le déclin d'un mouvement de résistance civile, et trois élections controversées : d'une assemblée constituante, des gouverneurs et des maires.
Quand on analyse les termes dominants dans ces 17.000 articles, beaucoup ont du sens. La notion de pays natal, nation ou pays semble naturellement associée à des termes comme nacional, pueblo, país, soberanía et república (national, peuple, pays, souveraineté et république), indépendamment de tout contexte national. En explorant les médias du Venezuela, cela est tombe aussi sous le sens de trouver des références au pays et à ses nationaux (Venezuela, venezolanos), son histoire (le héros de l'indépendance Simón Bolívar) ou des valeurs politiques telles que unidad, paz, et justicia (unité, paix, et justice).
Mais nous avons aussi trouvé des appariements de mots avec patria qui s'avéraient spécifiques au Venezuela. Patria était souvent trouvé, par exemple, dans des informations sur l’économie vénézuélienne, comme cet article sur les nouvelles règles proposées pour les crédits bancaires aux entreprises. De même, dans cet article sur l'appel du Président Maduro à voter pour le gouvernement aux élections.Mais le mot qui se classe premier dans le nuage est carnet (carte d'identité). Qu'est-ce que le concept de “patrie” a à voir avec une carte d'identité ? Pour un Vénézuélien, la réponse est une évidence.
Le “Carnet de la Patria” (“Carte de la Patrie”) est une nouvelle pièce d'identité émise par les autorités du Venezuela. Les nationaux vénézuéliens doivent être en sa possession pour accéder aux services sociaux et aux programmes publics suivants :
- Les CLAP [acronyme espagnol des Comités locaux d'approvisionnement et de production], un système permettant d'acheter les produits alimentaires rationnés comme le riz, les pâtes, l'huile, le thon en conserve, les lentilles, les haricots, le sucre, le lait, le café et la farine de maïs, directement à des distributeurs publics
- Les médicaments provenant des hôpitaux publics
- Les pensions de retraite
- Le logement subventionné par l’État
- Les emplois du secteur public.
A en croire le Président Maduro, Il y a 16 millions d’utilisateurs enregistrés de cartes de la patrie. Ce qui représente plus de la moitié de la population nationale.
Et en effet, lorsqu'on restreint la requête aux articles croisant patria et carnet, les mots en rapport avec les programmes de prestations sociales (misiones, CLAP, pago, bono, pensiones, chamba ) se détachent dans le nuage.
Mais ce qui émerge aussi, ce sont les mots associés aux élections (votar, electoral, registro). Quel rapport entre services sociaux et élections ? Nous avons fouillé les articles référencés dans Media Cloud pour trouver.
Voilà ce que nous avons découvert : au verso de la Carte de la Patrie se trouve un code QR relié à une base de données de sécurité sociale. Le même code QR a servi à inscrire les électeurs pour la récente et controversée Assemblée Constituante.
- Le système de code QR qui contrôle les votes pour Maduro [Código QR: Sistema que controla los votos de Maduro]
El Carabobeño, 24 juillet 2017
De ces quatre structures, deux ont un rôle essentiel, L'une, le Movimiento Somos Venezuela, une organisation de partisans du pouvoir qui vérifie les besoins économiques directement dans les ménages, pour entrer les données sur une liste d'attente des prestations sociales publiques, tout en œuvrant à la pérennité de la révolution bolivarienne. La seconde : les Comités locaux d'Approvisionnement et de Production (CLAP), un système de distribution de colis alimentaires aux familles à revenus modestes, qui doivent passer par cet enregistrement.
Ce code QR permet au parti de gouvernement d'accéder aux informations sur les allocations de presque 80 % des électeurs inscrits, selon les chiffres cités par le Président Maduro. Mais la connexion entre élections et services sociaux pourrait être encore plus étroite : après les élections municipales du 10 décembre, plusieurs articles de médias en ligne indépendants ont affirmé que la Carte de la patrie (“Carnet de la Patria”) avait été utilisée pour contraindre les gens à voter :
- Le “carrousel” du PSUV : l'estocade au vote secret [El “carrusel” del PSUV: Estocada final al voto secreto]
El Estímulo, 19 décembre 2017
La chaîne commence avec le premier électeur qui s'enregistre avec sa Carte de la patrie à un point rouge [cabine du parti au gouvernement], entre dans l'isoloir, fait son choix sur la machine à voter, mais au lieu d'insérer le bulletin de vote physique dans l'urne, le rapporte au même point rouge où il a laissé sa Carte de la patrie, afin de montrer pour qui il a voté. Première rupture [du secret du vote].
Ce bulletin papier est ensuite passé à un second électeur, qui laisse lui aussi sa Carte de la patrie à ce point rouge, pénètre dans le bureau de vote, vote à la machine et en allant dans l'isoloir déposera le bulletin de la personne précédente en gardant le sien qu'il remettra au point rouge. Confirmant ainsi avoir voté pour le “bon” candidat afin de recevoir les allocations sociales.
Ainsi, pour les Vénézuéliens, “patrie” (patria) est désormais un mot qui peut se rapporter à la fraude électorale et aux denrées alimentaires de base plus qu'aux notions de nation ou de souveraineté. Aux Vénézuéliens, le mot patria évoque aussi des récits de faim et d'humiliation politique faits par amis, connaissances et proches vivant toujours dans l’ExPatria.
Pour en savoir plus sur la notion de patrie au Venezuela, lisez ces articles de Global Voices :
- Bâillonnés au nom du chavisme, religion politique du Venezuela
- Public Safety in Venezuela: ‘Safe Homeland’ to the Rescue? (en anglais et espagnol, non traduit en français)