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Ces femmes samies tentent de maintenir vivante leur langue native, le skolt

Catégories: Europe de l'ouest, Finlande, Langues, Médias citoyens, Rising Voices

Tiina Sanila-Aikio dirige un atelier sur les langues sâmes au Centre culturel sami de Sajos. Crédit: Nicholas Magand pour GEN

Ce billet de Lucy Sherriff [1] pour GlobalPost a été initialement publié sur PRI.org [2]le 16 février 2018. Il est repris ici dans le cadre d'un partenariat entre PRI et Global Voices.

Tiina Sanila-Aikio n'est une présidente comme on en voit tous les jours. Âgée de 34 ans, elle est à la tête du peuple Sami en Finlande, la seule population autochtone reconnue dans l'Union européenne. Elle est également la créatrice des premiers albums de rock en langue skolt [3] au monde. Le skolt est une langue sâme parlée par seulement 300 personnes [4].

Bien que la population Sámi compte au moins 75 000 personnes [5], leurs langues sont en train de disparaître. Les Sámis sont constitués de neuf tribus différentes distribuées à travers la Norvège, la Suède, la Russie et la Finlande et parlant divers dialectes. Le manque d'éducation en langue sâme signifie que les jeunes Sámis grandissent en ne parlant pas leur langue maternelle.

“Je suis très triste de constater que le nombre de personnes qui parlent une version du sâme comme leur première langue est en baisse, et ce rapidement”, a déclaré Sanila-Aikio.”Dans le même temps, la population Sámi est en augmentation.”

Dans les années 1960, 75 pour cent des Sámis parlaient la langue comme leur langue maternelle, selon les archives du Centre culturel sami de Sajos. Une recherche de 2007 a révélé que seulement 24 pour cent des Sámis étaient des locuteurs natifs, et que certains dialectes avaient déjà disparu. Sur les 11 dialectes, neuf étaient encore parlés [6] [fr], et le sámi ter n'était parlé que par deux personnes [7]. [8]

Sanila-Aikio est une Sami skolt et a grandi dans le village de Sevettijärvi, où la culture et la langue skolt sont encore très vivantes. Elle était si passionnée par la renaissance de sa langue qu'elle est devenue enseignante à l'Institut de Sámi d'Inari, une école professionnelle secondaire unique en son genre, qui enseigne en finnois et en sâme et promeut la culture sâme dans toute la région.

“J'étais très inquiète de la tendance et je voulais faire quelque chose à ce sujet”, dit-elle. “Nous avons une loi sur la langue sâme qui couvre les situations où les Sámis ont le droit d'utiliser leur langue lorsqu'ils traitent avec les autorités. Tout d'abord, les autorités devraient avoir du personnel qui parle les langues sâmes, et deuxièmement, elles pourraient avoir des interprètes. Mais en réalité, cela n'arrive pas.

“C'est un gros combat.”

Non content d'enseigner le sâme skolt, Sanila-Aikio a écrit et enregistré deux albums rock en 2005 et 2007.

“Les Sámis ont aimé. Nous avons vendu la totalité des 2.500 exemplaires que nous avons produit. Avoir du rock dans leur propre langue est une façon d'intéresser les jeunes à leurs racines et de faire vivre la langue dans les temps modernes. “

Parler le skolt – et d'autres langues sâmes comme le sâme d'Inari – est étroitement lié au mode de vie sâme, qui est menacé par l'exploitation minière, l'exploitation forestière illégale et le manque de protection des terres.

“Quand une nouvelle route est construite à travers les pâturages de nos rennes, ou qu'une forêt est abattue, cela change la façon dont nous faisons les choses”, a expliqué Sanila-Aikio. “Cette zone ne peut plus être utilisée pour l'élevage de rennes.

“Ainsi, les connaissances traditionnelles et la manière d'utiliser cette zone disparaissent. Nous ne pouvons plus les enseigner à la génération suivante, et c'est pourquoi la langue est oubliée – parce que notre culture change.

“Mais le gouvernement ne met pas ces choses ensemble, et c'est notre travail le plus difficile en ce moment – pour essayer de rendre visible la question de la perte de notre culture et de notre langue.”

Actuellement, les enfants sâmes vivant en dehors des zones peuplées de Sâmes n'ont pas la possibilité d'apprendre la langue. Le programme est enseigné en finnois, et même si les Sámis peuvent l'apprendre au niveau universitaire, l'accès est varié.

Sara Wesslin est journaliste au média finnois Yle, basé à Inari au Centre culturel sami Sajos, qui abrite également le Parlement sâme.

Le Centre culturel Sámi Sajos abrite le Parlement Sámi et la station de radio finnoise Yle. Crédit: Lucy Sherriff/PRI

La jeune femme de 28 ans émet à la radio et à la télévision en Sámi Skolt  et est l'une des deux seules journalistes au monde à le faire  – à sa connaissance. (L'autre est le collègue de Wesslin à Yle, Erkki Gauriloff.)

“Je sens que j'ai une énorme responsabilité pour faire en sorte que cette langue soit vue et entendue”, a déclaré Wesslin. “Je vis dans une région rare où la langue sâme skolt est forte et vivante, et nous devons prendre soin de cela.”

Wesslin dit qu'il est important pour elle de pouvoir parler et travailler dans la langue maternelle de sa grand-mère.

“Je n'ai pas appris le skolt comme langue maternelle – c'est le finnois qui l'est – et j'ai donc dû travailler très dur pour garder cette langue dans ma vie. Dans ma famille, je suis la seule qui parle skolt avec ma grand-mère, mais c'est très difficile parce que nous parlons le finnois depuis 20 ans. Cela demande beaucoup d'énergie à toutes les deux.

Mon travail de journaliste est l'un des rares endroits où je peux rencontrer des Skolt-sámi et utiliser ma langue.”

Sara Wesslin émet en Sámi skolt  from Finnish radio station Yle. Credit: Ville-Riiko Fofonoff

Wesslin partage les préoccupations de Sanila-Aikio quant à l'avenir de skolt et affirme que les femmes sont l'épine dorsale de la préservation de la langue.

“Les femmes ont un grand rôle à jouer pour garder la langue dans leur famille. Les enfants passent généralement plus de temps en contact avec leur mère, en particulier dans les familles sâmes traditionnelles d'élevage de rennes, où les hommes sont dehors toute la journée.

“Les adultes et les enfants apprennent la langue avec enthousiasme, mais nous devons créer les conditions pour que le sâme skolt devienne la langue normale de la vie quotidienne.”

Les médias ont un rôle très important à jouer dans la relance de la langue, a-t-elle ajouté. “Et peu à peu, il y a plus de musique et de cultures populaires produites en skolt sámi.

“Je pense que cela motive les enfants à utiliser leur langue minoritaire.”

Le Parlement sâme a mis en place un institut éducatif pour enseigner la culture sâme aux adultes et adolescents et propose un cours intensif d'un an e langue sâme. Les programmes sont financés par des subventions de l'UE, mais Sanila-Aikio affirme que l’État n'y contribue pas – et c'est une chose pour laquelle le Parlement local se bat.

Sanila-Aikio croit en l'exemple. Sa fille de huit ans, Elli-Då'mnn, apprend sa langue maternelle, le sâme de Skolt, ainsi que le sâme d'Inari, la langue parlée dans la famille de son père.

Quant à faire un nouvel album de rock, les fonctions présidentielles de Sanila-Aikio ne lui laissent pas beaucoup de temps à consacrer à la musique, mais elle n'exclut rien : “Peut-être un jour.”

Lucy Sherriff a écrit cet article depuis la Finlande.