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La militante espagnole de l'aide aux migrants Helena Maleno jugée au Maroc : “Un moyen d'intimider les défenseurs des droits humains”

Catégories: Afrique du Nord et Moyen-Orient, Europe de l'ouest, Espagne, Maroc, Action humanitaire, Cyber-activisme, Droits humains, Médias citoyens, Politique
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Capture d'écran d'un entretien avec Helena Maleno mené par Javier Sánchez Salcedo pour le site d'information Mundo Negro. Visible sur YouTube et sur le site web [2].

Le 31 janvier, la militante des droits humains et chercheuse espagnole Helena Maleno devait comparaître en justice au Maroc pour la deuxième fois, accusée de participation à un réseau de  traite des êtres humains du fait de son activité d'aide aux migrants qui se retrouvent à la dérive en Méditerranée.

Helena Maleno fait partie de l'organisation non gouvernementale Caminando Fronteras [3] (Marcher les Frontières), qui défend les groupes de migrants surtout en provenance d'Afrique sub-saharienne. L'accusation portée contre elle est basée sur ses appels téléphoniques aux services de sauvetage maritime pour les alerter sur la présence de canots en perdition.

Les multiples organes de médias qui l'ont interviewée ces derniers jours soulignent souvent que Maleno a toujours son téléphone à la main, et reçoit constamment des appels de personnes en danger en mer. “Mon téléphone leur est accessible. Je ne sais pas qui sont la plupart des gens qui m'appellent. Ils se donnent mon numéro les uns aux autres et m'appellent quand il y a une urgence”, a dit Maleno au quotidien espagnol El País. [4]

Les ennuis judiciaires de Maleno ont commencé en Espagne, où un tribunal a conclu en 2017 qu’ il n'y avait aucun caractère délictuel dans le travail de Maleno [5]. En revanche, les autorités du Maroc, pays où elle a travaillé pendant 16 ans, a rouvert l'affaire en réponse à la plainte d'un service de la police espagnole appelé Unité centrale contre les réseaux d'immigration et de faux papiers (UCRIF, en espagnol), le même qui avait saisi la justice espagnole.

Dans un entretien avec El País, Maleno s'est dite confiante en la justice marocaine, mais aussi inquiète de la criminalisation du travail humanitaire et surprise par la stratégie des autorités espagnoles :

Lo que no entiendo es por qué la policía española envió a Marruecos un expediente donde se me acusa de tráfico de seres humanos cuando un fiscal en España ya ha dicho que el caso está cerrado. No podemos abrir un precedente donde se persiga a quienes hacen un trabajo humanitario.

Ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi la police espagnole a envoyé au Maroc un dossier où on m'accuse de trafic d'êtres humains, alors qu'un procureur en Espagne a déjà déclaré l'affaire close. Nous ne pouvons pas établir un précédent où l'on poursuit ceux qui font un travail humanitaire.

Criminaliser la migration et le travail humanitaire

La même inquiétude est partagée par les divers militants et organisations qui soutiennent le travail de Maleno, comme l'équipe de direction de la Fondation porCausa [6], un collectif de journalistes et de chercheurs dédié à représentation du phénomène migratoire dans les médias.

Dans une tribune collective de porCausa dans El País, les membres mettent en garde que si Maleno est reconnue coupable, les préjudices pourraient être graves, pas seulement pour elle et Caminando Fronteras, mais aussi pour les défenseurs des droits humains qui œuvrent à protéger ceux qui traversent la mer Méditerranée :

…la personificación de una ofensiva política como la que realiza Marruecos contra Helena Maleno es un modo de amedrentar a todos aquellos que quieran hacer algo parecido. Esto debilitará aún más las escasas redes de protección de los migrantes que utilizan esta ruta […] La posibilidad de que el Ministerio del Interior español –o algunos de sus miembros- haya trasladado a Marruecos la ofensiva que no tuvo éxito aquí [en España] reviste una gravedad tan extraordinaria que debe ser aclarada cuanto antes.

[…] la personnalisation d'une offensive politique comme celle qu'exécute le Maroc contre Helena Maleno est une façon d'intimider ceux qui veulent faire quelque chose de semblable. Cela affaiblira encore plus les déjà rares réseaux de protection des migrants utilisant cette route […] La possibilité que le Ministère de l'Intérieur espagnol — ou certains de ses agents — transfère au Maroc l'attaque qui n'a pas abouti ici [en Espagne] revêt une gravité si extraordinaire qu'elle doit être clarifiée au plus tôt.

Et de poursuivre :

…la frontera Sur de España es el escenario de muchas ilegalidades, ninguna de ellas relacionada con la actividad de Maleno: devoluciones en caliente (sancionadas por el Tribunal de Estrasburgo [7]), vulneración de otras garantías de protección internacional, detenciones arbitrarias [8]malos tratos [9] e ignorancia de los derechos de los menores [10], por citar solo los delitos más gruesos. Pero la involucración en un hostigamiento tan feroz a los defensores de derechos humanos sería cruzar un punto de no retorno.

[…] La frontière sud de l'Espagne est le théâtre de nombreuses illégalités, dont aucune n'est en relation avec l'activité de Maleno : renvois immédiats (sanctionnés par la Cour de Strasbourg [11]), violation d'autres garanties de protection internationale, détentions arbitraires, maltraitance [12] et mépris des droits des enfants [10], pour ne citer que les violations les plus criantes. S'embarquer dans un harcèlement aussi féroce des défenseurs des droits humains serait franchir un point de non-retour.

Les expulsions collectives, ou renvois imméediats, mentionnés ci-dessus font référence à l'expulsion sous la contrainte de migrants arrivés sur le sol espagnol, une pratique au mépris des protections établies par le droit international.

Le cas de Maleno n'a rien d'exceptionnel [13]. Selon des signalements d’Amnesty International [14], José Palazón, le président de l'ONG Pro Derechos de la Infancia (Pour les droits de l'enfance), a été attaqué injustement par plusieurs organes de médias dans la ville de Melilla, une enclave espagnole sur la côte nord du Maroc, ainsi que par le Conseiller au Bien-être social. Les attaques verbales prétendaient disqualifier le travail de Palazón en prétendant qu'il ne s'agissait que d'une “bataille personnelle” ne bénéficiant à personne.

Ceci coïncide avec l'attitude générale de rejet des migrants [15] arrivant en Europe qui se banalise à travers l'Union européenne, [13] tandis que les périls demeurent pour ceux qui y cherchent refuge en traversant la Méditerranée : depuis le début de 2014, [16]14.000 [16] personnes sont mortes en mer.

#DéfendreCeuxQuiDéfendent

Maleno a reçu un soutien résolu du monde entier, et les témoignages de solidarité sont visibles sur les médias sociaux. [17]

Une pétition, créé sur la plate-forme Intermón d'Oxfam et diffusée sous le mot-clé #DefenderAQuienDefiende [18] (#DéfendreCeuxQuiDéfendent), exige que le gouvernement espagnol intervienne pour aider Maleno.

Dans le même temps, en Espagne, les membres de plus de 20 organisations ont manifesté leur soutien dans les rues de Grenade :

Hier, par accionenred Granada [Action sur le net Grenade], avec plus de 20 organisations sociales et partis politiques, nous avons voulu montrer notre solidarité et soutien à Helena Maleno et au travail solidaire qu'elle effectue.

Avec leur système d'alerte, Maleno and Caminando Fronteras ont contribué au sauvetage de centaines de personnes [24] qui se sont embarquées dans des conditions précaires pour des traversées incroyablement périlleuses. Maleno aide aussi à donner aux migrants une meilleure qualité de vie et se bat pour la reconnaissance de leurs droits humains de base.

Son activité de militante et sa dénonciation des injustices sociales ont valu à Maleno d'être distinguée par le Conseil général des avocats espagnols en 2015.

Le fondement du travail de Maleno et de Caminando Fronteras est aussi d'humaniser ceux qui s'embarquent pour l'Europe. Une partie de cet effort se voit dans leur travail de sensibilisation pour essayer de faire comprendre aux citoyens européens les circonstances et la résilience des populations qui arrivent à leurs frontières. Elle l'explique dans la vidéo ci-dessous :

No quiero que haya una devoluciones en caliente […] No porque tú seas de Guinea Bissau, no es porque seas negro, es porque no quiero que el mundo haya devoluciones en caliente […] porque hoy eres tú y mañana seremos nosotros […] Esto puede cambiar puede dar la vuelta en cualquier momento […] Todos estamos en la misma patera […] si esto se hunde nos hundimos todos.

Je ne veux pas qu'il y ait des renvois immédiats. […] Ce n'est pas parce que tu es de Guinée-Bissau, pas parce que tu es noir, mais parce que je veux un monde sans renvois immédiats. […] c'est parce que aujourd'hui c'est toi et demain ça sera nous […] Ça peut changer à tout moment. […] Nous sommes tous dans le même bateau […] s'il coule nous coulerons tous.