Le plus grand journal du Brésil quitte Facebook, qu'il accuse d'être un foyer de “fake news”

Facebook a annoncé en janvier vouloir réduire les contenus publiés par les pages — de marques et médias — sur les fils d'information de ses utilisateurs, au profit des textes des amis. Image: Pixabay CC0

Un des plus grands et plus influents journaux du Brésil a décidé de se rebeller contre Facebook en cessant de publier du contenu sur sa page, qui compte près de six millions d'abonnés.

La décision, annoncée dans un éditorial du 9 février, paraît sans précédent pour une page d'organe d'information majeur dotée d'une telle masse d'abonnements. Le temps dira si d'autres grandes institutions de presse emboîteront le pas à la Folha.

Le conglomérat de médias Folha de S. Paulo, dont les ventes papier et numérique approchent les 300.000 exemplaires, a fait savoir que sa décision provient essentiellement du récent changement apporté par Facebook au fil d'information de ses utilisateurs, visant à réduire la quantité de contenu posté par les pages Facebook pour favoriser les posts d'amis et de la famille.

L'éditorial explique :

[Le fil d'actualité actuel] souligne la propension des utilisateurs à  consommer les contenus avec lesquels ils ont des affinités, favorisant la création de bulles d'opinion et la propagation de fake news.

Outre sa page Facebook principale, les pages Facebook de la Folha pour les sections particulières du journal s'enorgueillissent de 2,2 millions d'abonnés supplémentaires. La Folha ne prévoit pas de se débarrasser de ses pages Facebook, mais indique que dorénavant elles ne seront plus mises à jour. Le dernier post sur le fil chronologique de la page est celui annonçant son abandon.

La Folha dit continuer à mettre à jour ses comptes sur Twitter (6,2 millions d'abonnés), Instagram (727.000 abonnés) et LinkedIn (72.000 abonnés).

Pour les Brésiliens qui tirent l'essentiel de leur information de Facebook, cela signifie qu'à l'avenir ils ne l'obtiendront plus de la Folha. L'éditorial ajoute cependant que Facebook a perdu sa prééminence parmi ses plateformes de distribution dès avant l'annonce par la compagnie de son changement d'algorithme. Dans une étude menée par la Folha elle-même, qui analysait les interactions sur 51 pages Facebook de médias professionnels et 21 de sites de “nouvelles fausses ou à sensation” , montrait que les interactions d'utilisateurs avec le premier groupe a chuté de 17 % d'octobre à décembre 2017. Les interactions avec le second groupe (“sites de nouvelles fausses et à sensation”) ont bondi de 61 % dans le même intervalle.

Néanmoins, le directeur général de la Folha, Sérgio D'Ávila, a dit dans un entretien avec le Guardian que le changement de l'algorithme de Facebook était “le facteur décisif” :

En bannissant efficacement le journalisme professionnel de ses pages en faveur des contenus personnels et en ouvrant l'espace à la prolifération des “fake news”, Facebook est devenu un milieu inhospitalier pour ceux qui veulent offrir du contenu de qualité comme le nôtre.

Le malaise autour des “fake news” et de la désinformation est lourd au Brésil à l'approche de l'élection présidentielle de septembre 2018. Ce sera le premier scrutin à suivre la destitution controversée de la présidente Dilma Rousseff (Parti des Travailleurs) en 2016.

Début décembre 2017, le gouvernement brésilien a instauré une commission pour surveiller et éventuellement faire bloquer les articles de fausses nouvelles sur les médias sociaux avant l'élection à venir. L'opinion s'est alors inquiétée de la censure.

Fondée en 1921 et propriété depuis 1962 de la famille Frias, dont les origines remontent à l'aristocratie coloniale brésilienne du 19ème siècle, la Folha de S. Paulo est généralement considérée comme le journal le plus libéral de la presse de centre-droit au Brésil, même si on l'associe toujours aux secteurs plus conservateurs de la société.

Le journal a longtemps été accusé de collaboration avec le régime militaire qui a gouverné le Brésil de 1964 à 1985, parce qu'il prêtait même ses véhicules à la police à l'époque, des allégations qu'il nie. En 2009, un éditorial qualifiait le régime militaire de ‘ditabranda‘, ou ‘dictature douce’, par comparaison avec d'autres régimes d'Amérique latine de l'époque, provoquant l'indignation dans l'opinion et une manifestation devant le siège du journal.

Pendant les manifestations de 2013, la journaliste de la Folha Giuliana Vallone a été tuée d'une balle de caoutchouc dans l'œil le jour même où la Folha publiait un éditorial défendant la répression policière. La large diffusion ensuite sur les médias sociaux de la photo de Vallone, l'œil en sang, a été considérée comme un tournant majeur dans la contestation, et celui qui a enraîné un glissement de la presse vers le soutien aux manifestations.

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