Après avoir passé un peu plus d'un an derrière les barreaux sans inculpation, le journaliste turco-allemand Deniz Yucel a été libéré d'une prison turque le 16 février. Quelques heures plus tard, six autres journalistes du pays étaient condamnés à la réclusion à perpétuité pour « tentative de renversement de l'ordre constitutionnel ».
Avec 155 journalistes emprisonnés en raison de leur travail, ces jours de hauts et de bas commencent à devenir routiniers pour la communauté des médias indépendants de Turquie, qui est en proie à des difficultés.
La BBC a décrit l'emprisonnement de Deniz Yucel comme un « source d’irritation » de longue date dans les relations entre les deux pays. Sa libération a eu lieu peu après la visite du Premier ministre turc en Allemagne cette semaine.
Deniz Yucel a été arrêté il y a exactement 367 jours, soupçonné d'« incitation à la haine et à l'hostilité raciale » et de « propagation de la propagande d'une organisation terroriste ».
Peu après l’annonce de sa libération, la foule s'est rassemblée devant la prison, où Yucel a rejoint sa femme qui l'attendait :
#FreeDeniz & #FreeDilek pic.twitter.com/YlWNMYXlBL
— Veysel Ok (@shemmoshemmo) February 16, 2018
Mais l'épreuve n'est pas encore terminée : il a été accusé et inculpé à sa libération, l'accusation requérant qu'il soit condamné à 18 ans de prison.
Same court that ordered #DenizYucel‘s release has apparently accepted an indictment calling for up to 18 years imprisonment.
Not quite clear what is going on, but a key issue is whether he is being allowed to travel abroad.
— Howard Eissenstat (@heissenstat) 16 février 2018
Le même tribunal qui a ordonné la libération de Deniz Yucel a apparemment accepté un acte d'accusation demandant jusqu'à 18 ans d'emprisonnement.
On ne sait pas très bien ce qui se passe, mais une des questions fondamentales est celle de savoir s'il a le droit de voyager à l'étranger.
In ordering Deniz Yücel’s release, the court also accepted his newly issued indictment. He faces 4 to 18 years in prison. https://t.co/eLnK8rwqZa
— Piotr Zalewski (@p_zalewski) 16 février 2018
En ordonnant la libération de Deniz Yücel, le tribunal a également accepté sa nouvelle inculpation. Il risque entre 4 et 18 ans de prison.
Alors que collègues et amis ont célébré la libération de Deniz Yucel, une autre décision de justice a été rendue, cette fois sur le sort d'un autre groupe de journalistes.
Deniz is finally free. Six others have just been sentenced to life behind bars: https://t.co/mrW1wy9amx. https://t.co/KDHNoS7Spd
— Piotr Zalewski (@p_zalewski) 16 février 2018
Deniz est enfin libre. Six autres viennent d'être condamnés à la prison à perpétuité.
A Turkish court has jailed for life journalists Ahmet Altan, Mehmet Altan, Nazli Ilicak & Fevzi Yazici & one other defendant for seeking to “overthrow the constitutional order” in alleged coup plot https://t.co/nouqX4ZnJA
— Ayla Jean Yackley (@aylajean) 16 février 2018
Un tribunal turc a emprisonné à vie Ahmet Altan, Mehmet Altan, Nazli Ilicak, Fevzi Yazici et un autre accusé pour avoir tenté de « renverser l'ordre constitutionnel » dans un complot présumé de coup d'État.
Awful news coming in from Silivri jus now. #AhmetAltan#MehmetAltan & #NazlıIlıcak faced a trial in which no credible evidence was presented beyond their words. This verdict does not pass the test of international human rights law. #FreeTurkeyMediahttps://t.co/R8M8HJpg1N
— Milena Buyum (@MilenaBuyum) 16 février 2018
D'horribles nouvelles arrivent de Silivri à l'instant. Ahmet Altan, Mehmet Altan et Nazlı Ilıcak ont eu un procès au cours duquel aucune preuve crédible n'a été présentée au-delà de leurs mots. Ce verdict ne répond pas aux critères du droit international des droits de l'homme.
Malgré l'absence de preuves directes, Ahmet Altan, Mehmet Altan, Nazli Ilicak, Yakup Şimşek, Fevzi Yazıcı and Şükrü Tuğrul Özsengül ont été condamnés à la prison à perpétuité [fr] après avoir été reconnus coupables de participation au coup d'État de 2016 en Turquie.
Cinq des six accusés sont des journalistes, et dans le passé, tous les intellectuels ont eu des liens étroits avec les médias de l'opposition. Ahmet Altan est l'ancien rédacteur en chef du journal Taraf et son frère, Mehmet Altan, est un universitaire et journaliste qui a écrit pour Hurriyet. Nazli Ilıcak [fr] a également écrit pour Hurriyet en plus d'autres journaux, et a brièvement été élue députée pour le Parti de la vertu.
Yakup Şimşek and Fevzi Yazıcı ont travaillé avec le journal Zaman [fr], qui était l'un des plus grands quotidiens indépendants de Turquie jusqu'en 2016, date à laquelle le gouvernement a saisi ses activités, alléguant que le journal avait des liens avec l’ecclésiastique turc Fethullah Gülen [fr].
L’agence Anadolu a rapporté que six personnes avaient été condamnées pour avoir tenté de renverser l'ordre constitutionnel et pour avoir communiqué avec des associés de Gülen, que la Turquie blâme pour le coup d'État raté de juillet 2016.
En plus de ces menaces juridiques, tous ces journalistes ont été victimes de harcèlement extrajuridique. En 2017, le président Erdogan a qualifié Deniz Yucel de terroriste dans un de ses discours télévisés.
Bu konuşmayı tam 1 yıl önce çekmiştim. Deniz sonunda özgür. Darısı Alman vatandaşı olmayan gazeteci arkadaşlarımızın başına. #DenizYücelpic.twitter.com/wxQqR1COOL
— goktay koraltan (@goktay) February 16, 2018
J'ai filmé ce discours il y a un an. Deniz est enfin libre. Je souhaite la même chose à mes autres amis journalistes qui n’ont pas la nationalité allemande.
Traduction de la vidéo : Ils cachent ce terroriste allemand, cet espion, à l'ambassade. Ils l'ont caché pendant un mois. Et la chancelière allemande me l'a réclamé. Elle a dit de le relâcher. Je lui ai dit que nous avions un pouvoir judiciaire indépendant. Tout comme votre système judiciaire est indépendant, le mien l'est aussi. C'est l’objectif [du système judiciaire]. C'est pourquoi je suis désolé de vous dire que vous ne nous les enlèverez pas. Finalement, il a été traduit en justice. Il a été arrêté. Pourquoi ? Parce que c'est un terroriste espion. Peu importe qu'il soit citoyen allemand. Peu importe qui vous êtes, si vous répandez la terreur en Turquie, si ce sont des espions secrets, ils en paieront le prix.
Les supporters en Turquie et dans le monde entier ont tweeté leur choc lorsqu’ils ont appris cette décision :
Today's verdict & sentences of life without parole for #AhmetAltan, #MehmetAltan & #NazliIlicak mark an apex of the disintegration of the #Ruleoflaw in #Turkey. Judge ignored a binding Turkish Constitutional Court decision. The European Court of Human Rights #ECtHR must act. pic.twitter.com/mH0njuskpu
— Sarah Clarke (@Sarah_M_Clarke) February 16, 2018
Le verdict d'aujourd'hui et les condamnations à perpétuité sans libération conditionnelle pour Ahmet Altan, Mehmet Altan et Nazli Ilicak marquent l’apogée de la désintégration de l'État de droit en Turquie. La Cour européenne des droits de l'homme doit agir.
As Ahmet Altan, Mehmet Altan and Nazlı Ilıcak are given “aggravated life sentences”, it is worth remembering what that sentence is.
It is life without parole, with up to 23 hours a day in solitary confinement. Forever and ever, amen.
— Can Okar (@canokar) February 16, 2018
Alors que Ahmet Altan, Mehmet Altan and Nazlı Ilıcak sont condamnés à des « peines d'emprisonnement à perpétuité aggravées », cette condamnation mérite qu'on se rappelle de quoi elle retourne.
Il s'agit d'une détention à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle, en isolement jusqu'à 23 heures par jour. Pour toujours et à jamais, amen.
Le 12 février, Ahmet et Mehmet Altan ont tous deux été expulsés du palais de justice pour avoir demandé la lecture de la décision de la Cour constitutionnelle qui avait décidé de les libérer en janvier. Les deux frères ont exigé que la décision, qui avait été annulée dans les 24 heures par le jugement de la 27ème Haute Cour, soit consignée au procès-verbal.
Le lendemain, le 13 février, Ahmet Altan, s'exprimant depuis la prison de haute sécurité par liaison vidéo, a déclaré ce qui suit pour sa défense :
Those in political power no longer fear generals. But they do fear writers. They fear pens, not guns. Because pens can reach where guns cannot: into the conscience of a society.
Les détenteurs du pouvoir politique n'ont plus peur des généraux. Mais ils ont peur des écrivains. Ils craignent les stylos, pas les armes. Parce que les stylos peuvent atteindre ce que les armes ne peuvent pas : la conscience d'une société.
Lorsque le verdict a été rendu aux frères Altan, un observateur a déclaré que des larmes et des cris ont envahi la salle d'audience.
Pendant ce temps, au moins quatre autres citoyens turco-allemands sont derrière les barreaux en Turquie, alors que le nombre total de journalistes et d'écrivains emprisonnés depuis le coup d'État a maintenant dépassé les 150.