« Ils craignent les stylos, pas les armes » : des journalistes turcs condamnés à la prison à perpétuité

Manifestants lors de la Journée mondiale de la liberté de la presse en Turquie en 2013. Image d'Amnesty International Turquie.

Article d'origine publié le 16 février. Sauf mention contraire, tous les liens de cet article renvoient vers des pages en anglais.

Après avoir passé un peu plus d'un an derrière les barreaux sans inculpation, le journaliste turco-allemand Deniz Yucel a été libéré d'une prison turque le 16 février. Quelques heures plus tard, six autres journalistes du pays étaient condamnés à la réclusion à perpétuité pour « tentative de renversement de l'ordre constitutionnel ».

Avec 155 journalistes emprisonnés en raison de leur travail, ces jours de hauts et de bas commencent à devenir routiniers pour la communauté des médias indépendants de Turquie, qui est en proie à des difficultés.

La BBC a décrit l'emprisonnement de Deniz Yucel comme un « source d’irritation » de longue date dans les relations entre les deux pays. Sa libération a eu lieu peu après la visite du Premier ministre turc en Allemagne cette semaine.

Deniz Yucel a été arrêté il y a exactement 367 jours, soupçonné d'« incitation à la haine et à l'hostilité raciale » et de « propagation de la propagande d'une organisation terroriste ».

Peu après l’annonce de sa libération, la foule s'est rassemblée devant la prison, où Yucel a rejoint sa femme qui l'attendait :

Mais l'épreuve n'est pas encore terminée : il a été accusé et inculpé à sa libération, l'accusation requérant qu'il soit condamné à 18 ans de prison.

Le même tribunal qui a ordonné la libération de Deniz Yucel a apparemment accepté un acte d'accusation demandant jusqu'à 18 ans d'emprisonnement.

On ne sait pas très bien ce qui se passe, mais une des questions fondamentales est celle de savoir s'il a le droit de voyager à l'étranger.

En ordonnant la libération de Deniz Yücel, le tribunal a également accepté sa nouvelle inculpation. Il risque entre 4 et 18 ans de prison.

Alors que collègues et amis ont célébré la libération de Deniz Yucel, une autre décision de justice a été rendue, cette fois sur le sort d'un autre groupe de journalistes.

Deniz est enfin libre. Six autres viennent d'être condamnés à la prison à perpétuité.

D'horribles nouvelles arrivent de Silivri à l'instant. Ahmet Altan, Mehmet Altan et Nazlı Ilıcak ont eu un procès au cours duquel aucune preuve crédible n'a été présentée au-delà de leurs mots. Ce verdict ne répond pas aux critères du droit international des droits de l'homme.

Malgré l'absence de preuves directes, Ahmet Altan, Mehmet Altan, Nazli Ilicak, Yakup Şimşek, Fevzi Yazıcı and Şükrü Tuğrul Özsengül ont été condamnés à la prison à perpétuité [fr] après avoir été reconnus coupables de participation au coup d'État de 2016 en Turquie.

Cinq des six accusés sont des journalistes, et dans le passé, tous les intellectuels ont eu des liens étroits avec les médias de l'opposition. Ahmet Altan est l'ancien rédacteur en chef du journal Taraf et son frère, Mehmet Altan, est un universitaire et journaliste qui a écrit pour Hurriyet. Nazli Ilıcak [fr] a également écrit pour Hurriyet en plus d'autres journaux, et a brièvement été élue députée pour le Parti de la vertu.

Yakup Şimşek and Fevzi Yazıcı ont travaillé avec le journal Zaman [fr], qui était l'un des plus grands quotidiens indépendants de Turquie jusqu'en 2016, date à laquelle le gouvernement a saisi ses activités, alléguant que le journal avait des liens avec l’ecclésiastique turc Fethullah Gülen [fr].

L’agence Anadolu a rapporté que six personnes avaient été condamnées pour avoir tenté de renverser l'ordre constitutionnel et pour avoir communiqué avec des associés de Gülen, que la Turquie blâme pour le coup d'État raté de juillet 2016.

En plus de ces menaces juridiques, tous ces journalistes ont été victimes de harcèlement extrajuridique. En 2017, le président Erdogan a qualifié Deniz Yucel de terroriste dans un de ses discours télévisés.

J'ai filmé ce discours il y a un an. Deniz est enfin libre. Je souhaite la même chose à mes autres amis journalistes qui n’ont pas la nationalité allemande.

Traduction de la vidéo : Ils cachent ce terroriste allemand, cet espion, à l'ambassade. Ils l'ont caché pendant un mois. Et la chancelière allemande me l'a réclamé. Elle a dit de le relâcher. Je lui ai dit que nous avions un pouvoir judiciaire indépendant. Tout comme votre système judiciaire est indépendant, le mien l'est aussi. C'est l’objectif [du système judiciaire]. C'est pourquoi je suis désolé de vous dire que vous ne nous les enlèverez pas. Finalement, il a été traduit en justice. Il a été arrêté. Pourquoi ? Parce que c'est un terroriste espion. Peu importe qu'il soit citoyen allemand. Peu importe qui vous êtes, si vous répandez la terreur en Turquie, si ce sont des espions secrets, ils en paieront le prix.

Les supporters en Turquie et dans le monde entier ont tweeté leur choc lorsqu’ils ont appris cette décision :

Le verdict d'aujourd'hui et les condamnations à perpétuité sans libération conditionnelle pour Ahmet Altan, Mehmet Altan et Nazli Ilicak marquent l’apogée de la désintégration de l'État de droit en Turquie. La Cour européenne des droits de l'homme doit agir.

Alors que Ahmet Altan, Mehmet Altan and Nazlı Ilıcak sont condamnés à des « peines d'emprisonnement à perpétuité aggravées », cette condamnation mérite qu'on se rappelle de quoi elle retourne.

Il s'agit d'une détention à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle, en isolement jusqu'à 23 heures par jour. Pour toujours et à jamais, amen.

Le 12 février, Ahmet et Mehmet Altan ont tous deux été expulsés du palais de justice pour avoir demandé la lecture de la décision de la Cour constitutionnelle qui avait décidé de les libérer en janvier. Les deux frères ont exigé que la décision, qui avait été annulée dans les 24 heures par le jugement de la 27ème Haute Cour, soit consignée au procès-verbal.

Le lendemain, le 13 février, Ahmet Altan, s'exprimant depuis la prison de haute sécurité par liaison vidéo, a déclaré ce qui suit pour sa défense :

Those in political power no longer fear generals. But they do fear writers. They fear pens, not guns. Because pens can reach where guns cannot: into the conscience of a society.

Les détenteurs du pouvoir politique n'ont plus peur des généraux. Mais ils ont peur des écrivains. Ils craignent les stylos, pas les armes. Parce que les stylos peuvent atteindre ce que les armes ne peuvent pas : la conscience d'une société.

Lorsque le verdict a été rendu aux frères Altan, un observateur a déclaré que des larmes et des cris ont envahi la salle d'audience.

Pendant ce temps, au moins quatre autres citoyens turco-allemands sont derrière les barreaux en Turquie, alors que le nombre total de journalistes et d'écrivains emprisonnés depuis le coup d'État a maintenant dépassé les 150.

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