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Dans son film ‘Seder-Masochism’ Nina Paley éclaire la naissance du patriarcat dans le Livre de l'Exode en animant des idoles antiques

Catégories: Asie du Sud, Inde, Népal, Cyber-activisme, Film, Humour, Médias citoyens
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Arrêt sur image de la séquence chantée “You Gotta Believe” par Nina Paley sur Vimeo.

Global Voices s'est entretenu avec la cinéaste et militante américaine de la culture libre Nina Paley à propos de son nouveau film d'animation, Seder-Masochism [2]. Le film est librement inspiré du Livre de l'Exode de la Torah/Bible pour mettre au jour le patriarcat voilé dans le texte religieux.

Les licences Creative Commons
Les licences Creative Commons [3] (CC) sont un ensemble de licences ouvertes—la licence CC0 [4], la plus ouverte de toutes, autorise à utiliser, partager, et exécuter des dérivés, ainsi qu'à utiliser la version originale/dérivée même pour des utilisations commerciales, sans aucune attribution. A l'inverse, la licence Creative Commons Attribution-Pas de modification-Pas d'utilisation commerciale CC-BY-ND-NC [5] est la plus restrictive de toutes les licences CC et est proche de “Tous droits réservés”.

Nina Paley est la réalisatrice du long-métrage d'animation de 2008 Sita Sings the Blues [6] (Sita chante le blues) qu'elle a mis dans le domaine public en 2013. Le film est une narration [7] de l'épopée indienne du Ramayana en chansons de jazz des années 1920 d’Annette Hanshaw [8]. Ce film a rendu Nina Paley mondialement célèbre avec son interprétation féministe de l'épopée, et sa longue bataille contre les revendications des droits d'auteur liés aux chansons d'Annette Hanshaw utilisées dans le film. Paley a dû payer [9] une somme négociée d'au moins 50.000 dollars en recourant à un emprunt [10]. Elle a finalement reclassé la licence du film de Creative Commons ‘Attribution-Partage dans les mêmes conditions 3.0 Non adaptée’ (CC-BY-SA 3.0 [11]) en Creative Commons CC0 [12] (équivalant au domaine public).

Dans un entretien avec la station de podcast juive Judaism Unbound, Paley a expliqué [13] que Seder-Masochism est son interprétation de l'Exode qu'elle a d'abord apprise pendant les séder de Pessa'h. Le séder de Pessa'h [la Pâque juive] est un rituel juif qui consiste à faire revivre [14] la libération des Israélites de leur esclavage dans l’Égypte antique. Dans l'entretien, elle précise qu'elle “s'identifie comme une “athée newborn (‘régénérée’)” et explique en quoi sa récente étude du Livre de l'Exode l'a laissée mal à l'aise.

Plusieurs chansons et scènes du film Seder-Masochism ont déjà été mises en ligne [15] sur Internet par Nina Paley, y compris la longue séquence chantée “You Gotta Believe” [1] (‘Tu dois croire’) qui transformait des idoles et déesses de pierre minoennes [16] en personnages d'animation flash. On y voit Moïse et des déesses antiques ‘chantantes’ sur le point d'être vaincues [17] par le patriarcat.

Global Voices a rencontré Nina Paley pour en savoir plus sur son dernier film.

Subhashish Panigrahi (SP): Tout d'abord, félicitations pour votre œuvre qui va sortir prochainement. Quels ont été vos rôles dans l'ensemble de la production ? De quoi s'agit-il dans ce film ?

Nina Paley (NP): Once again I'm producing, directing, writing, animating, everything-ing…I'm hoping the sound designer for “Sita Sings the Blues [18]“, Greg Sextro [19], is able to do more sound design for Seder-Masochism [20]. The music is all “found” and used without permission [at the moment]. Much or all of my use is Fair use [21], but ultimately that can only be determined in court.

Seder-Masochism is about the Book of Exodus [22] from the Torah/Bible, and indirectly the Quran (Moses is a prophet of Islam). My interpretation of Exodus is that it's the establishment of complete patriarchy, the elimination of any remaining goddess-worship from older times.

Some of clips from the feature-in-progress are here [15].

Nina Paley (NP): Une fois de plus je produis, réalise, scénarise, anime, et tout et tout… J'espère que le concepteur sonore de “Sita Sings the Blues [18]“, Greg Sextro [19], pourra aussi créer les sons de Seder-Masochism [20]. La musique est entièrement “trouvée” et utilisée sans autorisation [pour le moment]. Tout ou presque de ce que j'utilise est Fair use [23], mais au final cela ne peut être fixé qu'en justice.

Seder-Masochism parle du Livre de l'Exode [24] de la Torah/Bible, et indirectement du Coran (Moïse est un prophète de l'islam). Mon interprétation de l'Exode est que c'est l'instauration d'un patriarcat total, l'élimination de tous cultes de déesses demeurant des temps plus anciens.

Certains des clips du film en cours de réalisation sont ici. [15]

SP: Qu'est-ce qui vous a inspirée de commencer ce projet ?

NP: Sita Sings the Blues was denounced by fundamentalists who called my collaborators “self-hating Hindus.” As a Jew, that rhetoric was familiar to me – Jews *invented* that “self-hating” nonsense. Since I'm not a Zionist, I've been called a “self-hating Jew” too. Also, the Hindutvadis called me a “white Christian woman who hates Hindus”, and sent hate emails saying “how would you like it if someone made a film about YOUR religion?!” Of course I love it when someone makes a good film about Abrahamism - Monty Python's Life of Brian [25] is the best I can think of.  I was (am) also frequently accused of “cultural appropriation [26]“, implying that only those of Hindu/Asian descent are qualified to work with Hindu/Asian stories. So it seemed that everyone, right and left [27], wanted me to make a film about “my” religion, Judaism! I figured if they're offended by Sita Sings the Blues, they'll be REALLY offended by that. I printed up a Jew Card [28] so I could “play” it for this project.

NP: Sita Sings the Blues a été dénoncé par les fondamentalistes qui ont appelé mes collaborateurs des “Hindous qui se détestent”. C'est une rhétorique qui m'était familière en tant que juive : ce sont les juifs qui ont inventé cette ineptie de “haine de soi”. Comme je ne suis pas sioniste, j'ai été traitée moi aussi de juive “qui se déteste”. De même, les Hindutvadis m'ont traitée de “Chrétienne blanche qui déteste les Hindous” et m'ont envoyé des courriels de haine disant “ça vous plairait que quelqu'un fasse un film sur VOTRE religion ?!”. Évidemment que j'adore quand quelqu'un fait un bon film sur la religion abrahamique – Monty Python La vie de Brian [29] est le meilleur que je connaisse. J'ai été (et suis) aussi fréquemment accusée d’ “appropriation culturelle” [30], qui prétend que seuls ceux d'ascendance hindoue/asiatique sont qualifiés pour travailler sur des récits hindous/asiatiques. Il semblait donc qu’à droite comme à gauche [31], chacun voulait que je fasse un film sur “ma” religion, le judaïsme ! J'ai supposé que si on a été scandalisé par Sita Sings the Blues, on le serait VRAIMENT par celui-là. Je me suis imprimé une Carte de Juif [28]pour pouvoir la “jouer” pour ce projet.

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GIF de Déesse antique par Nina Paley. Source: Nina Paley/Wikimedia Commons

SP: La chanson est désopilante ! Comment avez-vous donné vie à ces idoles millénaires ?

NP: There are already goddesses in the Flash sections of Seder-Masochism I animated a couple of years ago. I needed to put more “goddess” into the film, and was tediously redrawing the Flash [33] goddesses in Moho [34], the software I'm using now. It occurred to me that instead of redrawing them I could use the source images they're based on, I spent a few days finding the highest resolution images I could, and a few more days manually removing the backgrounds in GIMP [35]. Moho can do things Flash can't, such as this type of animation with raster images. Anyway, they looked cool so I'm using them in the remaining Seder-Masochism scenes.

NP: Il existe dans les sections Flash des déesses que j'avais animées deux ans auparavant. Il fallait que j'introduise plus de “déesses” dans le film, et j'étais en train de dessiner laborieusement les déesses de Flash [36] dans Moho [34], le logiciel que j'utilise à présent. Je me suis alors aperçue qu'au lieu de les redessiner, je pouvais utiliser les images sources sur lesquelles elles sont basées, j'ai passé quelques jours à trouver les images à la plus haute résolution possible, et quelques jours supplémentaires à enlever les arrières-plans avec GIMP [35]. Moho peut faire des choses que Flash ne peut pas, comme ce type d'animation avec des images pixelisées. Quoi qu'il en soit, elles étaient super, alors je m'en sers dans les scènes restantes de Seder-Masochism.

Les déesses en animation flash peuvent être téléchargées [37] sur Wikimedia Commons.

Pendant que Paley auto-produit seule son film, elle travaille également avec d'autres militants de la culture libre, comme l'organisme sans but lucratif américain QuestionCopyright.org [38] pour lever des fonds, en plus du lancement d'une campagne sur Kickstarter [20]. Elle met en ligne [15] des segments du film publiquement sur Internet au fur et à mesure de sa réalisation.