Une conseillère municipale et célèbre militante des droits de l'homme assassinée en plein centre de Rio de Janeiro

Marielle Franco s'exprimant lors de la campagne électorale à Rio de Janeiro, Brésil en 2016. Photo: Mídia Ninja / Flickr CC BY-SA 2.0

Moins de deux heures avant son assassinat dans la soirée du 14 mars, la conseillère municipale de Rio de Janeiro, Marielle Franco, s'exprimait lors d'une table ronde de militantes noires sur “les jeunes femmes noires qui font bouger les structures”.

Alors que Marielle Franco quittait les lieux, une voiture s'est arrêtée à côté de la sienne, et neuf coups de feu ont été tirés. Franco et son chauffeur, Anderson Pedro Gomes, ont été tués sur le champ. L'attaché de presse de la conseillère, qui se trouvait à l'arrière, a été touché par des éclats de verre et blessé mais a survécu.

Portant toutes les marques d'une exécution, l'attaque a provoqué une onde de choc à travers le Brésil, y compris sur les médias sociaux. Des manifestations à l'échelle nationale sont prévues pour les deux prochains jours. Plus de 70 000 personnes et organisations ont confirmé leur présence à la manifestation de Rio de Janeiro.

Marielle Franco a été élue avec le Parti socialiste et de la liberté (PSOL) de gauche en 2016 en tant que cinquième conseiller le mieux élu à Rio de Janeiro, la deuxième plus grande ville du Brésil avec une population de plus de six millions d'habitants.

En tant que militante lesbienne jeune et noire, elle a défendu plusieurs segments sous-représentés de la population dans la politique institutionnelle du Brésil et était aimée des activistes à travers le pays.

Souvenir d'une critique et militante acharnée

Marielle Franco est née et a grandi dans la favela de Maré, la plus grande de Rio, où vivent 130 000 personnes. En 2005, son meilleur ami a été tué au cours d'une confrontation entre des policiers et des trafiquants de drogue. Cet épisode l'a poussée à défendre les droits de la personne et à militer contre la violence policière.

Fervente critique de la police meurtrière de Rio, elle avait été nommée en février 2018 principal rapporteur de la commission de l'assemblée municipale brésilienne chargée de surveiller l'intervention militaire en cours à Rio de Janeiro.

L'armée brésilienne a pris le contrôle de la sécurité publique de la ville début février en réponse à la violence des gangs malgré les critiques des organisations non gouvernementales locales et du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies.

Elle avait ouvertement critiqué l'intervention de l'armée et l'avait comparée à une opération similaire dans sa favela natale de Maré lors de la Coupe du monde en 2014.

Franco s'exprimait constamment, à la fois sur les podiums et sur ses pages de réseaux sociaux, contre les exécutions extrajudiciaires des habitants pauvres et surtout noirs des favelas de Rio.

Juste cette semaine, elle avait publié une série de messages sur Facebook sur la violence en cours dans la favela Acari :

Cette semaine, deux jeunes hommes ont été tués et jetés dans un trou. Aujourd'hui, la police se promenait dans les rues en menaçant les résidents.

Franco attirait l'attention sur un article rapportant de cinq fusillades dans la favela en une semaine :

Le dernier message de Marielle sur Facebook concernait la violence policière en cours dans la favela Acari. Photo: Capture d'écran / Facebook

Franco dénonçait la police meurtrière du Brésil

La létalité de la police au Brésil est stupéfiante. En 2016, 920 homicides commis par la police ont été recensés à Rio de Janeiro, contre 419 en 2012, selon Amnesty International. Un rapport du Forum de la sécurité publique, une institution de recherche nationale, a dénombré 4 224 meurtres commis par des policiers dans tout le pays en 2016, dont 99% d'hommes et 76% de Noirs. Beaucoup de ces homicides peuvent équivaloir à des exécutions extrajudiciaires, ce qui est qualifié de crime selon le droit international.

Sur les médias sociaux, les organisations, les partis politiques et les profils civils ont utilisé des hashtags demandant une enquête approfondie sur meurtre de Franco.

Le Réseau féministe des juristes a déclaré sur Facebook:

Sua importância política, porém, extrapola as ações diretas de combate às violências sofridas pelas pessoas negras cariocas. Marielle, enquanto mulher negra, representava milhões de mulheres sem voz política no Estado, quebrando o pacto de exclusão das pessoas negras cristalizado pela história de segregação brasileira, mascarada pelo mito da democracia racial.

Son importance politique va au-delà des actions directes visant à combattre la violence subie par les Noirs de Rio. Marielle, en tant que femme noire, représentait des millions de femmes sans voix politique au sein de l'État, brisant un pacte d'exclusion des Noirs cristallisé par l'histoire de la ségrégation au Brésil, masqué par le mythe de la démocratie raciale.

Le bureau brésilien d'Amnesty International a également exigé une enquête :

Il ne devrait y avoir aucun doute sur le contexte, la motivation et la paternité du meurtre de Marielle Franco.

Son parti, le PSOL, a publié une déclaration officielle disant que l'hypothèse d'un “crime politique” ne pouvait être écartée, car “elle venait de dénoncer une action brutale” de la part de la police.

Marielle Franco a grandi au Complex Maré, la plus grande favela de Rio de Janeiro. Photo: Mídia Ninja CC BY-SA 2.0

“Nous ne pouvons pas attendre 10 ans de plus ou penser que je serai là pour 10 autres cas”

Le sociologue et spécialiste de la sécurité publique Luiz Eduardo Soares, un ami proche de Franco, se souvient que cet attentat fait écho à celui contre la juge Patricia Acioli, également tuée dans une fusillade en 2011. Accioli supervisait un certain nombre de dossiers impliquant des groupes paramilitaires (appelés “milices” à Rio).

Quando, meu Deus, quando a população vai despertar e entender que a insegurança pública começa nos segmentos corruptos e brutais das polícias, e que não podemos conviver mais com esse legado macabro da ditadura. Vamos continuar falando em “desvios de conduta individuais”? O que fazer, agora, além de chorar?

Quand, mon Dieu, le peuple se réveillera-t-il et comprendra que l'insécurité publique commence dans les segments les plus corrompus et les plus brutaux des forces de police, et que nous ne pouvons plus vivre avec cet héritage obsédant de la dictature? Allons-nous continuer à parler “de conduites déviantes individuelles” ? Que pouvons-nous faire maintenant, à part pleurer ?

Pendant la table ronde des activistes noirs que Franco avait rejoint quelques heures avant d'être tuée, elle avait déclaré :

Nous avons un mouvement qui pousse pour plus de femmes en politique, à des postes de pouvoir, pour davantage de femmes occupant des postes de décision, parce que c'est le seul moyen d'obtenir des politiques publiques plus qualifiées.

Franco se souvint de deux femmes politiques noires qui étaient venues devant elle, à dix ans d'intervalle l'une de l'autre, exhortant :

Nous ne pouvons pas attendre 10 ans de plus ou penser que je serai là pour encore 10.

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