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La calligraphie iranienne rencontre la bande dessinée et la culture pop dans les œuvres de Jason Noushin

Catégories: Afrique du Nord et Moyen-Orient, Iran, Arts et Culture, Médias citoyens, The Bridge

Photo courtoisie de Jason Noushin et utilisée avec permission.

Dans son exposition « All Her Number'd Stars », présentement ouverte à la galerie d'art Susan Eley [1] dans la ville de New York, l’artiste britannique d'origine iranienne Jason Noushin [2] explore l’interaction dynamique qu’entretiennent ces deux cultures étayent son identité.

Jason Noushin a quitté l’Iran à l’âge de 13 ans mais la culture persane imprègne toujours sa vie. Au travers de son œuvre, son identité perse est projetée d’une manière authentique et saillante par son immersion dans la culture occidentale. Les pièces les plus animées de son exposition unifient ces différentes influences.

« Retournant à la langue des lieux de son enfance, Noushin incorpore la calligraphie persane dans une multitude de ses toiles et sculptures », indique la galerie d’art Susan Eley dans son communiqué de presse pour l’exposition. « La translittération en farsi de la poésie écrite par de prestigieux auteurs britanniques tels que Keats, Hawthorne et Shelley est tracée à travers ses toiles et reflète la réconciliation des cultures qui l’ont façonné. »

En complément aux toiles et aux sculptures, l’exposition inclut plusieurs des dessins de Noushin, manifestant son habileté et sa compréhension des différentes techniques. « Je dessine depuis que je suis capable de tenir un crayon », dit Noushin. « C’était toujours la forme d’art la plus accessible et jusqu’à ce jour, la fondation de tout ce que je crée ».

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Sonnet III, une toile de Jason Noushin avec de la calligraphie persane, provenant de la collection « All Her Number'd Stars » à la galerie Susan Eley. Image offerte par Jason Noushin.

Le grand-père de Noushin veillait à le garder pourvu en carnets à dessiner et en crayons. Sa tante Massoumeh Noushin Seyhoun [4] était une peintre et l’une des influences les plus importantes dans la vie de son neveu. Selon Noushin, sa tante avait « reconnu tôt dans sa carrière que sa passion résidait dans la promotion à ses pairs du marché naissant de l’art iranien ». Elle a lancé la galerie Seyhound [5] à Tehran en 1966. Cette dernière représente depuis sa création certains parmi les plus grands artistes iraniens du 20e siècle. Massoumeh Noushin Seyhoun est décédée en 2010, mais la galerie Seyhoun continue à être la plus vieille galerie d’art de l’Iran.

Noushin s’en est tenu au dessin durant son enfance. La peinture est arrivée plusieurs années plus tard. « Mon bon ami Philippe m’a donné un chevalet, des pinceaux, de l’huile et une toile à Paris quand j’avais 24 ans et il m’a dit de m’amuser. C’est comme cela que j’ai appris à peindre, par essais et erreurs et par libre expérimentation ».

Dans un entretien, j’ai questionné Noushin sur sa nouvelle exposition, la signification du collage et de la calligraphie dans ses toiles, son usage d’une multitude de techniques et ses sources d’inspirations. En provenant d’un environnement artistique riche, les toiles de Noushin reflètent une conversation éclairante sur la culture, l’identité et les traditions mélangées avec des éléments familiers comme des extraits de bandes dessinées. Tout ceci émerge de ses tableaux de manière subtile, harmonieuse et puissante.

 Omid Memarian:  Comment « All Her Number'd Stars » est-elle née ?

Jason Noushin: “All Her Number’d Stars” was the direct result of another show, Beyond the Ban: Iranian Contemporary Art, held at Susan Eley Fine Art Gallery in the summer of 2017. The show was a benefit for the Center for Human Rights in Iran. I donated several canvases which were well received in the show. That led to a studio visit, and the rest is history, as they say.

« All Her Number'd Stars » est le résultat direct d’une autre exposition, Beyond the Ban: Iranian Contemporary Art (Au-delà de l'interdiction : Art iranien contemporain,) montrée à la galerie d’art Susan Eley durant l’été 2017. L’exposition était au bénéfice du Center for Human Rights in Iran [Centre des Droits de la Personne de l'Iran]. J’ai fait don de plusieurs toiles, lesquelles furent bien reçues durant l’exposition. Cela a mené à la visite d’un atelier et le reste fait partie de l’histoire, comme on dit.

OM: Dans votre récente exposition à la galerie Susan Eley à Manhattan, vous avez des sculptures, des dessins et des toiles. Qu’est-ce que l’utilisation de différents supports signifie pour vous ?

JN: I'm a restless person and can lose focus—even interest—if I work on any one thing for a prolonged period. When I was younger, I'd translate that restlessness into working extremely fast to finish a painting in a single day. As I only work in oil, that meant working wet on wet, which can create particular challenges. To remedy this, I started painting on cardboard, which forces the paint to dry quicker. With more maturity I slowed down and allowed paintings to rest before being reworked. That, naturally meant working on several pieces at any given time, creating a more cohesive body across disciplines.

Working in two and three dimensions and trying to solve the same problem in multiple ways furthers my understanding of the practice of art. I have no formal art education and don't feel bound by rules. I see this as a limitless opportunity to learn and experiment. Making art is like a puzzle that changes with time and place.

Je suis une personne agitée et je peux perdre ma concentration, voire mon intérêt, si je travaille sur la même chose pour une durée prolongée. Quand j’étais plus jeune, j’exprimais cette agitation en travaillant extrêmement vite pour terminer une toile en une seule journée. Comme je travaillais seulement avec l’huile, cela voulait aussi dire que je travaillais peinture fraiche sur peinture fraiche, ce qui implique plusieurs défis particuliers. Pour remédier à cela, j’avais commencé à peindre sur du carton, ce qui force la peinture à sécher plus vite. Avec plus de maturité, j’ai finalement ralenti et appris à laisser la peinture se reposer avant de la retravailler. Cela impliquait évidemment que je devais travailler sur plusieurs pièces en même temps, ce qui a créé un corpus plus cohérent dans les disciplines.
Travailler en deux ou trois dimensions et tenter de résoudre le même problème de façons multiples a fait avancer ma compréhension de la pratique de l’art. Je n’ai pas de formation conventionnelle dans les arts alors je ne me sens pas contraint à suivre des règles. Je vois cela comme une opportunité sans limites pour apprendre et expérimenter. Créer l’art ressemble à un casse-tête qui change en fonction du temps et de l'endroit.

OM: Le collage a une présence dominante dans la plupart de vos œuvres, avec des éléments qui semblent en rapport avec l’identité comme thème sous-jacent. Quel est votre raisonnement derrière le choix d’éléments comme la calligraphie persane, les bandes dessinées et les polices de caractères ?

JN: I was an antiquarian book collector/seller for over a decade. In that business, a small percentage of purchases are unsellable due to their condition. I started recycling pages from these old books as a support for my ink drawings and years later the same procedure created the comic book collages. As you say, there is a connection to identity. Art is not made in a void; it all comes from somewhere. I suppose my favorite memories (maybe somewhat exaggerated) are from my childhood in Tehran before the revolution. I enjoyed reading comic books and playing street soccer as boys do in Tehran. So, yes, these comic book collages are reminders of a time and place that no longer exists.

JN: J’ai été un vendeur et collectionneur de livres anciens pendant plus d’une décennie. Dans ce marché, une petite portion des acquisitions sont impossibles à revendre à cause de leur mauvais état. J’ai alors commencé à collectionner les pages de ces anciens livres pour mes dessins à l’encre et plusieurs années plus tard, la même technique a créé les collages de bandes dessinées. Comme vous le dites, il y a un rapport avec l’identité. L’art ne sort pas du vide ; il provient toujours de quelque part. Je suppose que mes meilleurs souvenirs (peut-être un peu exagérés) sont ceux de mon enfance à Téhéran avant la révolution. J’aimais lire des bandes dessinées et jouer au football dans les rues, comme le font les garçons à Téhéran. Alors, oui, ces collages de bandes dessinées sont des rappels d’un moment et d’un endroit qui n’existent plus.

« All Her » de Jason Noushin provenant de la collection « All Her Number'd Stars » à la galerie Susan Eley. Image offerte par Jason Noushin.

OM: Vous avez vécu la majeure partie de votre vie adulte au Royaume-Uni et aux États-Unis. Mais, particulièrement dans vos toiles, des éléments persans comme la calligraphie ont une présence importante. Comment décrivez-vous cette connexion ?

JN: Surprisingly, I've lived in the United States longer than any other country. I came here 20 years ago with the intention of returning to France after a year but, that didn't come about. Although I haven't been back to Iran since I left at age 13, being Iranian, with all the richness of its culture and language, is present in my everyday life. It is who I am no matter where I live.

JN: Étonnement, j’ai vécu aux États-Unis plus longtemps que dans tout autre pays. Je suis arrivé ici il y a 20 ans avec l’intention de retourner en France après un an, mais cela ne s'est pas fait. Même si je ne suis pas retourné en Iran depuis mon départ à l’âge de 13 ans, être Iranien, avec toute la richesse de sa culture et de sa langue, est présent dans ma vie au quotidien. C’est ce que je suis, peu importe où j’habite.

OM: Les femmes sont le sujet de plusieurs de vos œuvres. D’où proviennent-elles ?

JN: I find women more interesting than men. The majority of people I know are women.

This might be the result of being raised by two extraordinarily strong women, my grandmother and aunt.  My grandfather was a very quiet and private man. So it's not surprising that my work reflects that. The female protagonist is almost always the same person but, she wears different skins, such as calligraphy or comic book leaves, which were an important influence in my teens.

JN: Je trouve que les femmes sont plus intéressantes que les hommes. La majorité des personnes que je connais sont des femmes.

Cela est peut-être dû au fait que j’ai été élevé par deux femmes extraordinaires, ma grand-mère et ma tante. Mon grand-père était un homme très silencieux et solitaire. Il n’est donc pas étonnant que mes œuvres reflètent cela. Le protagoniste féminin est presque toujours la même personne, mais sa peau se transforme, parfois avec de la calligraphie ou des feuilles de bandes dessinées, lesquelles étaient une influence importante dans mon adolescence.

L’œuvre « Hit Me » de Jason Noushin provenant de la collection « All Her Number'd Stars » à la galerie Susan Eley. Image offerte par Jason Noushin.

OM: Plusieurs de vos œuvres explorent le passé. Est-ce que le sentiment de nostalgie dans plusieurs de vos œuvres est le produit d’une décision consciente ?

JN: I've always been fascinated with human history. As a schoolboy, I was captivated with the ancient Egyptians after a visit to the British Museum and for a couple of years thereafter, I tried learning to read hieroglyphs. I like the smell of history and prefer old to shiny new. That is the source of my interest in antiquarian books. Nostalgia is not tangible but, if you want to capture some of it and make it your own, art is the best vehicle. Art has the power to transport you to a different time and place. My imagination is more active when I think of the past rather than the future.

JN: J’ai toujours été fasciné par l’histoire de l’homme. A l'école, j’étais captivé par l’Égypte antique à la suite d'une visite au British Museum et durant les deux années qui suivirent, j’ai essayé d’apprendre à lire les hiéroglyphes. J’aime l’odeur de l’histoire et je préfère le vieux au neuf qui brille. Voilà l'origine de mon intérêt pour les livres anciens. La nostalgie n’est pas tangible, mais si vous voulez en capturer une partie et la faire vôtre, l’art est le meilleur moyen. L’art a le pouvoir de vous transporter dans d’autres temps et lieux. Mon imagination est plus active quand je pense au passé plutôt qu’au futur.

OM: Quel est le point de départ de vos toiles et quels sont les choix que vous devez faire avant que la peinture ne touche la toile ?

JN: A painting always starts with choosing the linen, stretching and sizing it with rabbit-skin glue, then staining, folding or otherwise manipulating the canvas. I spend just as much time creating a support as I do painting, drawing or building upon it. I find these stretched canvases so beautiful, that at times I fear I'd be ruining them with an added image.

JN: Un tableau commence toujours par le choix de la toile, son étirage et son dimensionnement avec de la colle de peau de lapin. Il faut ensuite la teindre et la plier, autrement dit manipuler la toile. Je prends autant de temps à créer un support qu’à peindre, dessiner et construire sur ce dernier. Je trouve que ces toiles étirées sont magnifiques, au point où parfois j’ai peur de les gâcher avec l’ajout d’une image.

OM: Votre imagerie comporte des références à la culture populaire comme à des éléments traditionnels tel que la calligraphie. Pensez-vous que votre art appartient à un courant spécifique ?

JN: I really don't know. I’m still exploring. Obviously, the influence of pop culture and traditional Persian calligraphy are at odds with each, but their combined visual impact is harmonious. It's stylistic, it's decorative, it's deeply enthralling and engaging at the same time.

JN: Je n'en sais rien. J’explore encore. Évidemment, l'nfluence de la culture pop et de la calligraphie persane traditionnelle est contradictoire, mais l’impact visuel qui nait de leurs combinaisons est harmonieux. C’est élégant, c’est décoratif, ça captive et ça interpelle profondément dans le même temps.

OM: Certaines de vos œuvres sont très remplies, pourtant elles montrent une harmonie en dimensions, en couleurs et en textures. Quels sont vos repères visuels ?

JN: The practice of art is always in flux for me. I try not to constrict myself with rules or get comfortable and lazy repeating the same work. Mixing Western pop with Eastern calligraphy is a fun and recent challenge. However, a change is bound to happen sooner than later.

Visual references can come from anywhere. Ideas can sometimes they stay dormant for long periods, years even before I can adequately execute them. I spend a lot of time reading about art, walking through galleries and museums, absorbing the process and methods of others. Nature, too, is a singular source of inspiration.

JN: Ma pratique artistique est toujours en mouvement. J’essaie de ne pas me contraindre avec des règles ou encore de rester dans le confort et la paresse d'un travail répétitif. Mélanger la culture pop de l’Occident avec la calligraphie orientale est un défi récent et amusant. Cependant, un changement se produit forcément d’un instant à l’autre.

Les références visuelles peuvent provenir de n’importe où. Les idées quant à elles peuvent rester latentes pendant de longues périodes de temps, voire des années avant que je sois en mesure de les exécuter correctement. Je passe beaucoup de temps à lire sur l’art en parcourant les galeries et les musées afin d’absorber les procédés et les méthodes des autres. La nature, elle aussi, est une source d’inspiration à elle seule.

These three are headed to Brown University's @watsoninstitute and the John Nicholas Brown Center for Public Humanities this morning. The show runs from October 27, 2017 to January 27, 2018. Opening is November 8th. CROSSING BORDERS, curated by Judith Tolnick Champa and @jocelyn_foye #art [6]

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Ces trois pièces sont en route aujourd'hui pour le Watson Institue et le Nicholas Brown Center for Public Humanities de l'université Brown. Exposition du 27 octobre 2017 au 27 janvier 2018, TRAVERSER LES FRONTIERES. Commissaires: Judith Tolnick Champa et Jocelyn Foye

OM: Quelle est la signification de la calligraphie ou de l’alphabet persan qui se répètent comme un motif ?

JN: Persian calligraphy is a beautiful art form. Although it's the same alphabet Arabs use, Iranians have perfected and mastered this art form. Calligraphy is extremely versatile and I’m experimenting with its limitless possibilities as an extension of line drawings.

JN: La calligraphie persane est une très belle forme artistique. Bien qu’il s’agisse du même alphabet que celui que les Arabes utilisent, les Iraniens ont perfectionné et maitrisé cette forme artistique. La calligraphie est extrêmement multiple et j’expérimente avec ses possibilités illimitées comme d’une extension des dessins au trait.

OM: Êtes-vous en contact avec les artistes iraniens et la scène artistique en Iran ces dernières années ?

JN: I have met some very talented Iranian artists here in New York. Some travel back and forth to Iran. I haven't but, I miss it, especially the street food. I'd love to have a show in Tehran. That'd be the perfect excuse for a visit.

JN: J’ai rencontré des artistes iraniens très talentueux ici même, à New York. Certains font régulièrement des allers-retours en Iran. Ce n’est pas mon cas, mais ça me manque, particulièrement la cuisine de rue. J’adorerais avoir une exposition à Téhéran. Ce serait un parfait prétexte de visite.