En Corée, le parquet, le divertissement et la politique subissent les foudres de #MeToo

Mosaïque formée d'un arrêt sur image de l'émission coréenne de JTBC, pendant laquelle la procureure Seo Ji-Hyun (en photo ci-dessus) a dénoncé les mauvaises conduites sexuelles de l'élite juridique sud-coréenne, et du mot-clic #MeToo (motif de texte sur écran RGB version 25) par Wolfmann (CC BY-SA 4.0). (Mosaïque par Georgia Popplewell)

L'article d'origine, en anglais, a été publié sur Global Voices le 10 mars 2018. Sauf mention contraire, les liens ce cet article renvoient vers des pages en anglais.

Le mois de février 2018 a été compliqué pour la Corée. Le plus grand événement de sports d'hiver [fr] au monde s'est tenu dans trois villes de l'est, dont Pyeongchang, et a réuni des athlètes venus du monde entier qui ont ri et pleuré pendant des jeux très serrés. Mais dans tout le pays, de nombreuses Coréennes se livraient à une bataille d'une toute autre nature, plus longue, plus dure et solitaire.

Lorsque le mouvement #MeToo (#BalanceTonPorc en France) a commencé à prendre de l'ampleur, les médias coréens l'ont simplement cité dans leurs rubriques “nouvelles du monde”. Certains se sont réjouis et ont envié cette avancée sociale “étrangère”, alors que d'autres l'observaient de loin. Mais tout a changé le 29 janvier.

Ce jour-là, la procureure Seo Ji-hyun a donné une interview au journal télévisé de la chaîne coréenne câblée JTBC. Elle a révélé avoir été agressée sexuellement par l'un de ses supérieurs pendant un enterrement, en 2010. Madame Seo a fait remarquer qu'elle révélait cet incident huit ans après les faits, car elle avait réalisé que rien ne changerait si les victimes continuaient à garder le silence. Elle a également affirmé avoir connaissance d'un autre cas de viol impliquant des membres du parquet, mais n'a  pas donné plus de détails, considérant qu'il ne lui revenait pas de le faire. Son récit à la fois calme et ferme, narré par une femme qui a reçu les éloges officiels du ministère deux fois en quinze ans de carrière, a provoqué la fureur de ses compatriotes.

Alors que les révélations de madame Seo ont continué de secouer le pays, c'est un poème publié en décembre 2017 [fr] qui a ensuite attiré l'attention du public.

Le poème de Choi Yong-mi [fr] “Goemul” (“monstre” en coréen), décrit les agressions sexuelles de jeunes écrivains par un écrivain nommé “En”. Vers la fin du texte, le narrateur suggère que “En” a été nominé pour le prix Nobel de littérature. Le regard du public s'est donc immédiatement tourné vers le poète Ko Un [fr], nominé pour ce prix pendant quinze années de suite. Même si l'auteure, madame Choi, a souligné que Goemul est une oeuvre littéraire, beaucoup de Coréennes du milieu littéraire ont depuis déclaré avoir été victimes d'abus sexuels de la part de Ko Un depuis des dizaines d'années.

#MeToo se propage comme un feu de brousse

Le mouvement a continué avec le témoignage d'une actrice qui a accusé le célèbre réalisateur Kim Ki-duk de l'avoir violée. Deux autres actrices ont ensuite émis des accusations similaires envers le réalisateur.

Ce fut ensuite au tour de Lee Yoon-taek, le directeur artistique de Yeonheedan, l'une des plus célèbres troupes de théâtre coréennes, d'être accusé d'inconduite. Quand d'autres témoignages ont fait jour, M. Lee s'est excusé pour son comportement, mais a nié les accusations de viol.

Le suivant, l'acteur Oh Dal-soo [fr], surnommé “l'homme aux cent millions de spectateurs”, a d'abord nié les accusations de harcèlement sexuel, puis les a reconnues.

Vingt victimes ont témoigné avoir été agressées sexuellement par l'acteur et professeur à l'université de Cheongju Jo Min-ki. Le 9 mars 2018, celui-ci a été retrouvé mort [fr] dans l'immeuble de son appartement à Séoul.

L'acteur Jo Jae-hyun, lui, a été publiquement pris à partie par sa collègue Choi Yul. Elle lui a écrit par le biais de son compte Instagram qu'elle “attendai[t] que l'on découvre ce que tu avais fait”. Jo Jae-hyun a alors lui aussi reconnu sa culpabilité, et a ensuite démissionné de son poste à l'université de Kyungsung.

Cette prolifération de témoignages a conduit le président de l'association des acteurs coréens Choi Il-hwa à reconnaître qu'il avait lui aussi eu des comportements répréhensibles. C'était la première fois en Corée qu'un agresseur s'exprimait avant d'avoir été accusé. A la suite de ces aveux, des journalistes de la chaîne publique nationale KBS se sont alors exprimés et ont partagé leurs propres témoignages. Des récits estampillés #MeToo sont apparus de partout, révélant des agressions dans un grand nombre de secteurs de l'industrie coréenne.

Du divertissement à la politique

Les révélations #MeToo ont fini par atteindre le domaine de la politique. Ahn Hee-jung, l'ancien gouverneur de la province de Chungcheongnam a été le premier à être dénoncé, et par sa propre secrétaire. M.Ahn était le favori de son parti, actuellement au pouvoir, pour la prochaine élection présidentielle. A la suite de cette affaire il a rapidement démissionné [fr]. L'ancien député Jeong Bong-ju a pour l'instant renoncé à se présenter à la tête de la municipalité de Séoul après avoir lui aussi été accusé.

La vitesse à laquelle le mouvement s'est propagé, ainsi que son étendue, ont montré à quel point la Corée était mal préparée à réagir à ce genre de situations.

Comme le fait remarquer la procureure Seo elle-même, une contrainte légale pèse également sur les victimes. L'article 307 du code pénal sud-coréen, qui traite de la diffamation, stipule qu'une “personne qui calomnie une autre en dévoilant des faits supposés de manière publique” (et pas nécessairement des faits mensongers ou faux) “encourt une peine de prison de deux ans au plus ou une amende n'excédant pas cinq millions de wons” [environ 3.700 euros, NdT]. Le soutien de la société ne protège donc les victimes en rien.

Un seul des 556 cas d'abus sexuels dans le monde du travail rapportés en 2016 a été jugé. Sept victimes sur dix ont quitté leur emploi après avoir porté plainte. Entre 2012 et 2016, 9 cas seulement ont été jugés alors que 2.109 plaintes pour harcèlement sexuel avaient été déposées. Le CEDAW, le Comité pour la suppression des discriminations à l'égard des femmes, a d'ailleurs pointé ce chiffre du doigt à l'occasion de la session qui s'est tenue avant la publication de son 8e rapport périodique national.

#MeToo, vecteur de changement en Corée

Lentement mais sûrement, #MeToo fait évoluer la Corée du Sud.

L'éclosion des révélations du mouvement #MeToo a mis en lumière la gravité d'un phénomène qui était resté dans l'ombre pendant plusieurs décennies. La Corée du Sud s'était longtemps voilée la face en refusant d'écouter les victimes, et le mouvement a montré l'étendue et la sévérité du problème. Il a aussi révélé le rôle important que le pouvoir joue dans le harcèlement sexuel et le fait que, bien que l'âge et de la hiérarchie soient des notions centrales dans la société coréenne, ces comportements étaient totalement inacceptables.

Un soutien social important, et une leçon pour l'avenir

De nombreuses personnes ont montré leur solidarité avec les victimes, à la fois dans les rues et en ligne à travers le mot-clic #WithYou [“avec vous”, NdT]. De nombreux acteurs ont apporté leur soutien, suivis par des personnalités politiques.

Le 26 février, lorsque la police a effectué la première arrestation d'un agresseur dénoncé par le mouvement, le président Moon-Jae in a demandé à la police “d'enquêter activement” au sujet des accusations d'agressions sexuelles.

Environ une semaine plus tard, le 7 mars, à la veille de la 110e Journée internationale des femmes [fr], le président de la Commission nationale coréenne des droits de l'homme [ko], Lee Sung-ho, a publié une déclaration #WithYou. Il a affirmé à cette occasion que la commission allait étendre les enquêtes concernant les anciens officiels aux cas de harcèlement sexuel découlant d'un abus de position dominante.

Dans l'intervalle, le mouvement #MeToo s'efforce d'éduquer le public. Des débats publics ont insisté sur le fait que les victimes dont l'identité avait été révélée ne devraient pas faire l'objet de davantage de harcèlement. Des directives sur la couverture médiatique de ces sujets ont été proposées [ko]. Après tout, ces témoignages ne sont pas seulement des histoires à raconter, ce sont des expériences subies par des êtres humains bien réels.

Le temps a passé depuis que la déclaration de Seo Ji-hyun a lancé le mouvement #MeToo en Corée du Sud. Le nombre de témoignages explosifs a donné le ton et a créé un élan en faveur du changement. L'évolution qui en découlera reste encore à définir, mais il y a des raisons de se montrer optimiste. Les Coréens se sont rendus compte du pouvoir du peuple. Le souvenir des veillées aux chandelles qui se sont tenues plusieurs samedis de suite sur la place Gwanghwamun [fr] et l'éviction de la présidente Park Geun-hye [fr] en mars 2017 sont encore vivaces dans les mémoires.

Le message, à ce moment-là comme maintenant, était un appel pour une Corée meilleure. Seulement cette fois-ci, il est délivré sous la forme des mots-clics #MeToo et #WithYou.

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