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Le meurtre du journaliste d'investigation Ján Kuciak ébranle la société slovaque

Catégories: Europe Centrale et de l'Est, Slovaquie, Censure, Economie et entreprises, Gouvernance, Liberté d'expression, Manifestations, Média et journalisme, Médias citoyens, Politique, Advox

Le journaliste slovaque assassiné Ján Kuciak. Photo de Aktuality.sk [1], utilisée avec autorisation.

Le 25 février 2018, le journaliste slovaque Ján Kuciak et sa fiancée Martina Kušnírová ont été trouvés assassinés [2] dans leur maison à environ 65 km à l'Est de la capitale Bratislava. Ces meurtres ont causé une vague de chocs et de nombreuses protestations à travers tout le pays.

Kuciak, 27 ans, travaillait pour le site d'actualités Aktuality.sk [3] [sk]. Plus d'une semaine après les meurtres, il n'y a eu aucune avancée de l'enquête officielle.

Selon BFMTV [4], le vendredi 3 mars, entre 10 000 et 20 000 personnes sont descendues dans les rues à travers toute la Slovaquie pour participer à des veillées de protestations en mémoire du journaliste Ján Kuciak, avec des appels à la démission du Premier Ministre Robert Fico, le leader du parti politique Direction – Social Democratie [5] (SMER-SD).

Des milliers de personnes défilent à Bratislava. C'est une énorme réaction au meurtre du journaliste d'investigation slovaque JanKuciak et de sa fiancée Martina Kušnírová. C'est probablement la plus grande manifestation depuis l'indépendance de la Slovaquie.

La police et les proches de Ján Kuciak soupçonnent que sa mort est liée à son travail. Sa plus récente enquête, qui n'a pas encore été publiée [10], examinait les connexions existantes entre des membres du gouvernement slovaque et les intérêts de la mafia italienne en Slovaquie orientale, visant à frauder les subventions de l'Union Européenne (UE) pour l'agriculture.

Plusieurs jours après le meurtre, la police slovaque a arrêté puis relâché [11] les ressortissants italiens Antonino Vadala, Bruno Vadala, et Pietro Catroppa [12] qui seraient tous liés au groupe italien de crime en bande organisée à grande échelle ‘Ndrangheta, [13] sur lequel Kuciak enquêtait avant sa mort.

Diverses voix indépendantes se sont depuis exprimées en ligne et ont souligné les liens entre le parti au pouvoir et la mafia italienne.

Certains commentaires se sont concentrés plus particulièrement sur Antonino Vadala, qui a qualifié le Parti Slovaque SMER au pouvoir comme étant “notre parti”. [14] Peu de temps après, plusieurs politiciens ont publié des déclarations réfutant tout lien avec Vadala.

Le blogueur Jiří Ščobák [15] [sk] a observé que le président du Parlement Andrej Danko, bien qu'il ait posté une image de bougie sur sa page Facebook en l'honneur du journaliste Kuciak, a en réalité, été précédemment ami avec Vadala. Ščobák [15] [sk] a illustré cela en juxtaposant une copie d'écran du récent post de Djanko avec celle montrant qu'ils avaient été amis sur Facebook.

Les connexions existantes avec la mafia italienne sont un sujet tabou pour les médias slovaques. Kuciak a continué ses investigations après que le journaliste Ivan Mego de l'hebdomadaire Plus 7 Dní s'est vu ordonner par ses supérieurs de cesser ses investigations sur le sujet [16] [sk], avant d'être licencié en février.

Les collègues de Ján Kuciak du Projet de reportage sur la criminalité organisée et la corruption (OCCRP) et son média Aktuality.sk, ont défié cette norme et ont décidé de publier, à titre posthume, la dernière investigation sur laquelle celui-ci travaillait.

[Tweet cité : Une ancienne modèle topless embauchée de façon inattendue par le Premier Ministre slovaque s'est avérée avoir été la partenaire en affaires d'un homme lié à la ‘Ndrangheta. /3]
Vous pouvez tuer un journaliste mais vous ne tuerez jamais son travail. Nous sommes fiers de publier la dernière enquête inachevée de Jan.

Kuciak n'était pas de ces journalistes d'investigation qui travaillent avec de nombreuses sources secrètes. Son style était plutôt de collecter et relier entre elles les informations provenant des archives publiques.

En septembre dernier, il avait déposé une main courante [19] en raison de menaces verbales de la part d'un entrepreneur slovaque bien connu.

Le bureau des impôts qui faisait l'objet d'une investigation de la part du journaliste assassiné Jan Kuciak en flammes aujourd'hui. Ci-dessous, les preuves brûlent :

Le Premier ministre slovaque populiste de gauche [22] Róbert Fico est connu pour ses attaques verbales à l'encontre des journalistes [22], qu'il traite de “hyènes”, “sales prostituées anti-slovaques” et même “araignées de toilettes”.

Mais deux jours seulement après le meurtre de Kuciak, Róbert Fico a promis lors d'une conférence de presse une récompense d'un million d'euros [23] en provenance du budget d’État pour toute information liée au meurtre.

Comment est-il possible pour un Premier ministre de prendre 1 million d'Euros en espèces du budget de l’État pour le déposer sur la table en pleine conférence de presse ? Quelle loi l'autorise à faire une telle chose avec l'argent des contribuables ?

Deux personnalités proches de Fico figuraient en première ligne des investigations [26] de Kuciak [27] – Mária Trošková, une ancienne compagne d'Antonino Vadala, [28] et Viliam Jasaň, qui a servi comme chef de la gestion de crise et de la sécurité de l’État et qui aurait des liens avec une des entreprises de Vadala [29].

Trošková et Jasaň ont tous deux démissionné de leurs postes au gouvernement [30], en attendant la conclusion de l'enquête sur l'assassinat du journaliste. Lorsqu'il leur a été demandé d'expliquer les raisons de leur départ, qu'ils ont qualifié de temporaire, ils ont tous deux évoqué la pression des médias, arguant que “leurs noms avaient été salis dans la lutte politique menée contre Fico”.

Le blogueur Milan Ftorek [31] [sk] souligne des contradictions dans le comportement public du Premier ministre :

Slovenský premiér sa zbláznil ,,, keď sa počas jednej tlačovky dokázal stavať do role toho, čo chce odhaliť Kuciakovych vrahov, no zároveň obhajoval tých, na ktorých sám Kuciak ukázal prstom?

Le Premier ministre serait-il devenu fou ? …Durant une conférence de presse, il a réussi à jouer la carte de celui qui voulait exposer les assassins de Kuciak, tout en défendant ceux qui faisaient l'objet des investigations du journaliste ?

Les journaux, voix de l'opposition politique, ainsi que de nombreux simples citoyens ont réagi avec indignation, organisant des hommages, marches et protestations en Slovaquie [32] mais aussi à l'étranger [33], afin d'honorer la mémoire de Ján Kuciak et Martina Kušnírová.

[34]

#AllForJan image web [34] [en] créée par Aktuality.sk en commémoration de Jan Kuciak (27), et Martina Kušnírová (27)

Le site d'information pour lequel travaillait Kuciak, Aktuality.sk, utilise le hashtag #AllForJan [35], tandis que beaucoup ont simplement utilisé un hashtag avec le nom du journaliste #JanKuciak [36].