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La sentence réduite du pasteur coupable ‘de relations sexuelles avec mineure’ jette une ombre sur la Journée internationale des droits de la femme en Jamaïque

Catégories: Caraïbe, Jamaïque, Droit, Droits humains, Femmes et genre, Jeunesse, Média et journalisme, Médias citoyens, Religion
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Manifestants de l'Armée de Tamourine défilant devant l’église morave durant la marche de protestation contre les violences sexuelles en mars 2017. Photo de Storm Saulter, utilisée avec autorisation.

[Tous les liens de ce billet renvoient vers des pages Web en anglais]

Les Jamaïcains ont célébré cette année la journée des droits de la femme avec panache à travers l'organisation de nombreux événements et l'envoi de messages chaleureux qui ont inondé les réseaux sociaux. Mais les célébrations ont fait une pause à la mi-journée lorsque la nouvelle est tombée : [2] un ancien pasteur de l'église morave, [Église protestante qui rassemble les Frères Moraves de Jamaïque] Rupert Clarke, a été condamné à 8 années de prison pour deux chefs d'accusation de “relations sexuelles avec mineure”. En novembre 2017, Clarke a plaidé coupable [3]d'avoir eu des relations sexuelles avec deux sœurs, toutes deux âgées de moins de seize ans lors de la commission des faits.

Les internautes ont exprimé leur désapprobation face à ce qu'ils considèrent comme une sanction bien légère, très largement inférieure [4] au maximum de 15 ans prévu dans des cas similaires. La sanction réduite dont bénéficie Rupert Clarke a été attribuée à la récente décision du ministre de la Justice, qui, afin d’accélérer les procédures devant les tribunaux, offre des condamnations plus courtes [5] à ceux qui plaident coupable.

Le procureur principal adjoint (DPP), Adley Duncan, a déclaré qu'un rabais de 50 % a contribué à la sentence réduite de Rupert Clarke. Clarke, un ancien pasteur morave, a plaidé coupable d'avoir eu des relations sexuelles avec deux mineures et a été condamné à seulement 8 ans de prison.

La stratégie de réduction des peines continue à alimenter la controverse et susciter des inquiétudes, tout particulièrement après une affaire de meurtre très médiatisée [7] qui a abouti à une peine de prison de 15 ans en décembre 2017 :

La réduction de peine afin d’accélérer les procédures…est en test.

Le problème récurrent des responsables ecclésiastiques abusant sexuellement des jeunes filles a donné naissance [9] à un mouvement féministe radical appelé “L'armée de Tambourine” (nommée ainsi en référence à un activiste qui a asséné un coup de tambourin sur la tête [10] de celui qui était alors le Chef de l'Église morave, le Dr. Paul Gardner, durant une manifestation de protestation menée à l'encontre du comportement de Rupert Clarke).

L'affaire de ce pasteur a provoqué une crise au sein de L’Église morave, à la fois en Jamaïque et dans les îles Caïmans. L'église est dorénavant dirigée par une femme, le Révérend Phyllis Smith Seymour, qui a été nommée en janvier 2017 après que son président, le révérend Dr. Paul Gardner, et son vice-président, le révérend Jermaine Gibson, eurent démissionné [11] à la suite de leurs condamnations pour abus sexuels et attentats à la pudeur.

Comparativement à l'intense couverture médiatique qui a eu lieu lors de la condamnation de Rupert Clarke, les médias traditionnels se sont montrés jusqu'à présent beaucoup plus discrets.

Un Jamaïcain résume ainsi le sentiment de beaucoup :

Le pasteur morave déshonoré Rupert Clarke, a reçu une simple tape sur la main avec sa condamnation à seulement 8 ans de prison. Il a rompu de façon flagrante la confiance et l'estime des gens qui se tournaient vers lui en tant qu'homme d'église en quête de soutien et conseils moraux.

Un autre a écrit sur Facebook [13] [Lien non accessible] :

Only eight years? Very sad reality on a day like International Women's Day!! This is not progress!!

Seulement 8 ans de prison ? Triste réalité pour la Journée internationale de la femme !! Ce n'est pas ça le progrès !!

Le nom du pasteur a été ajouté au Registre des délinquants sexuels du pays, qui a été mis en place [14]en 2014. Cependant, le registre n'est pas accessible au public. Au lieu de cela, celui-ci est conservé dans un bureau [14] du département des services pénitentiaires, qui ont déclaré surveiller les délinquants à travers leurs antennes régionales. Sans surprise, le mouvement ne semble pas avoir eu beaucoup d'impact : un récent article de 2017 soulignait qu'aucune institution ou individu [15] n'a jusqu'alors comparé de noms avec ceux inscrits dans le registre.

La banalisation des viols et agressions sexuelles reste une situation troublante pour les femmes Jamaïcaines. Un utilisateur de Twitter commente :

Je me souviens qu'une dame de mes amies m'a raconté avoir subie une agression sexuelle. Pour résumer, cela s'est terminé par la police locale se moquant d'elle. La police s'en fout est ce qu'elle a compris.

Une autre internaute a partagé ses préoccupations sur les droits humains de façon plus générale :

Prenez le temps de vous offusquer à propos de ce verdict, mais rappelez vous que les personnes pauvres sont celles qui sont les plus susceptibles de subir des abus en Jamaïque, tout particulièrement les femmes et jeunes filles défavorisées. Voici le constat. Utilisons notre tristesse et travaillons à réellement les protéger.

Elle a ajouté :

Une femme démunie est plus susceptible de subir des abus de la part de ses compagnons. Ses enfants, et tout particulièrement ses filles, sont vues comme des proies faciles pour les pédophiles qui savent que le sentiment de désespoir va leur permettre d'avoir accès à ces jeunes filles. Vous êtes en colère à propos des 8 ans de prison ? Alors faisons quelque chose par rapport à cela.

Dans une lettre au courrier des lecteurs, l'organisation de défense des droits de l'homme Jamaica AIDS Support for Life a écrit que beaucoup restait à faire [21] pour protéger les femmes :

If we, as a country, fail to address poverty, particularly among women and children, we only perpetuate the cycle of poverty, inequality, sexual abuse and domestic violence…

The authorities must act now and send a strong message to those who continue to harm our women and girls that it will not be business as usual. We call for the urgent revision and passing of the Sexual Offences Act and other related Acts; namely, the Domestic Violence Act, Offences Against the Person Act, and the Child Care and Protection Act. We call for an urgent revision of the Employment (Equal Pay for Men and Women) Act, which in its current state is ineffective in addressing wage disparity. We also call for the urgent passing of the Sexual Harassment Bill to not only address workplace sexual discrimination, but also to shun normalising the sexualising of our women and girls.

This International Women's Day, we press for laws that allow for social inclusion and punish those who continue to harm our women. We press for progress for opportunities that create independence for our women – disabled or otherwise. We press for progress to end all forms of violence against our women if we seriously intend to put a dent in the nearly 30,000 cases of HIV/AIDS on the island.

Si nous, en tant que pays, échouons à traiter la pauvreté, particulièrement parmi les femmes et enfants, nous allons tout simplement perpétuer le cycle de pauvreté, inégalités, abus sexuels et violences domestiques…

Les autorités doivent agir maintenant et envoyer un message fort à ceux qui continuent de porter atteinte à nos femmes et filles, que le statu quo c'est fini. Nous demandons la révision urgente et l'adoption de la loi sur les délits sexuels et autres lois connexes : à savoir, les lois sur la violence domestique, sur les délits contre les personnes, et sur la protection de l'enfance. Nous appelons à une révision urgente de la loi sur l'emploi (salaire égal pour les hommes et les femmes) qui en l'état, est inefficace pour remédier à la disparité salariale. Nous sollicitons également l'adoption urgente du projet de loi sur le harcèlement sexuel, non seulement pour lutter contre la discrimination sexuelle sur le lieu de travail, mais aussi pour éviter de normaliser la sexualisation de nos femmes et de nos filles.

En cette journée Internationale de la Femme, nous demandons des lois d'inclusion sociale et qui punissent ceux qui continuent à porter atteinte à nos femmes. Nous réclamons plus d'opportunités assurant l'indépendance à nos femmes, qu'elles soient en situation de handicap ou non. Nous demandons des progrès afin que cessent toutes les formes de violences contre nos femmes si nous voulons sérieusement réduire les quelque 30.000 cas de VIH / SIDA de l'île.

Tandis que la journée Internationale de la Femme touche à sa fin, il est clair, en Jamaïque tout du moins, que beaucoup de travail reste à faire pour aider les femmes et jeunes filles vulnérables.