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Processus de paix en Colombie : un transfert de la violence en Équateur voisin ?

Catégories: Amérique latine, Colombie, Equateur, Guerre/Conflit, Médias citoyens

“#3NousManquent. Nous sommes avec vous” Photo de la rédaction du journal El Comercio, largement partagée en ligne, dans le cadre de la campagne NosFaltan3.

L'enlèvement d'une équipe de journalistes par un groupe dissident des FARC (acronyme des Forces armées révolutionnaires de Colombie) à la frontière avec l’Équateur ajoute une complication supplémentaire au chemin de la paix [1] en Colombie après plus de cinquante ans de conflit armé [2].

Le processus de paix s'est traduit par la restitution de plus de 9.000 armes à feu et le taux d'homicides le plus bas en trente ans (24 homicides [3] pour 100.000 habitants). Toutefois, l'accord de paix n'a pas fait l'unanimité des membres des FARC. Des groupes se sont formés, non seulement avec des guérilleros refusant le processus de démobilisation, mais aussi avec des bandes de narcotrafiquants.

En ce début de 2018, quatre bombes [4] et deux voitures piégées [5] ont déjà explosé en Équateur. En janvier 2018, le président équatorien Lenín Moreno a déclaré [6] l'état d'urgence dans plusieurs parties du pays à la suite d'un attentat à San Lorenzo [7], une ville de la province d'Esmereldas limitrophe de la Colombie, qui a fait 14 blessés et d'importants dégâts matériels dans un poste de police.

Enlèvement d'une équipe de journalistes

Tandis que le gouvernement équatorien faisait le bilan des dégâts, les médias sociaux et la presse ont sonné une autre alarme : deux journalistes et leur chauffeur du journal El Comercio [8] ont été enlevés le matin du 26 mars dans la petite ville de Mataje, aussi dans la province d'Esmeraldas.

Le jour même où le ministre de l'Intérieur César Navas confirmait l'information, il a rencontré, en présence du ministre de la Défense, du Procureur général, du Défenseur du peuple, et des hauts responsables de l'armée et de la police, les représentants légaux du journal et les familles pour les informer de la procédure à suivre en pareil cas.

Lors de la conférence de presse où Navas avait officiellement annoncé l'enlèvement, il avait aussi mentionné la probabilité que les séquestrés se trouvent en Colombie.

Selon le commandant en chef des forces armées colombiennes, le général Alberto Mejía, le commanditaire de l'enlèvement serait le chef des dissidents des FARC dans le sud-est de la Colombie, Walter Patricio Artízala Vernaza, surnommé “Guacho”. Le général a déclaré à RCN Radio [9] que ses informations avaient permis d'établir que c'étaient le guérillero et les hommes sous ses ordres qui détenaient les Equatoriens depuis le 27 mars.

Le ministre de l'Intérieur César Navas a déclaré [10] à une radio locale que les opérations de surveillance et les coups de filet sur la frontière incommodaient les groupes dissidents des FARC hors-la-loi, et que les auteurs de l'enlèvement “n'étaient pas en quête d'argent et [n'avaient pas] demandé de rançon”.

Dommage collatéral d'un processus de paix ?

César Cedeño, un expert en opérations militaires, a analysé [4] les implications de ces incidents. Il explique que l'exemple du Salvador [11] est utile pour comprendre l'importation de la violence en territoire équatorien : ceux présents dans la zone frontalière seraient des “hybrides d'organisations criminelles et insurrectionnelles” :

En la guerra civil salvadoreña pasó lo mismo: las maras [o pandillas] que hoy día son tan famosas por su incidencia en la seguridad ciudadana de América Central y Estados Unidos, fueron producto de ese proceso de paz [12]. Exguerrilleros del Frente Farabundo Martí para la Liberación Nacional que no se desmovilizaron, usaron sus habilidades de combate para dedicarse a actividades criminales. Eso son las maras.

Il s'est passé la même chose dans la guerre civile salvadorienne : les maras [ou gangs] qui aujourd'hui sont si célèbres pour leur incidence sur l'insécurité citoyenne en Amérique centrale et aux États-Unis, ont été le produit de ce processus de paix. Les ex-guérilleros du Front Farabundo Martí de libération nationale qui ne se sont pas démobilisés ont usé de leurs compétences de combat pour se consacrer à des activités criminelles. Ce sont les maras.

Il poursuit :

Ese caso muestra que, en efecto, esto es lo que puede estar pasando en el proceso de paz colombiano. Es probable que estos remanentes de las FARC hayan tomado una decisión simplemente racional para no desmovilizarse: un cálculo de utilidades esperadas versus costos esperados. Si se mantenían en la insurgencia, los retornos podían ser muy importantes en términos del comercio de estupefacientes y armas. El costo es el que ya tenían: el acoso constante del ejército y la policía colombiana.

Cet exemple montre qu'en effet, c'est ce qui peut se passer avec le processus de paix colombien. Il est probable que ces restes des FARC aient pris une décision simplement rationnelle de ne pas démobiliser : un calcul bénéfices-coûts attendus. S'ils se maintiennent dans l'insurrection, les retours pourraient être très importants en termes de trafic de drogue et d'armes. Le coût, ils le connaissent déjà : le harcèlement constant de l'armée et de la police colombiennes.

#NosFaltan3 (3 nous manquent)

Après l'annonce de l'enlèvement, des journalistes de médias en tous genres se sont rassemblés le soir du 27 mars pour une veillée [13] sur la Plaza Grande de Quito pour réclamer la libération de leurs confrères. Ils ont demandé au gouvernement de tout faire pour assurer que les deux journalistes et leur chauffeur d'El Comercio rentrent dans leurs familles sains et saufs.

Sur les médias sociaux, le mot-dièse #NosFaltan3 [14], signifiant “Trois nous manquent”, a été le plus utilisé pour évoquer le sujet :

Le ministre de la Défense, Patricio Zambrano, à la veillée sur la Plaza Grande de Quito

Une veillée silencieuse, triste… ressentie du fond du cœur. Ce soir, journalistes et amis des trois confrères enlevés nous réunissons sur la Plaza Grande

Pensant aux conséquences plus larges, le romancier et journaliste équatorien Eduardo Varas a évoqué [23] une discussion avec des étudiants en journalisme sur l'impact possible de l'incident, non seulement sur le droit à la paix et à la sécurité en Équateur, mais aussi pour les aspirants-journalistes :

Hablamos sobre que el mejor periodista es el que duda y el que busca resolver esa duda a través de la investigación. Y me dijeron que eso también significaba que ejercer el oficio nos expone como personas. No lo había pensado así. No en ese nivel. La realidad más cercana no nos daba razones para verlo de esa manera. ¿Se puede enseñar periodismo en estas circunstancias? ¿Cómo quitar el temor en el rostro de jóvenes que te miran como si no pudieran creer lo que está pasando? No lo sé.

Nous discutions de ce que le meilleur journaliste est celui qui doute et qui cherche à résoudre ce doute par l'investigation. Et ils m'ont dit que cela signifie aussi qu'exercer ce métier nous expose en tant qu'individus. Je ne le voyais pas ainsi. Pas à ce niveau. La réalité immédiate ne nous donnait pas de raison de le voir de cette manière. Peut-on enseigner le journalisme en telles circonstances ? Comment ôter la peur du visage de jeunes qui vous regardent comme s'ils ne pouvaient croire ce qui est arrivé ? Je ne le sais pas.