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Interpellés par un spot télévisé islamophobe, les Néerlandais réclament plus d'amour et moins de haine

Catégories: Europe de l'ouest, Pays-Bas, Élections, Ethnicité et racisme, Liberté d'expression, Médias citoyens, Politique, Religion
Screenshot of anti-Islam video

Arrêt sur image du spot télévisé conçu par le parti islamophobe néerlandais PVV (Youtube [1]).

Sauf mention contraire, tous les liens de cet article renvoient vers des pages ou des articles en néerlandais.

Dans l'après-midi du vendredi 16 mars 2018, de nombreux Néerlandais ont eu la (mal)chance de voir un spot de campagne politique du Parti pour la liberté (en néerlandais : Partij voor de Vrijheid, ou PVV). En lettres majuscules rouges sur fond de bande sonore tonnante, une première phrase surgit sur l'écran avec brutalité : « L'islam, c'est la discrimination ». Sur le rythme menaçant des tambours, « discrimination » laisse ensuite place à d'autres mots comme « violence », « terreur », « haine des juifs », et « haine des chrétiens ».

Aux Pays-Bas, les élections locales se sont tenues le 21 mars. La vidéo du PVV a été diffusée sur la chaîne publique NPO lors d'un créneau dédié aux messages politiques. Presque immédiatement après, les plaintes déposées auprès de la station se sont mises à déferler. Nombreux ont été choqués qu'une telle vidéo puisse être diffusée sur les ondes publiques. D'autres se sont plaints qu'elle ait été diffusée dans l'après-midi.

En réaction à cette vidéo, Abdelkarim El-Fassi, de Zouka Media, a ainsi déclaré sur Facebook [2] :

…Je bent als kijker boos, verbolgen, woedend en verbaasd over hoe zoveel rabiate haat primetime via de NPO binnen heeft kunnen komen. In de ruimte waar je je het meest veilig waant: je eigen huiskamer. Midden op de dag. En de kans is groot dat je kleine het heeft gezien. Of je neefjes en nichtjes die mijlenver van je vandaan wonen en niet hebt kunnen beschermen tegen zoveel woede. Dat was mijn reactie althans; wat als Hamza, Yassin, Romaissa en Imraan hiernaar gekeken hebben?

En tant que téléspectateur, vous êtes enragé, furieux, et étonné de voir que tant de haine peut être diffusée sur NPO. Dans la pièce où vous vous sentez le plus en sécurité : votre propre salon. Et il y a de grandes chances pour que vos enfants l'aient vu. Ou, sans que vous ayez été capable de les protéger de tant de colère, vos neveux et nièces qui vivent loin de chez vous. C'était du moins ma réaction ; et si Hamza, Yassin, Romaissa, et Imraan avaient vu ça ?

En réponse aux plaintes, le médiateur officiel de NPO [3] a déclaré que la télévision publique n'a aucune influence sur le contenu des messages politiques :

Waar de grens ligt van wat toelaatbaar is, is in ons vrije land aan de rechter.

Dans notre pays libre, c'est au juge de décider de ce qui est acceptable.

De son côté, le premier ministre Mark Rutte a déclaré :

Ik geloof dat ik hier het overgrote deel van Nederland representeer als ik zeg dat ik dit onsmakelijk vind.

Je pense que je représente la majorité des Pays-Bas quand je dis trouver cela répugnant.

Sylvanna Simons, la fondatrice du parti politique antiraciste Bij1 [fr] [4], a émis la déclaration suivante [5] au sujet de la vidéo :

Ik ben nog onverminderd misselijk van de haatpropaganda die de NPO gisteravond uitzond namens de PVV op een tijdstip dat ook argeloze kinderen ermee geconfronteerd kunnen worden.

En wat schetst mijn verbazing?

Geen nationale verontwaardiging?

Geen “onze joods-christelijke waarden die onder druk staan?”

Geen woord in de late night talkshows?

Helemaal niks.

Oh wacht. De afzender van het haatspotje mocht vanmorgen gezellig mee presenteren bij de ochtendshow van slapend Nederland.

Over poesjes en dierenliefde.

Meer dan ooit is mij duidelijk: in Nederland is de ene Nederlander de andere Nederlander niet.

Je suis encore écœurée de la propagande de haine du PVV diffusée sur NPO hier soir à une heure où des enfants innocents pouvaient y être exposés.

Et donc à ma grande surprise, qu'est-ce que cela suscite ?

Pas d'indignation nationale ?

Pas de slogan du type « nos valeurs judéo-chrétiennes sont en danger » ?

Pas un mot dans les émissions télévisées nocturnes ?

Rien du tout.

Ah, un instant, le responsable de ce message de haine a été invité sur les ondes matinales en tant que co-présentateur pendant que tous les Pays-Bas dormaient…

… pour parler de chatons et d'amour des animaux.

Plus que jamais, il est pour moi clair qu'aux Pays-Bas tous les Néerlandais ne se ressemblent pas.

Sur Twitter, la militante interconfessionnelle Chantal Suissa-Runna a écrit :

Je suis déjà malade, mais ma fièvre est montée d'un degré toute seule… le clip du PVV. L'islam c'est l'esclavage, la mort, la cruauté animale… sérieusement ? En tant que juive, je ne peux pas tolérer cela. De nombreux juifs sont instrumentalisés par les partis populistes pour justifier la violence à l'encontre des musulmans !

Poursuite pénale à l'horizon ?

La controverse n'a rien de nouveau pour Geert Wilders et le parti qu'il dirige.

G. Wilders a déjà auparavant fait l'objet de deux poursuites pénales pour discours discriminatoire. La première fois, il s'agissait d'une série d'incidents liées à des articles, des vidéos, et des discours publics dans lesquels il aurait incité à la haine des Marocains, des musulmans, et d'autres minorités non occidentales. La seconde a été la conséquence d'un rassemblement public au cours duquel il avait amené ses soutiens de campagne à scander des slogans anti-marocains.

Dans la vidéo ci-dessus, Wilders déclare à ses sympathisants qu'il y a trois questions à poser pour définir le PVV. La première est « Voulez-vous plus ou moins d'Union Européenne ? » à laquelle ses soutiens scandent Minder, minder, minder (Moins, moins, moins).

La seconde est de savoir si ses sympathisants veulent plus ou moins de parti travailliste. Avant même de poser la troisième question, Wilders annonce qu'il sait d'ores et déjà qu'il sera poursuivi pour ce qu'il s'apprête à dire, mais qu'il accorde trop d'importance à la « liberté d'expression » pour se priver de le dire. Il demande alors « Voulez-vous plus ou moins de Marocains dans cette ville et dans ce pays ? ». Au cours d'un procès datant de 2016, il avait été effectivement condamné pour ‘incitation à la haine et à la discrimination.

L'histoire se répétera-t-elle une fois encore pour Wilders ? Dans une publication sur Facebook [7], le parti Islam Democraten (Démocrates Islamiques) a fait part de son intention de déposer une plainte à son encontre vis-à-vis du spot télévisé :

“Wij roepen een ieder in dit land, moslim en niet-moslim, op om stelling te nemen tegen moslimhaat, xenofobie en andere vormen van onverdraagzaamheid.”

« Nous appelons chacun dans ce pays, musulmans et non musulmans, à prendre position contre l'islamophobie, la xénophobie, et toute autre forme d'intolérance. »

En revanche la déposition d'une plainte n'est souhaitée par tous. Abdelkarim El-Fassi de Zouka Media s'exprime ainsi sur Facebook [2] :

Er is in ieder geval één ding wat ik niet ga doen. En dat is aangifte. Been there, done that. Ik gun hem die rechtszaal niet meer. Ik gun hem geen podium waarmee hij uit de schaduw van (die andere engerd) Baudet kan stappen. Ik gun het bovenal logge instituties niet om over mijn lot te beschikken. We kunnen veel meer doen dan we denken. Door nieuwe verhalen te creëren, en met elkaar in gesprek te blijven. Gisteren was ik bij een debat. Vandaag gaf ik les aan scholieren. Ik zag in beide ruimtes hoe haat die ruimtes in kampen heeft verdeeld. Politici vlogen elkaar net niet in de haren. Scholieren voelen zich niet veilig om voor hun mening uit te komen.

Er is niets makkelijker dan een boodschap van haat via de treurbuis te projecteren op de samenleving. Maar het is toch echt aan ons om alle scheurtjes in de samenleving te stuken. Gewoon door dag in, dag uit, onze buren, wijk- en stadsgenoten tot nieuwe inzichten te brengen. Soms, door gewoon te zijn. En soms, door de spiegel voor te houden.

Dat is de grootste middelvinger die we hem kunnen geven. We doen het eigenlijk al. En moeten dat blijven doen. Elkaar elke dag weer vertellen dat zijn haat niet opgewassen is tegen de intrinsieke behoefte naar vrede; om samen te leven; om elkaar niet te haten; maar lief te hebben.

Er is geen andere weg.

Il y a dans chaque situation une chose que je ne ferai pas. C'est de porter plainte. Cela a déjà été fait maintes fois dans le passé. Je ne lui [Geert Wilders] accorderai pas de salle d'audience. Je ne lui offrirai pas de scène d'où il pourrait sortir de l'ombre de Baudet (cet autre sale type) [Thierry Baudet [fr] [8] est le fondateur d'un autre parti populiste, raciste et islamophobe]. Par dessus tout, je ne veux pas que de lourdes institutions décident de mon sort. Nous sommes capable de faire beaucoup plus qu'on ne le pense. En créant de nouveaux récits et en poursuivant le dialogue. Hier, j'assistais à un débat. Aujourd'hui j'enseignais à des étudiants. J'ai remarqué la façon dont la haine a semé la division dans ces deux pièces. Les politiciens semblaient être sur le point de se prendre à la gorge. Les étudiants ne se sentaient pas suffisamment à l'aise pour exprimer leur opinion.

Il n'y a rien de plus facile que de recourir à la télé poubelle pour diffuser des messages de haine. Mais c'est vraiment à nous qu'il incombe de boucher les fissures de la société. Jour après jour, nous devons apporter de nouveaux points de vue à nos voisins et concitoyens. Parfois en se comportant normalement. Et parfois en leur tendant un miroir pour qu'ils s'y regardent.

C'est le plus gros doigt d'honneur que nous pouvons lui faire. En fait, c'est ce que nous faisons déjà. Et nous devons continuer à le faire. Chaque jour, nous devons nous dire que sa haine ne fait pas le poids face au besoin profond de paix, de vivre ensemble, de ne pas se haïr, mais de s'aimer.

Il n'y a pas d'autre alternative.

Le « deux poids, deux mesures » identitaire

Alors qu'il est facile de condamner le contenu radical de la vidéo du PVV, le racisme est un problème de longue date aux Pays-Bas. En 2011, le premier ministre Mark Rutte avait déclaré ce qui suit :

We gaan er gewoon voor zorgen, dames en heren, dat we dat prachtige land weer teruggeven aan de Nederlanders, want dat is ons project!

Mesdames et messieurs, nous allons nous efforcer de rendre ce beau pays aux Néerlandais, car c'est bien ça notre projet !

Ce que beaucoup avaient retenu de sa déclaration, c'est qu'être « néerlandais » exclut tout immigré et même tout descendant d'immigrés non blancs de deuxième, troisième, et quatrième générations.

Halleh Ghorashi a écrit sur la réticence de la société néerlandaise à aborder le sujet du racisme dans une publication intitulée « Racism and ‘the Ungrateful Other’ in the Netherlands [en]  [9]» [Le racisme et « l'autre, cet ingrat » aux Pays-Bas, NdT] :

Every reaction that acknowledges the insecure feelings of the “native Dutch” justifies the critique of migrant culture as well. Here we can observe a clear double standard: It is OK for the “native Dutch” to feel defensive and to protect their culture, but migrants are criticized for defending theirs. Migrants are seen as the ones who need to adopt or even assimilate into the new culture. Not many people would consider this asymmetric approach racist, since it is believed that the discussion is about culture and not about race (see also Schinkel on this). This begs the question of why the discussion of the culture of migrants focuses on how it needs to change, yet discussion of the culture of the “native Dutch” recognizes the reasons for a defensive attitude.

Toute réaction qui admet le sentiment d'insécurité des « Néerlandais de souche » justifie alors les critiques contre la culture des immigrés. On peut observer ici un système clair de deux poids, deux mesures : il est acceptable que les « Néerlandais de souche » défendent et protègent leur culture, mais les immigrés qui en font de même sont critiqués. Les immigrés sont perçus comme ceux qui doivent adopter ou même s'intégrer dans la nouvelle culture. Peu de gens considéreraient raciste cette approche asymétrique, puisqu'il s'agit d'une question de culture et non de race (voir Schinkel à ce sujet). Cela soulève la question de savoir pourquoi le débat sur la culture des immigrés se focalise sur la manière dont il faut que celle-ci change, alors que le débat sur la culture des « Néerlandais de souche » admet les raisons d'une attitude défensive.

Dans son ouvrage intitulé « White Innocence [10] » [L'innocence blanche, NdT], Gloria Wekker aborde la manière dont le racisme se répand dans la société néerlandaise tout en restant silencieux et inavoué. Elle déclare que la société néerlandaise se perçoit comme étant progressive et tolérante, et cela rend beaucoup de personnes aveugles aux problèmes de racisme pourtant inhérents au système :

In that story we are a very progressive country. We are the champions of women’s liberation, liberation of gays and lesbians. We also like to tell ourselves that we are color blind and anti-racist. The thing is, if you ask people from the colonies or from Morroco or Turkey, this does not conform to their experiences.

Dans ce récit, nous sommes un pays très progressiste. Nous sommes les champions de l'émancipation des femmes, des gays et des lesbiennes. Nous aimons nous vanter d'être indifférents à la couleur de la peau et anti-racistes. Mais en réalité, si on interroge les personnes des colonies, ou du Maroc ou de la Turquie, ce récit ne se conforme pas à leurs expériences.

Dans le bref discours suivant, elle discute de la façon dont le racisme se manifeste aux Pays-Bas :

Où se dirige le débat sur le racisme aux Pays-Bas ?

Le dimanche 18 mars, environ 13.000 personnes ont bravé le froid à Amsterdam pour protester contre le racisme. Ce qui est clair, c'est que de plus en plus de personnes affectées par les politiques racistes se mettent à créer des plateformes pour discuter, débattre, et participer davantage au processus politique.