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‘Je suis un espion': les journalistes bangladais défendent leurs droits d'investigation

Catégories: Asie du Sud, Bangladesh, Censure, Cyber-activisme, Droit, Droits humains, Gouvernance, Liberté d'expression, Manifestations, Média et journalisme, Médias citoyens, Politique, Technologie, Advox
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Capture d'écran de Facebook – des protestataires avec le hashtag #আমিগুপ্তচর (#JeSuisUnEspion)

Billet d'origine publié en anglais le 7 février. Tous les liens associés renvoient à des pages en anglais, sauf mention contraire.

Depuis le 29 janvier, des dizaines de journalistes au Bangladesh se prétendent espions sur leur profil dans les média sociaux.

Tenant des pancartes portant le hashtag #আমিগুপ্তচর [2] [bn, en langue bangla] (prononcer “Ami Guptochor”, signifiant “#JeSuisUnEspion”), ils se sont élevés contre la proposition d'une nouvelle loi qui pénaliserait des pratiques-clés de recherche des journalistes d'investigation.

La loi sur la Sécurité numérique de 2018 (2018 Digital Security Act), toujours en projet, vise les délits numériques. Le projet actuel a été approuvé [3] par le Conseil des ministres du Bangladesh le 29 janvier et sa présentation est programmée au Parlement (Jatiya Sangsad) pour son approbation. Le projet de loi devrait être adopté [3] sans opposition grâce à la majorité détenue par le parti au pouvoir, la Ligue Awami du Bangladesh [4].

Cette loi vise à remplacer la loi sur les Technologies de l'information et de la communication [5] [fr, en français] (ICT Act) de 2006 (amendée en 2013) qui a soulevé de nombreuses critiques pendant les dernières années. La célèbre Section 57 de cette loi interdit les messages numériques qui peuvent “détériorer” le droit et l'ordre, “porter préjudice à l'image d'un État ou d'une personne” ou “heurter les croyances religieuses”. Pour ces délits ne bénéficiant pas de caution, la peine minimale est de sept années d'emprisonnement et d'une forte amende. Ces termes vagues ont ouvert la voie à ce que des dizaines de journalistes et des centaines de blogueurs et d'activistes en ligne puissent être poursuivis pour leurs écrits [6] et leurs commentaires sur les média sociaux. Le ministre de la Justice Anisul Huq avait promis [7] en juin 2017 que la Section 57 serait abrogée.

Pourquoi le hashtag #JeSuisUnEspion?

La Section 32 du projet de loi stipule [8] :

Si une personne pénètre illégalement dans une institution publique, semi-publique ou autonome, et qu'elle enregistre des informations ou des documents au moyens d'appareils électroniques, cela sera considéré comme un acte d'espionnage et il/elle encourra une peine de 14 années d'emprisonnement ou une amende de 2 millions de takas bangladais (près de 20.000 euros) ou les deux.

De nombreux journalistes et activistes en ligne craignent que leur travail d'investigation pour divulguer les irrégularités des fonctionnaires et des politiciens soit considéré comme de l'espionnage.

De la Section 57 à la Section 32, des protestations aux humiliations. D'après la loi sur la Sécurité numérique, je suis un espion ! Venez donc arrêter cet espion auto-proclamé et laisser ce pays se développer en étranglant les journalistes.

Le journaliste Parvez Reza [11] [bn], correspondant spécial pour Ekattor Television, est considéré comme la personne ayant lancé cette tendance. Il a écrit sur un post Facebook :

অনেকেরই প্রশ্ন, কেন সাংবাদিকরা নিজেকে গুপ্তচর হিসেবে স্বীকার করে নিচ্ছে? সহজ উত্তর, সরকার, রাষ্ট্র এখন আইনের মাধ্যমে আমাদের গুপ্তচর বৃত্তির অভিযোগে অভিযুক্ত করার পায়তারা করছে।[…]

De nombreuses personnes se demandent, “pourquoi les journalistes se disent espions?” La réponse est simple, le gouvernement tente de pénaliser notre travail d'investigation en nous classant parmi les espions.

Le journaliste d'investigation Badruddoza Babu enrage [12] [bn] :

#আমিগুপ্তচর। আমি বদরুদ্দোজা বাবু। অনুসন্ধান করি, সাংবাদিকতা করি। মানুষের স্বার্থে কাজ করি। অনিয়ম আর দুর্নীতি খুঁজি। ফলে আমাকে সরকারি অনেক নথি জোগাড় করতে হয়! ডিজিটাল নিরাপত্তা আইনের ভাষায়, এখন আমি গুপ্তচর!

#JeSuisUnEspion. Je suis Badruddoza Babu. Je mène des enquêtes. Je suis un journaliste. Je travaille pour ceux qui poursuivent les irrégularités et la corruption. Je dois collecter de nombreuses preuves secrètement. D'après la récente Loi sur la Sécurité Numérique, je suis un espion.

Le journaliste Rozina Islam a déclaré à BBC Bangla pendant un entretien [13] que la loi sur la Sécurité numérique rendra très difficile de procéder à la collecte de preuves pour les articles d'actualité.

Les autres dispositions de la loi sur la Sécurité numériques de 2018

Le projet de loi sur la Sécurité numérique contient 48 sections. Les journalistes ont initialement réagi à la section 32 disant que la collecte non-autorisée d'informations provenant d'institutions publiques, semi-publiques ou autonomes en utilisant des appareils électroniques serait définie comme étant de l'espionnage numérique.

Il existe un certain nombre d'autres sections [3] dans cette nouvelle loi qui pourraient menacer la liberté d'expression en ligne et les droits des média dans le pays. La Section 57 de l'ICT Act qui devrait bientôt être supprimée stipule un maximum de 14 années d'emprisonnement pour des délits tels que la diffamation, la blessure de sentiments religieux, la perturbation de l'ordre ou le préjudice à une personne ou une organisation. Le projet de la loi sur la Sécurité numérique a séparé ces délits en quatre sections différentes [14] avec des peines allant de trois à dix ans. Quelques-unes des parties les plus significatives de la loi incluent :

- Section 27 : Matériel sur des sites internet ou sur des appareils électroniques qui blessent les croyances religieuses. Ce délit ne bénéficie pas de caution et la peine est de 5 années d'emprisonnement ou d'une amende de 1 million de takas bangladais (près de 10.000 euros) ou les deux. 

- Section 28: Publication de fausses informations ou de propos diffamatoires dans les média. Ce délit bénéficie de caution et la peine est de 3 ans d'emprisonnement ou d'une amende de 200.000 takas (près de 3.000 euros) ou les deux.

- Une peine d'emprisonnement à vie en cas de contribution à une propagande négative qui va à l'encontre de la Guerre d'Indépendance ou du Père de la Nation par l'utilisation d'appareils numériques.

- Autorisation pour les agences de sécurité de rechercher ou d'arrêter toute personne sans mandat d'arrêt si l'officier de police estime qu'un délit concerné par la loi a été commis ou qu'il y a une possibilité de crimes.

Maître Jyotirmoy Barua [15], un avocat de la Cour Suprême du Bangladesh, a déclaré lors de son entretien avec Monitor :

The Digital Security Act is an Eyewash. It is section 57 for all intent and purposes. All the provisions have merely been redistributed among other sections. Its approval will ensure that people lose their freedom of speech.

La loi sur la Sécurité numérique est du lavage oculaire. C'est la section 57 à tout faire. Toutes les dispositions ont juste été redistribuées dans les autres sections. Son approbation assurera la perte de la liberté d'expression de la population.

Barua mentionne [8] aussi dans un entretien avec le Dhaka Tribune :

Why won’t I be able to record something wrong happening before my eyes? If I try to copy classified government records, we have the Official Secrecy Act for that.

Pourquoi ne serais-je pas autorisé à enregistrer un méfait qui aurait lieu sous mes yeuxb? Si je tente de copier des documents classifiés du gouvernement, nous avons la loi sur le Secret officiel pour cela.

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Captures d'écran tirées de Facebook

Le journaliste et blogueur Maskwaith Ahsan [16] [bn] a observé que le gouvernement suivait la loi sur les secrets officiels [17] de la période coloniale dans cette nouvelle loi. Il a écrit sur Facebook :

ডিজিটাল নিরাপত্তা আইন ২০১৮ প্রণয়ন দেখে অনুভূত হয়; সরকার ২০১৮ সালের বাস্তবতায় বসে ১৯১৮ সালের তামাদি শাসন কৌশল অনুসরণের চেষ্টা করছে। বৃটিশ শাসনে অফিশিয়াল সিক্রেসি এক্ট বা দাপ্তরিক গোপনীয়তা আইন প্রণীত হয়েছিলো। ঔপনিবেশিক অপশাসন চালিয়ে যাবার জন্যই জনগণের স্বার্থে পরিচালিত সরকারী দপ্তরের তথ্য জানার অধিকার থেকে জনগণকেই বঞ্চিত করার অপচেষ্টা চালানো হয়েছিলো এই আইনের মাধ্যমে।

A voir la mise en place de cette loi sur la Sécurité numérique 2018, il semblerait que le gouvernement tente de mettre en oeuvre la stratégie de gouvernance de 1918 dans la réalité de 2018. C'est pendant le règne colonial britannique que cette loi sur les secrets officiels a été introduite. Le point essentiel de cette loi était d'étendre le colonialisme et d'empêcher le peuple d'obtenir des informations dans les services administratifs.

Le journaliste Aditya Arafat pense que la section 32 donnera le coup de grâce au journalisme d'investigation. Il écrit [18] [bn] :

এ ধারায় অনুসন্ধানী সাংবাদিকতা বলতে কিছুই থাকবে না। সারাবিশ্বেই অনুসন্ধানী বা অনিয়ম-দুর্নীতি নিয়ে রিপোর্টিংয়ের তথ্য সাংবাদিকরা জনস্বার্থে গোপনেই নিয়ে থাকেন। এ ধারার প্রয়োগে কোনো দুর্নীতির সংবাদের তথ্য সংগ্রহ করা যাবে না। এমনিতেই দেশে অনুসন্ধানী সাংবাদিকতা, দুর্নীতি বিরোধী রিপোর্টং করা অনেক ঝুঁকির। থাকে মামলা হামলার শংকা। [..]আর যাই হোক ধারাটি যারা তৈরি করেছেন তারা অসৎ সরকারি কর্মকর্তা-কর্মচারি এবং দুর্নীতি পরায়ন ব্যক্তিদের বাহবা পাবেন, হয়তো পাচ্ছেনও।

Si cette loi est adoptée, il n'y aura plus de journalisme d'investigation. Dans d'autres régions du monde, les journalistes obtiennent les informations concernant une corruption ou des irrégularités de manière secrète, pour l'intérêt public. Cette loi ne permettra plus la collecte d'informations. Le journalisme d'investigation et l'information sur les irrégularités sont très dangereux dans ce pays. Les journalistes bravent leur peur des poursuites judiciaires. Ceux qui ont rédigé cette loi seront récompensés par les personnalités officielles corrompues et malhonnêtes, et peut-être le sont-ils déjà.

Parvez Reza [11] [bn] a réagi aux déclarations du ministre de la Justice dans un entretien publié en ligne sur le site Sarabangla.net :

আইনমন্ত্রী বলছেন, ” গুপ্তচরবৃত্তি আর সাংবাদিকতা এক নয়, দুর্নীতির খবর করলে এই আইন প্রযোজ্য হবে না।” আপনি কিভাবে নিশ্চয়তা দিচ্ছেন মন্ত্রী বাহাদুর? আইনের প্রতিটা প্রয়োগ কি আপনাকে জিজ্ঞেস করে হবে? ৫৭ ধারা অপপ্রয়োগের শিকার কিন্তু সাংবাদিকরাই বেশি হয়েছেন।

Le ministre de la Justice a déclaré que “l'espionnage et le journalisme ne sont pas la même chose, cette loi ne sera pas applicable pour des informations concernant des irrégularités”. Comment pourrez-vous en être sûr M. le Ministre? Chaque application de la loi sera-t-elle contrôlée par vous ? Les journalistes ont été victimes de la mauvaise utilisation de la section 57 de l'ICT Act.

Je proteste contre la Loi sur la Sécurité Numérique de 2018. Laissez donc vivre le stylo du journaliste d'investigation. #JeSuisUnEspion

Des réunions de protestation contre la Loi de Sécurité Numérique 2018. La police n'a pas autorisé l'utilisation de microphones.

Aux côtés des journalistes, divers partis politiques [20], des membres de la société civile et des personnes ordinaires protestent aussi contre la loi. L'éditorial de The Independent [21] note que les “recommandations des personnes concernées ont été ignorées lors de l'élaboration du projet de loi”. Ils ont exhorté le gouvernement à organiser une consultation publique [22] avant de promulguer la loi.