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La démission du premier ministre slovaque ne fait pas cesser les manifestations demandant justice pour le le journaliste assassiné

Catégories: Europe Centrale et de l'Est, Slovaquie, Manifestations, Média et journalisme, Médias citoyens, Politique
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Manifestation à Bratislava le 9 mars 2018. Photo par l'utilisateur Wikipedia Wizzard, CC BY-SA 4.0.

La démission de plusieurs figures du gouvernement slovaque, dont le premier ministre, n'a pas réussi à apaiser l'opinion réclamant justice [2] pour l'assassinat de style mafieux d'un journaliste anti-corruption. Certains considèrent ces démissions comme un trompe-l’œil cynique visant à maintenir au pouvoir le parti actuellement aux commandes.

Après le meurtre [3] du journaliste Ján Kuciak le 25 février, les unes de la presse slovaque regorgeaient d'accusations de corruption et de relations avec le crime organisé contre les hommes politiques influents, jusqu'aux cadres supérieurs de la police et quelques personnes nommées dans les services du Procureur de la république.

Le 3 mars, le procureur Vasiľ Špirko [4] a intenté des poursuites pénales contre le ministre de l'Intérieur Robert Kaliňák, le président de la police Tibor Gašpar, le chef de l'Agence criminelle nationale Petar Hraško et le chef de l'Unité anti-corruption Róbert Krajmer. Parmi les charges, le détournement d'argent public et la participation à des pots-de-vin.

Une pétition [5] signée par 145 personnalités publiques a exigé que le président de la police et le procureur spécial quittent leurs fonctions pour éviter des conflits d'intérêt dans la recherche de la vérité :

Jánova práca siahala príliš blízko k politickým špičkám. Mnohé vyšetrovacie verzie môžu ohrozovať ich povesť a kariéru, čo vytvára neudržateľný konflikt záujmov. Vládni predstavitelia preto musia vytvoriť pre orgány činné v trestnom konaní nezávislý priestor, ktorý umožní preveriť akúkoľvek potrebnú stopu bez tlakov a neformálnych vplyvov.

Le travail de Ján a approché de trop près les leadeurs politiques. Les opérations d'enquête pourraient menacer la réputation et la carrière de nombreux responsables, créant un intenable conflit d'intérêt. Les responsables gouvernementaux doivent donc créer une chambre indépendante où les autorités d'application de la loi examinent toutes les pistes nécessaires à l'abri de la pression et des influences informelles.

Après la demande du président Andrej Kiska de réforme gouvernementale plus large, le premier ministre Róbert Fico l'a accusé de tenir un discours qui “n'était pas écrit en Slovaquie” et d'avoir rencontré en septembre 2017 une “personne au nom douteux”, George Soros [6], “en l'absence de tout représentant du ministère slovaque des Affaires étrangères”. Les journaux ont rapidement démonté cette affirmation [7] en montrant des photos de la rencontre ‘secrète’ à laquelle assistait aussi le ministre des Affaires étrangères du gouvernement Fico, Miroslav Lajčák.

[Note de la rédaction : Global Voices est un bénéficiaire des Fondations Open Society Foundations financées par George Soros ]

L'assassinat de Kuciak et la crise politique qu'il a provoquée a engendré des manifestations de masse [8] dans tout le pays. On estime que 100.000 personnes ont manifesté “pour une Slovaquie honnête”. La dimension de ce mouvement est comparée à la Révolution de velours [9] qui a mis fin aux quarante années de règne du Parti communiste de Tchécoslovaquie et enclenché la transition vers la démocratie qui a suivi.

Les manifestations ont été pacifiques, malgré les mises en garde du premier ministre Fico contre “la haute probabilité d'attaques contre les bâtiments publics” après avoir montré des images de pavés devant les bureaux du gouvernement. En réalité, des citoyens ont promptement rapporté la présence d’une dizaine de pavés dans les buissons [10] à la suite de travaux sur une place voisine.

Le 15 mars, M. Fico céda à la pression publique et présenta sa démission. Il plaça son allié Peter Pellegrini au poste de premier ministre. Les Slovaques ont largement considéré cela comme une manœuvre et ont averti que le tandem Fico-Pellegrini rappelait l'accord entre le président russe Poutine et son premier ministre Medvedev, qui ont interverti leurs rôles plusieurs fois alors que Poutine détenait tout du long le pouvoir réel. De fait, Fico a indiqué explicitement [11] avec un large sourire qu'il “ne partait nulle part” et que son “devoir est de protéger les arrières du nouveau premier ministre”.

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“Quand ils te contraignent à démissionner parce qu'ils te soupçonnent de relations avec la mafia italienne. Et toi tu nommes un type qui s'appelle Pellegrini.” Mème [12] du blog Cynická obluda (Monstre cynique), utilisation autorisée.

La démission n'a pas calmé le jeu. Le 15 mars, quelque 65.000 manifestants exigeant des élections anticipées se sont rassemblés dans la capitale Bratislava, et d'autres milliers faisaient de même dans les rues d'autres villes.

Des milliers de personnes se rassemblent en Slovaquie pour la troisième semaine d'affilée, avec une nouvelle énorme foule à Bratislava qui scande et réclame de nouvelles élections

À la manifestation, l'acteur Richard Stanke s'est adressé à Fico [15] dans un discours largement cité :

Váš arogantný úsmev pri včerajšom odovzdávaní vašej „akože“ demisie hovorí za všetko! Vy neodchádzate, ale naďalej chcete v úzadí ťahať za nitky vašich poslušných straníckych lokajov … Ani jeden z nich si pri triumfálnom oznámení výsledku dohody nespomenul na vraždu Jána Kuciaka a Martiny Kušnírovej. Ani jeden. A my sme išli na námestia preto, aby sme si uctili ich pamiatku a zabránili nevyšetreniu tejto ohavnej vraždy.

Votre sourire arrogant de hier en donnant votre “quasi” démission est révélateur ! Vous ne partez pas, vous voulez toujours tirer les ficelles de vos laquais dociles du parti… Aucun d'eux [les dirigeants des partis de gouvernement] dans leur annonce triomphale des résultats de l'accord, n'a mentionné le meurtre de Ján Kuciak et Martina Kušnírová. Pas un seul. Et nous voilà sur les places pour honorer leur mémoire et empêcher la dissimulation de l'enquête sur cet abominable assassinat.

Les manifestations n'ont pas plu à tout le monde. L'écrivain Gustáv Murín a porté plainte au pénal [16] contre les organisateurs.

Je smutné, keď občan nemá pokoj na svoju prácu a život, pretože cvičení organizátori prevratov začnú svoju rozvratnú činnosť. … To sa naozaj nenájde nikto kto by zastavil tento notorický „dúhový scenár“ z dielne diverzných centrál z obnovenej Studenej vojny? … Ak nie, tak považujem za svoju povinnosť urobiť to osobne.

C'est triste qu'un citoyen n'ait pas la tranquillité d'esprit pour son travail et sa vie, parce que les organisateurs de coups de force commencent leurs agissements destructeurs. … N'y a-t-il personne ici pour faire cesser ce “scénario arc-en-ciel” notoire de la fabrique de diversions de la nouvelle Guerre froide ? … Si c'est non, alors je considère comme mon devoir de m'en charger moi-même.

Oliver Andrejčák [17], un étudiant en sciences politiques, donne son opinion :

… pri súčasnej situácií by si Slovensko mohlo vybrať iba dve možnosti:
1. Okamžité predčasné voľby, ktoré by skutočne mohli viesť k politickej nestabilite, a vôbec by vyšetrovanie vraždy nemuseli zlahčiť tak, ako sa zdá
2. Rekonštrukciu vlády, ktorá by ešte 2 roky predstavovala mafiánsky oligarchistický štát, avšak s vidinou úplnej porážky SMeru v roku 2020

… Dans la situation actuelle, la Slovaquie n'a le choix qu'entre deux options :
1. Des élections anticipées immédiates, qui pourraient de fait amener l'instabilité politique, et avoir pour effet que l'enquête sur le meurtre pourrait ne pas être être aussi facile qu'elle en a l'air ;
2. Un raccommodage du gouvernement, qui représenterait un État oligarchique mafieux pour deux années de plus, mais avec la perspective d'une défaite totale du [parti de Fico] SMER-Social démocratie [18] en 2020

L'étudiant en journalisme Jakub Prok [19] a un autre argument contre des élections anticipées :

Ak by aj poslanci pristúpili k predčasným voľbám, kým by sa do kresla dostal nezávislý človek, mohlo by to trvať mesiace. Pri dostatočnom spoločenskom tlaku by to v Pellegriniho vláde mohlo byť už budúci týždeň. … Predčasné voľby by mohli v konečnom dôsledku dostať do parlamentu iba viac extrémizmu.

Si les députés devaient opter pour des élections anticipées, il pourrait falloir des mois à une personnalité indépendante pour arriver au poste [de ministre de l'Intérieur]. Avec suffisamment de pression sociale, dans le gouvernement Pellegrini ça pourrait se faire la semaine prochaine. … Des élections anticipées pourraient au final n'amener que plus d'extrémisme au Parlement.

Le blogueur Peter Straka [20] a annoncé avoir déjà pris une décision pivot :

Ak áno, som s rodinou rozhodnutý z tejto prehnitej krajiny, kde sa nedá už ani nadýchnuť, kde ľudia nielenže neveria vláde, polícii, ale ani jeden druhému, … Ak nebudú predčasné voľby a nebudeme mať novú vládu, a nezačne sa poriadne vyšetrovanie káuz, aby boli páchatelia obvinení a potrestaní, potom odchádzam.

Si c'est comme ça, je décide avec ma famille de partir de ce pays pourri où il n'est pas possible de seulement respirer, où les gens non seulement ne respectent pas le gouvernement et la police, mais où ces derniers ne se respectent même pas mutuellement … S'il n'y a pas d'élections anticipées, et que nous n'obtenons pas de nouveau gouvernement, ainsi qu'une nouvelle enquête incluant les causes profondes, pour que les coupables soient accusés et punis, alors je m'en vais.