Une adolescente victime d'agression est critiquée par les internautes, l'accusé est remis en liberté sous caution

“Quelle partie de NON vous ne comprenez pas ?” Image de Geralt via Pixabay. CC0

[Article d'origine publié en anglais le 29 décembre 2017]

Cette année, les accusations d'attouchements et harcèlement sexuel ont ébranlé Hollywood et se sont propagées mondialement avec la campagne #MeToo. Beaucoup d'activistes, de femmes et de sympathisants du monde entier, y comprisd'Asie du Sud, sont sortis de leur silence pour aborder ces problèmes. Cependant, quand une actrice indienne de 17 ans originaire du Cachemire a porté plainte pour attouchements et agression sexuelle, beaucoup d'internautes ont apporté leur soutien à l'accusé et non à la victime. De plus, la presse locale et les médias internationaux tels que la BBC ont versé de l'huile sur le feu en révélant son identité, en dépit des lois protégeant “les noms des victimes mineures”.

L'incident s'est produit le 9 décembre 2017, alors que l'actrice voyageait sur un vol intérieur entre New Delhi et Bombay. Elle a ensuite choisi de parler de l'agression sur Instagram et semblait visiblement secouée. Elle a expliqué qu'un homme d'âge mûr l'a continuellement harcelée pendant le vol et qu'elle a plus tard porté plainte sous la section 354 du code pénal Indien et de la loi de 2012 de protection des enfants contre les agressions sexuelles.

Voici ce que l'actrice a écrit sur son post Instagram :

“The lights were dimmed, so it was even worse. It continued for another five to ten minutes and then I was sure of it. He kept nudging my shoulder and continued to move his foot up and down my back and neck. This is not done, I am disturbed… Is this how you're going to take care of girls? This is not the way anybody should be made to feel. This is terrible!. No one will help us if we don't decide to help ourselves. And this is the worst thing.”

“L'éclairage était baissé, cela a empiré les choses. Cela a continué pendant encore cinq à dix minutes et ensuite j'en étais certaine. Il n'arrêtait pas de frôler mon épaule et a continué de bouger son pied de haut en bas sur mon dos et mon cou. Ce n'est pas fini, je suis perturbée… C'est la façon dont tu souhaites prendre soin des filles ? Personne ne devrait être forcé à se sentir de la sorte. C'est affreux ! Personne ne nous viendra en aide si nous ne décidons pas nous-mêmes de nous aider. Et c'est là le pire.”

Les autorités compétentes ont réagi et se sont dites choquées par l'incident :

La Commission sur les questions féminines de Delhi a notifié à la compagnie aérienne Vistara les accusations d'agression sexuelle de l'actrice Zaira Wasim sur le vol Delhi-Bombay. Nous attendons le rapport de l'incident pour le 16 décembre.

Alors que l'histoire prenait de l'ampleur et se répandait sur la toile, beaucoup se sont indignés de son calvaire. Mais d'autres ont remis en cause l'actrice, critiquant ses accusations et lançant même une campagne de calomnies à son encontre.

L'humoriste Hoozaay a écrit :

Ne vous embêtez pas à lire les réactions des réseaux sociaux sur ce qui est arrivé à Zaira Wasim. C'est un coup de pub, pourquoi de pas appeler la police etc etc… Comme d'habitude, ce sont des pures idioties sans cœur. Et on se demande pourquoi les femmes ne s'expriment pas plus souvent.

Beaucoup d'autres ont douté de la jeune actrice :

Chères femmes,
Les médias ou Internet ne sont pas des services de police. Si vous êtes agressées, signalez-le à la police ou la commission de la condition féminine. Si vous n'obtenez pas d'aide, vous pouvez toujours chercher un soutien public à travers internet ou les médias. N'utilisez pas internet pour blesser un homme innocent.

Une autre ancienne journaliste, Jagrati Shukla, connue pour sa rhétorique anti-musulmane et anti-Dalit a écrit :

3/3
C'est injuste d'humilier l'homme accusé d'agression par Zaira Wasim sans entendre sa version de l'histoire.
Elle et sa mère pensent que pleurer sur Instagram au lieu d'agir a du sens. Je pense que c'est un coup de publicité
Si l'agression a bien eu lieu, pourquoi n'a t-elle pas encore rempli de premier rapport d'information ? (FIR: First Information Report : document rempli par la victime lorsqu'elle porte plainte)

Cependant, d'autres personnes ont pris la défense de l'actrice et critiqué les réactions négatives qu'elle a subi de la part des internautes. Voici comment le réalisateur Gautam Benegal a expliqué l'entière situation dans un post Facebook :

The default setting traditionally in patriarchy is to point fingers at the woman first. The French even had a term for it. “Cherchez la femme!” Look for the woman. After the advent of feminism, there has been a huge backlash from resentful patriarchy (and that includes women too since they are embedded in the system) and it has become the fashion to rail against political correctness and revert to the default.

La société patriarcale est paramétrée par défaut sur l'accusation des femmes en premier lieu. Les Français ont même une expression pour ça. “Cherchez la femme!“. Après l’avènement du féminisme, il y a eu un énorme choc en retour de la part d'un patriarcat rancunier (et cela inclut aussi les femmes puisque qu'elles sont intégrées dans le système) et c'est devenu la mode de pester contre le politiquement correct et de vouloir revenir à ce paramétrage initial.

Le casse – tête du Cachemire (Cf : voir la couverture spéciale de Global Voices)

Le fait que l'actrice soit originaire du Cachemire, région disputée administrée par l'Inde, a envenimé les choses : beaucoup ont politisé leurs critiques contre les déclarations de l'actrice. Le Cachemire à majorité musulmane est géographiquement divisé entre l'Inde et le Pakistan et revendiqué dans son intégralité par les deux pays. Les politiciens séparatistes, les insurgés et des coalitions comme le “All Parties Hurriyat Conference” s'opposent à la souveraineté de l'Inde sur le Cachemire et se battent depuis 1989 pour l'indépendance ou une fusion avec le Pakistan. Les Cachemiris étant stéréotypés par les Indiens nationalistes comme des fauteurs de troubles et des séparatistes, beaucoup ne se sentent pas et ne se sont jamais sentis comme faisant partie de l'Inde et de son discours de démocratie, laïcité et mondialisation.

La dispute s'est accentuée les semaines suivantes, l'actrice étant de plus en plus critiquée de la part de personnes des deux côtés de l'échiquier politique. De nombreux militants se sont joints aux critiques, et ont commentant la situation en mettant en avant leurs affiliations et points de vue politiques.

Himanshu Mohan de Bangalore tweete :

Zaira Wasim symbolise la paranoïa des musulmans du Cachemire contre le reste des citoyens indiens. La seule manière pour les Cachemiris c'est d'aimer l'Inde et de se sentir inclus.

Sahil Adhikary de Bombay écrit :

Il était temps pour Zaira Wasim de jouer la carte du Cachemire et de la minorité, étant donné qu'on lui a donné tort dans le cas de son harcèlement.

Khalid Baig explique avec à-propos la situation :

Zaira Wasim: I got molested
Muslim Extremist: Acha huwa saali(Serves you right bitch)
Hindu Extremist: Jhoot bol rahi hain saali(You are a lying bitch)

Zaira Wasim : J'ai été agressée sexuellement
Extrémiste musulmans : Acha huwa saali (Bien fait pour toi salope)
Extrémiste hindou : Jhoot bol rahi hain saali (Tu mens salope)

Beaucoup ont même qualifié la plainte pour agression sexuelle de “coup de publicité”, reliant cet incident au soutien de la mère de l'actrice à l'équipe de cricket du Pakistan lors d'un match récent contre l'Inde.

La blogueuse Arshia Malik a écrit sur Facebook :

Grow up Zaira bibi, for Life's sake!
Being a celebrity your tantrums take away from the everyday misogyny that women suffer everywhere and every hour and deal with them in their own ways.
Not all of us can afford FIRs or Press Conferences.
Now methinks you've been primed for some sort of agenda.
Airlines Staff are very caring of common passengers but they will not bend to kiss your toe for the simple reason they serve, they are not bought labour by your money.
An irritable passenger is ticked off always and I'm sure the staff thought Princess was having one of her usual tirades.

Grandis Zaira bibi, bon sang !
Etant une célébrité, tes caprices font oublier la misogynie quotidienne que les femmes vivent partout, chaque heure et gèrent par leurs propres moyens.
Nous ne pouvons pas toutes nous permettre de porte plainte ou de faire des conférences de presse.
Pour moi, tu as préparé ça avec une intention cachée. Le personnel des compagnies aérienne est très attentionnés envers les passagers ordinaires, mais ne va pas se prosterner et te baiser les pieds parce qu'ils font le service, ils ne sont pas une main d’œuvre achetée par ton argent.
Un passager irascible est toujours réprimandé et je suis sûre que l'équipage a dû penser que la princesse faisait encore une de ses tirades habituelles.

Des débats sur le faux féminisme et des sanctions contre la jeune actrice ont émergé :

RT vous êtes contre le faux féminisme et si vous voulez que Zaira Wasim soit punie par le système pour avoir mis un homme innocent derrière les barreaux. svp tweetez 5 tweets chaque jour pour l'exposer elle et AamirKhan. Mettez en doute la police de Mumbai pour ses fausses accusations et @Dev_Fadnavis, ce faible MC (Ministre en Chef) pour son silence

Pendant que beaucoup d'acteurs de Bollywood ont défendu la jeune actrice sur les réseaux sociaux, d'autres ont essayé de donner du sens au débat qui dresse différentes communautés les unes contre les autres.

C'est pathétique et choquant la manière dont les gens ont transformé l'incident de Zaira Wasim en une diatribe Cachemiris contre Pandits, Hindous contre Musulmans, libéraux contre gauchistes.

La police de Bombay a mise en garde les internautes qui prennent pour cible et condamnent la jeune actrice :

Chaque victime a le droit constitutionnel de porter plainte pour abus sexuels et c'est notre devoir d'en prendre connaissance, d'enquêter et de faciliter le travail de la justice. Merci de vous abstenir de porter tout jugement de valeur et de respecter le droit des victimes d'agressions sexuelles

Pendant ce temps, Vikas Sachdeva, l'homme accusé d'avoir agressé sexuellement la jeune actrice, a été mis en liberté provisoire par un tribunal de Bombay et a reçu l'ordre de n'interférer avec aucun témoin de l'affaire. Sa femme et divers groupes indiens de droite l'ont défendu et lui ont apporté leur soutien tout au long de l'enquête.

Mon mari est innocent, il n'avait pas d'intention d'agression sexuelle. Il y a eu un décès d'un jeune dans notre famille et c'est là qu'il allait. Il n'avait pas dormi depuis 24 heures. Il a demandé aux personnels de cabine de ne pas le déranger car il voulait dormir. Ses pieds étaient sur l'accoudoir mais avec aucune intention de harcèlement : La femme de l'accusé dans l'affaire Zaira Wasim

Mépris des droits

En Inde, la couverture médiatique de l'incident a transgressé une disposition essentielle de la loi POSCO qui stipule que l'identité de la victime doit rester “protégée”. Cependant, garder secrète l’identité de la victime a été considéré comme impossible par beaucoup, du fait de sa notoriété et du partage en direct de son accusation pour agression sexuelle sur les réseaux sociaux.

Si quelques organes de presse ont respecté l'intimité de la victime, le mal était déjà fait. Ce que les internautes ont aussi lourdement critiqué.

Bien joué Times of India. Vous faites la morale dans le journal principal, et dans le supplément Bombay Times vous la nommez et mettez une photo en prime

La une du Times of India indique que le nom n'est pas dévoilé. Un article de 2 pleines pages avec nom, photo et adresse à l'intérieur. Aucune cohérence

Tina S a écrit dans Youth Ki Awaaz:

In Zaira’s case, its her prerogative when she chooses to report the incident. So many women report issues of molestation much later after it has happened. In some cases, many years later. Maybe she simply said an okay that she didn’t mean at that moment of apology. And the apology didn’t help her feel any better later. Maybe she wasn’t convinced of his innocence on an after thought. We don’t know for sure. But, why are we putting her under a microscope and examining her true intentions, and letting the man off the hook without such similar character screening?
The backlash that the actress is facing is a classic example of why women don’t report such seemingly trivial cases of harassment in day-to-day lives. Because sadly, it has become commonplace in our society and something that we as women, are expected to simply smile and bear.

Dans l'affaire Zaira, c'est son droit de choisir de signaler l'incident. Tellement de femmes signalent des cas d'agressions sexuelles bien après que cela s'est produit, dans certains cas, plusieurs années après. Peut-être a t-elle simplement dit un “pas de souci” qu'elle ne pensait pas réellement au moment où il s'est excusé. Et ses excuses ne l'ont pas aidée à se sentir mieux ensuite. Peut-être n'était-elle pas convaincue de son innocence après réflexion. Nous ne pouvons pas en être certain. Pourtant, nous la scrutons à la loupe et examinons ses véritables intentions en laissant cet homme se tirer d'affaire sans le passer au crible de la même manière.
Cette réaction violente à laquelle l'actrice fait face est un exemple typique qui illustre les raisons pour lesquelles les femmes ne signalent pas de tels cas de harcèlement dans leur vie de tous les jours. Car malheureusement, c'est devenu banal dans notre société et quelque chose que nous devons simplement supporter et accepter en souriant, car c'est que l'on attend de nous.

L'affaire reflète également la tendance récurrente dans la société patriarcale indienne à disséquer la parole d'une victime d'abus sexuels, ses vêtements et sa profession alors que l'accusé se voit accorder toute latitude au nom de “bah, ils font tous ça”. Comme dans beaucoup de cas à travers le monde, cette affaire souligne le fait qu'une personne doit prouver son statut de victime plus que les accusés n'ont à prouver leur innocence.

Traduction revue par Suzanne Lehn.
Global Voices suit un protocole exemplaire quant à la protection des noms des victimes. C'est pourquoi, nous nous sommes abstenus de mentionner le nom de la victime. Cependant, son nom est visible sur les posts des réseaux sociaux, qui étaient essentiels à l'article.)

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