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Coup d'Etat judiciaire ? La Cour suprême des Maldives ordonne la libération immédiate des dirigeants de l'opposition 

Catégories: Asie du Sud, Maldives, Dernière Heure, Droit, Droits humains, Gouvernance, Liberté d'expression, Média et journalisme, Médias citoyens, Politique, Relations internationales
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En juillet 2017, des policiers et des soldats en tenue anti-émeute ont traîné de force les députés de l'opposition hors du bâtiment du parlement. Image de l'utilisateur Flickr Dying Regim,. CC BY 2.0

Le jeudi 2 février 2018, la Cour suprême des Maldives a ordonné [2] la libération immédiate de l'ancien président Mohamed Nasheed [3] [fr], de l'ancien vice-président Ahmed Adeeb et de plusieurs autres leaders de l'opposition, expliquant que leurs procès violaient la constitution et le droit international. En outre, la Cour a annulé une décision anti-défection [4] par laquelle 12 élus avaient perdu leurs sièges au Parlement pour avoir quitté en juillet dernier le parti au pouvoir. Le tribunal a également ordonné de nouveaux procès pour les dirigeants de l'opposition qui ont été accusés, mais le gouvernement joue la montre.

On parle de coup d'état judiciaire, car cela pourrait conduire à la destitution du président sortant, Abdulla Yameen Abdul Gayoom [5][fr]. L'année dernière, un processus de destitution avait été bloqué grâce à la décision anti-défection [6] de la Cour suprême qui interdisait aux parlementaires de changer d'affiliation politique – de sorte que le nombre de députés requis pour la destitution ne pouvait être atteint. Ces événements sont les derniers en date dans les montagnes russes politiques [7] dont les Maldives ont été le théâtre ces dernières années.

Global Voices s'est entretenu avec un militant de Malé qui s'était exprimé sur ce prétendu coup d'état judiciaire dans une publication privée. (Le nom de l'activiste et le lien vers sa déclaration sur les médias sociaux n'ont pas été révélés pour des raisons de sécurité) :

It is four hours past midnight in the Maldives, and here in Malé, the capital city, the sound of police sirens are heard in the distance as another coup is unfolding. It is a judicial coup this time; the country’s Supreme Court has ruled tonight to release all high-level political prisoners and that no parliamentarian would lose the seat for switching her or his political party. Ironically it is the same Supreme Court which had ruled a couple of months [8] ago that parliamentarians would lose seats for floor crossing and kept the status of some 12 MPs in limbo when they tried to defect from the ruling party to the opposition. That ruling was a lifeline for the increasingly sidelined autocratic president Yameen Abdul Gayoom. It is also the same Supreme Court which had meddled in the presidential election of 2013, paving the way for Yameen to come to power in the first place. While some of the opposition supporters have hailed the Supreme Court judges as heroes tonight, it must be remembered that their actions are significant [9] in the slide of Maldives back to a dictatorship. They have been known to take over new powers and authority which were never granted to them by the constitution and to encroach on the powers of the parliament to the extent that the Supreme Court had morphed into a lawmaking body.

Il est quatre heures et demie aux Maldives, et ici, à Malé, la capitale, on entend le bruit des sirènes de la police au loin alors qu'un autre coup d'Etat se produit. C'est un coup d'Etat judiciaire cette fois-ci : la Cour suprême du pays a décidé ce soir de libérer tous les prisonniers politiques de haut niveau et qu'aucun parlementaire ne perdrait son siège pour avoir changé de parti politique. Ironiquement, c'est la même Cour suprême qui avait statué [8] il y a quelques mois que les parlementaires perdraient leur mandat s'ils changeaient de filiation politique et avait suspendu 12 députés lorsqu'ils ont tenté de passer du parti au pouvoir à l'opposition.
Cette décision avait été une bouée de sauvetage pour le président autocratique de plus en plus mis à l'écart, Yameen Abdul Gayoom. C'est également la même Cour suprême qui s'était mêlée de l'élection présidentielle de 2013, ouvrant la voie à l'arrivée au pouvoir de Yameen. Alors que certains des partisans de l'opposition considèrent les juges de la Cour suprême comme des héros ce soir, il ne faut pas oublier que leurs acties ont eu un rôle significatif [9] dans le glissement des Maldives vers une dictature. Ils sont connus pour s'être attribué de nouveaux pouvoirs et de nouvelles compétences qui ne leur ont jamais été accordés par la Constitution et pour empiéter sur les pouvoirs du parlement au point que la Cour suprême s'est transformée en un organe législatif.

Pendant ce temps, les prisonniers n'ont toujours pas été libérés, et le gouvernement maldivien soutient [10] que le document de la Cour suprême doit être validé pour qu'il puisse exécuter l'ordre. Ibrahim Hussain Shihab, le porte-parole international du président Abdulla Yameen, a déclaré que le gouvernement ” prendrait contact et consulterait la Cour suprême afin de se conformer à la décision selon la procédure et la primauté du droit.”

Le refus d'appliquer les récentes ordonnances de la Cour Suprême, ne fait que montrer combien le Président YAG méprise et dédaigne la constitution et la primauté du droit. Le monde entier constate à quel point vous êtes un président incompétent !

L'ex-président Mohamed Nasheed a soutenu le jugement de la Cour suprême :

Bienvenue à la décision de ce soir de la Cour suprême demandant la libération immédiate des prisonniers politiques et la restauration de leurs droits civils et politiques. Le président Yameen doit respecter cette décision et démissionner. J'exhorte tous les citoyens à éviter la confrontation et à s'engager dans une activité politique pacifique.

Des membres de la communauté internationale ont également accueilli favorablement la décision. Imthiyaz Fahmy a apprécié les sentiments exprimés dans un tweet par l'ambassadeur des États-Unis aux Maldives :

Merci M. l'Ambassadeur pour tout votre soutien aux citoyens des #Maldives ?

Peu de temps après la publication du verdict en ligne, des centaines de personnes se sont rassemblées au siège du Parti démocratique maldivien [22] (MDP), dans l'opposition, pour célébrer. Les policiers sur les lieux ont tiré des gaz lacrymogènes pour disperser la foule et ont arrêté plusieurs personnes.

Plusieurs personnes arrêtées.

Liste des personnes à libérer
1. Mohamed Nasheed
2. Mohamed Nazim
3. Imran Abdulla
4. Ahmed Adeeb Abdul Gafoor
5. Muhthaaz Muhsin
6. Gasim Ibrahim
7. Ahmed Faris Maumoon
8. Ahmed Nihan
9. Hamid Ismail

Le Bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme a exprimé [27] sa préoccupation face à la réaction “musclée” des forces de sécurité.

Les Maldives sont passées d'une autocratie à une démocratie en 2008, mais elles ont connu une instabilité politique après que leur premier président démocratiquement élu, Mohamed Nasheed [3] [fr], a été déposé par ce qui a été considéré [28] comme un “coup d'Etat” en 2012. Le président actuel Abdulla Yameen a remporté [29] [fr] des élections présidentielles controversées en 2013. Le pays tombe à nouveau dans l'autoritarisme alors que des accusations croissantes montent contre le président Yameen de réduire la dissidence [30] au silence et d’emprisonner [31] ses opposants politiques – y compris Nasheed son prédécesseur – sous des accusations considérées comme inventées.

L‘Opposition Unie des Maldives [32] (MUO), une coalition de partis d'opposition [33] dirigée par Mohamed Nasheed, en exil, exige la démission du président Abdulla Yameen Abdul Gayoom par des moyens légaux et sa mise en accusation pour blanchiment d'argent [34]ainsi que pour d'autres crimes [35].

En septembre 2016, “Stealing Paradise [36]” (paradis des voleurs”, une enquête de la chaine de télévision qatarie Al Jazeera, a révélé [37] comment le président Yameen et ses proches avaient détourné des millions de dollars, corrompu des juges et d'autres hauts fonctionnaires, utilisant également leur influence pour chasser les fonctionnaires qui leur faisaient obstacle.

Pour compliquer davantage les choses, le chef de la police Ahmed Areef a été demis [10] de ses fonctions et le sous-commissaire Ahmed Saudhee l'a remplacé. Apparemment, cette manoeuvre est survenue après que la police maldivienne, dans un tweet, a donné l'assurance qu'elle respecterait l'ordre du tribunal et déclaré qu'elle avait entamé le processus de libération des prisonniers politiques.

Wouah. Le procureur général des Maldives annonce le renvoi du chef de la police. La police des Maldives avait tweeté qu'elle appliquerait la décision de la Cour suprême.

En examinant l'impasse, le militant de Malé n'a épargné aucune aucune des tendances politiques :

As the coup unfolds, on one side stands the solitary figure of the incumbent president Yameen, while on the other side is the opposition coalition in which there are so many politicians who must be held responsible for destroying the fabric of Maldivian society in recent years. At times political foes and at times friends, they have orchestrated coups, looted the treasury and made local politics dirtier. As for Yameen, the lesson he had learned from Machiavelli’s The Prince seems to be to become a leader who is feared rather than a leader who is loved. In his four years in power, he has reduced independent institutions to mere puppets, imprisoned all political opponents, introduced laws to block independent media [43] and unbiased reporting, and consolidated his power with the assistance of the judiciary. He kept China close [44], upsetting India and the United States. Recently his government signed a free trade agreement with China, which has been criticised by the former president Mohamed Nasheed’s party as inviting China to grab lands in the Maldives. Ironically it was with the assistance of Nasheed’s party MDP that the government was able to pass the laws which facilitate such land grabs.

Yameen also ventured into a taboo territory recently when he cracked down [45] on some tourist resorts, sending police and customs officials to search the resorts and confiscate the liquor there. While he ordered this as a crackdown against a tycoon who happens to be one of his political opponents, this move must have unnerved the influential businessmen in the tourism industry […] it is those tycoons who wield the real power in the Maldives and any threat to their resorts or their businesses is bound to have repercussions.

[…] Yameen is playing his last card by unleashing the police [46] on opposition protesters, spraying them with tear gas and brutally beating them. He has fired the Commissioner of Police and is attempting to delay the enforcement of the Supreme Court’s rulings while he is looking for options to either arrest the Supreme Court judges or to replace them.

Au fur et à mesure que le coup d'Etat se déroule, il y a d'un côté la figure solitaire du président sortant Yameen, de l'autre, la coalition de l'opposition, où tant de politiciens doivent être tenus responsables de la destruction du tissu social maldivien ces dernières années. Parfois ennemis politiques et parfois amis, ils ont orchestré des coups d'Etat, pillé le trésor et rendu la politique locale plus sale. Quant à Yameen, la leçon qu'il avait apprise du Prince de Machiavel semble être de devenir un chef craint plutôt qu'un chef aimé. Au cours de ses quatre années au pouvoir, il a réduit les institutions indépendantes à de simples marionnettes, emprisonné tous les opposants politiques, introduit des lois pour bloquer les médias indépendants [43] et les reportages impartiaux en consolidant son pouvoir avec l'aide du pouvoir judiciaire. Il a maintenu des relations étroites avec la Chine [44], mécontentant l'Inde et les États-Unis. Récemment, son gouvernement a signé un accord de libre-échange avec la Chine, qui a été critiqué par le parti de l'ancien président Mohamed Nasheed pour être une invitation à la Chine de s'approprier des terres aux Maldives. Ironiquement, c'est avec l'aide du parti MDP de Nasheed que le gouvernement a pu adopter les lois qui facilitent ces accaparements de terres.

Récemment Yameen s'est également aventuré sur un territoire tabou lorsqu'il s'est attaqué [45] à des complexes touristiques, envoyant des policiers et des agents des douanes fouiller les stations et confisquer l'alcool. Alors qu'il a ordonné cela comme une répression contre un magnat qui se trouve être l'un de ses adversaires politiques, cette décision a pu décourager les hommes d'affaires influents dans l'industrie du tourisme […] ce sont ces magnats qui exercent le vrai pouvoir aux Maldives et toute menace à leurs hôtels ou entreprises a forcément des répercussions.

[…] Yameen joue sa dernière carte en déchaînant la police [46] contre des manifestants de l'opposition, en les arrosant de gaz lacrymogènes, en les frappant brutalement. Il a congédié le chef de la police et il tente de retarder l'exécution des décisions de la Cour suprême en cherchant des options pour soit arrêter les juges de la Cour suprême, soit les remplacer.

Certains médias locaux ont également reçu des menaces :

La commission de diffusion des Maldives menace de fermer les radios et télévisions

Dernière heure : La police est maintenant au quartier général du MDP aux Maldives et fait des arrestations en utilisant une force excessive, me disent les hauts responsables du MDP. Développements confus sans précédent après la décision du Cour suprême. La protection prévue par la constitution pour les juges de la Cour suprême a été retirée par le président.

Le 2 février, la police maldivienne a tweeté un communiqué de presse, qui semble donner un répit temporaire au président quelque temps :

Communiqué de presse: PMC / 2018/02 Traduction approximative : La police tente d'exécuter l'ordonnance de la Cour suprême après avoir consulté le procureur général en suivant la procédure régulière.

Reste à voir comment cette décision de justice affectera les perspectives politiques des Maldives. Cette année l'ouverture de la session parlementaire prévue pour le 5 février 2018 a été reportée indéfiniment [54] pour des raisons de sécurité. Azim Zahir, un doctorant, a tweeté:

Ce qui importe moins, c'est de décider si l'ordre de la CS des Maldives est légitime ou non. Le système dans son ensemble souffre d'une crise de légitimité. Ce qui importe plus, c'est la façon dont cet ordre et l'union des différentes forces en opposition au régime ouvrent ou bloquent les possibilités démocratiques.

Avec la perte de légitimité politique par l'abrogation des règles démocratiques, la perte du soutien de la coalition, de la majorité parlementaire et de l'appui de la Cour Suprême au président Yameen, son gouvernement gouverne effectivement comme dans un état militaro-policier à travers des sections de l'appareil de sécurité.