Le dernier scandale de corruption en Grèce dévoilé grâce à une enquête du FBI

Corruption Image : Pixabay, CC0.

Depuis quelques semaines, le climat politique est de plus en plus houleux en Grèce. Au départ, une grande partie des événements politiques actuels tournaient autour de la résurgence du débat national sur la querelle autour du nom de la Macédoine, mais la tempête qui vient d'éclater a été déclenchée par un scandale financier impliquant le géant pharmaceutique Novartis et des accusations de corruption contre des responsables politiques.

Le 6 février 2018, le Parlement a été informé d'allégations contre l'entreprise pharmaceutique multinationale Novartis, émanant de témoins anonymes de l'affaire. D'après les faits les plus anciennement connus, il y a des indices de “pots-de-vin” totalisant jusqu'à 50 millions d'euros et impliquant dix personnalités politiques de haut rang des précédents gouvernements grecs au milieu d'une trentaine de secrétaires généraux, conseillers politiques et anciens directeurs de ministères. Les pertes pour l'Etat grec sont évaluées à plus de 3 milliards d'euros pour la période 2000-2015.

Le scandale est d'ores et déjà surnommé “bombe d'1 mégatonne“. Le ministre de la Justice Stavros Kontonis en parle comme du “plus gros scandale depuis la création de l'Etat grec moderne“, dépassant même l’affaire Siemens, un scandale de corruption et de pots-de-vin concernant l'achat de marchés publics de systèmes de sécurité dans les années 1990.

Novartis et l'enquête actuelle

Tour Novartis à Bâle, en Suisse. Wikimedia Commons, CC BY 2.0

La multinationale de la santé Novartis, qui a son siège en Suisse, est l'épicentre d'une enquête mondiale sur de supposés versements illégaux à des fonctionnaires étatiques ayant conduit à des pratiques anti-concurrentielles et assis sa position dominante sur le marché mondial.

Depuis 2014, la Securities and Exchange Commission (S.E.C.) des Etats-Unis (l'organisme de contrôle boursier) et le FBI enquêtent et découvrent de nombreuses malversations  dans l'entreprise — qui seraient également à l'oeuvre en Grèce. Ces pratiques incluent des pots-de-vin versés à des hommes politiques, à des fonctionnaires relevant du Ministère de la Santé, à des médecins et à du personnel hospitalier. Les médecins pousseraient et prescriraient les produits Novartis parfois plus coûteux que ceux de la concurrence.

Comme l'ont souligné plusieurs médias ces derniers jours :

[…] η Ελλάδα είναι χώρα ειδικού ενδιαφέροντος για την Novartis, αφού η τιμή ενός προϊόντος στην Ελλάδα, θα επηρέαζε την τιμή του διεθνώς. Έτσι, μια αύξηση 10 σεντ στην Ελλάδα, υπολογίζεται ότι μπορεί να μεταφράζεται σε κέρδη 25 εκατομμυρίων για την εταιρεία.

La Grèce est un pays qui a un intérêt particulier pour Novartis : le prix d'un produit en Grèce va influer sur son prix mondial. Une augmentation de 10 cents en Grèce va apporter un bénéfice de 25 millions à la firme.

Novartis a eu un rôle essentiel dans le développement de médicaments ophthalmologiques et oncologiques pour les malades du cancer ainsi que d'un grand nombre de vaccins contre le virus de la grippe H1N1, avec un gain financier conséquent pour la multinationale. Comme l’indiquait un article de 2009 du portail d'informations Euro2Day :

Η μετοχή της εταιρίας καταγράφει αυτήν την ώρα άνοδο της τάξης του 3,16%.

Les actions de l'entreprise enregistrent actuellement une hausse de 3,16  %.

Sur Twitter, NikosBovolos feint de s'étonner :

Qui aurait imaginé voir des scandales dans le secteur de la santé, quand [l'ex-ministre de la Santé et aujourd'hui mis en cause] M. Avramopoulos a commandé 16 millions de vaccins pour un pays avec une population de 10 millions ?

Réactions sur la scèe politique grecque

Lorsque l'information sur ce nouveau scandale a atteint la presse, les médias sociaux ont commencé à être noyés sous les réactions, les commentaires et les mèmes des internautes, sous les mots-dièses #novartis ou #Novartis_gate. Il y a aussi eu des réactions hors-ligne de la part des personnalités politiques mises en cause elles-mêmes.

Parmi les premières interrogations soulevées autour de la crédibilité de ce dernier épisode, il y avait le choix opportun de son moment. Les dépositions de témoins protégés anonymes ont été données en novembre dernier, et la dernière date du 4 février, à l'apogée des “discussions sur le nom de la Macédoine”. L'information sur le scandale a pris de l'ampleur à peu près au même moment que se tenait à Athènes un rassemblement de masse protestant contre l'utilisation du nom “Macédoine” comme appellation officielle de la ‘FYROM’ (Ancienne république yougoslave de Macédoine) voisine. Alors que l'actuel scandale domine les grands titres, certains se disent que ce pourrait être une tactique pour distraire de cette affaire politique pressante touchant le pouvoir actuel :

Voyez comment les priorités et les titres de l'actualité se déplacent, et le rassemblement s'évanouit purement et simplement

Un[e affaire] “Novartis” par jour évite à [l'affaire] “Macédoine” tout recours

Vous pouvez mettre au jour 100 [affaires]Novartis, la Macédoine est UNE et est grecque

De plus, un enjeu crucial pour le procureur anti-corruption est de préserver l'anonymat des témoins protégés — deux hommes et une femme — qui auraient fait état de craintes pour leur vie. Non sans raisons.

L'un des hommes politiques grecs mis en cause, Evangelos Venizelos, ancien Vice-premier ministre et titulaire de divers ministères pour le parti PASOK, a demandé que la protection des témoins soit levée pour que tout un chacun puisse les poursuivre en justice pour diffamation ou parjure. Par la suite, il a tenu des propos interprétés par beaucoup comme des menaces contre les témoins.

Evangelos Venizelos sur les témoins du scandale Novartis : “…pauvres gens, ils croient qu'ils seront protégés pour toujours”.

Peut-être la phrase la plus vile proférée par un politicien au 21ème siècle. Et la concurrence ne manque pas…

Marios Salmas, ancien ministre-adjoint à la Santé du parti Nouvelle Démocratie, lui aussi accusé d'avoir reçu des paiements illégaux de Novartis, est apparu en direct à la télévision et a également menacé de punir les témoins protégés de l'affaire. Selon la vidéo figurant sur un article du portail d'information Tribune, il enfonce le clou :

[…]Σας λέω ένα πράγμα οι μάρτυρες αυτοί που κατέθεσαν εδώ –ας τους άλλαξαν ταυτότητα- θα βρεθούν και θα τιμωρηθούν. Είναι μικρή η Ελλάδα.

Je dis une seule chose. Ces témoins qui ont déposé ici — même s'ils obtiennent de nouvelles identités — ils seront retrouvés et seront châtiés. La Grèce est petite.

Sur Twitter, @Kyria_Katy déplore profondément :

Je vis dans un pays où un ex-ministre de la Santé à l'audace remarquable menace des témoins protégés en direct à la télévision.

Et @Paralogistis de s'exclamer :

La Grèce, seul pays de la planète où ceux qui sont jugés sont les témoins.

[Sur l'image] :
Scandale Novartis.
Ev. Venizelos : Les témoins croient-ils qu'ils seront protégés pour toujours ?
M. Salmas : Les témoins protégés seront trouvés et punis !

Un débat public s'est aussi ouvert pour savoir si les allégations émanant des témoignages avaient un fondement, ou n'étaient qu'une tentative de ternir des personnalités politiques de premier plan des deux partis d'opposition précédemment au pouvoir, PASOK et Nouvelle Démocratie, comme le note le quotidien allemand Handelsblatt.

Les dix personnalités politiques, deux ex-Premiers ministres et huit ex-ministres suposés impliqués dans le scandale, ont dénoncé les accusations à leur encontre. Certains d'entre eux ont même brandi la menace de procès, traitant l'affaire de “ciblage politique” et de “harcèlement”. L'ex-Premier ministre Antonis Samaras a déclaré qu'il allait porter plainte contre le Premier ministre actuel Alexis Tsipras et contre Dimitris Papaggelopoulos, ex-directeur général du Service national de renseignement et actuel Ministre de la Justice.

Un autre député accusé, Adonis Georgiadis, ex-Ministre de la Santé du parti Nouvelle Démocratie, connu pour ses déclarations polémiques, a dit sa conviction que le scandale est entièrement “monté et dirigé” par le ministre suppléant de la santé Pavlos Polakis, implicitement traité d'agent du FBI.

M. Polakis a lui-même répondu sur sa page Facebook avec un mème comique reçu d'internautes :

Adonis, tu as raison !!!! Je viens même de recevoir ma carte professionnelle !!!!
Haha, je suis mort de rire, on m'a envoyé ça il y a peu !!!

L'argument pricipal contre les accusations dans cette affaire est que les coupables présumés prétendent ne pouvoir passer en justice pour cause de presciption.

Il faut être gonflé pour tweeter un article de presse disant que les délits du scandale Novartis – commis pendant votre mandat de ministre – sont prescrits ! Comme s'il avait jamais eu un honneur et l'avait perdu !

Est-ce possible que la ligne officielle de défense du parti Nouvelle Démocratie dans le #Novartis_Gate se centre sur la possibilité d'une prescription des délits ? Sérieusement ?

Ce scandale se déroule peu à peu et secoue la scène politique et sociale grecque. Mais des doutes existent sur la question de savoir s'il en sortira des résultats réels, car beaucoup pensent au maivais bilan de la Grèce en matière de traitement judiciaire “réel” dans des affaires similaires. Attendons les rebondissements des prochains jours et mois pour le savoir.

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