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Comment les communautés indigènes prennent en main leur image médiatique grâce aux data et au “storytelling” numérique

Catégories: Equateur, Médias citoyens, Peuples indigènes, NewsFrames, Rising Voices

Andrés Tapia, Apawki Castro et Juan Diego Andrango ont participé à la première série du projet de Reframed Stories.

En 2017, Global Voices [1] et Rising Frames [2] ont lancé le projet Reframed Stories, une initiative participative de storytelling [fr] [3] numérique, en collaboration avec les membres de communautés indigènes pour analyser les données de leur représentation dans les médias.

Le principal objectif de ce projet est de travailler avec des communautés indigènes très souvent marginalisées ou exclues des médias, et de les aider à mieux comprendre comment elles y sont représentées. Ce projet fournit une plateforme d’analyse de cette représentation et un site permettant aux communautés de confronter la couverture médiatique à leur propre perception. Dans la phase initiale de cette collaboration, l’équipe de Reframed Stories travaille avec les membres des communautés pour analyser les données des médias. Puis, ils écrivent ensemble.

Cet article présente le bilan positif de notre première collaboration, et nos projets d’avenir.

Les débuts de Reframed Stories

Notre conviction est que les histoires concernant les communautés doivent être racontées par les communautés elles-mêmes. Leurs histoires sont trop souvent déformées ou ignorées par la presse, ce qui revient à les priver de parole. Chez Reframed Stories nous souhaitons offrir un espace aux communautés afin qu’elles puissent analyser leur couverture médiatique et utiliser ces données pour réfléchir à l’image que l’on donne d’elles dans les médias.

Ce principe adopté, nous avons lancé la première série [4] du projet de Reframed Stories en collaboration avec le peuple Kichwa de Sarayaku et la nation Shuar, tous deux situés dans la région amazonienne de l’Équateur. Ces groupes se sont opposés à des projets d’extraction minière pendant des années, et ont porté leurs revendications auprès des instances nationales [5] et internationales [6]. C’est pourquoi ils disposent d’une solide expérience de la couverture médiatique réservée aux stratégies communautaires de résistance.

La première phase du projet consiste en une première évaluation [7] de l'image que les grands médias nationaux renvoient de ces communautés et de leurs combats pour protéger leur territoire. Nos recherches démontrent clairement que les médias ne racontent pas toujours l’histoire dans son intégralité, et passent le plus souvent sous silence les raisons des contestations et les solutions proposées par les membres de ces groupes.

Comment exploiter les données

Media Cloud [8] est un outil d’analyse médiatique qui nous a permis d'évaluer le contenu de la couverture médiatique en mettant en évidence les mots clés utilisés par les différents médias pour un sujet donné sur une période spécifique. Par exemple, le nuage de mots suivant illustre les termes les plus utilisés par les principaux médias équatoriens dans des articles mentionnant la nation Shuar publiés entre mai 2016 et juin 2017. 

Mots dominants dans 697 articles publiés entre mai 2016 et juin 2017 mentionnant le terme « Shuar » collectés dans le cadre de quatre recherches de Media Cloud dans les médias équatoriens en espagnol. (Consulter la recherche originale [9] ; Agrandir l’image [10]).

C’est en observant des nuages de mots comme celui-ci que les membres du peuple Kichwa de Sarayaku et de la nationalité Shuar ont analysé comment les médias équatoriens ont traité certains thèmes primordiaux. Cette méthode leur a permis de vérifier l’approche négative [es] [11] [en anglais ici [12]] adoptée par les grands groupes de médias pour évoquer leurs communautés et leurs mouvements sociaux ainsi que le silence systématique des grands médias nationaux concernant les jeunes indigènes [13], et leur manque d’information sur des thèmes essentiels comme les nombreuses démarches positives proposées par leurs communautés [14].

Cette collaboration leur a permis de s’engager dans une stratégie de communication, de réfléchir sur leur capacité à informer plus largement le public sur leurs combats et leurs victoires [es] [15], [traduction en anglais ici [16]] de trouver de nouveaux moyens de répondre à l’interprétation tendancieuse des médias [es] [17]. [traduction en anglais ici [18]].

Les commentaires à propos de Reframed Stories

Juan Diego Andrango, qui travaille à la Confédération des nationalités indigènes de l’Équateur (CONAIE) [es] [19], et Andrés Tapia, le responsable de la Confédération des nationalités indigènes de l’Amazonie Équatorienne (CONFENIAE) [es] [20], considèrent tous les deux que ce processus pourrait éclairer et renforcer leurs stratégies de communication. Pour Andrango :

Esta herramienta es una muy buena propuesta porque permite analizar el manejo de la dinámica de las palabras y elementos discursivos en los medios de comunicación. Suma al proceso colaborativo de construcción de esfuerzos de comunicación propios, porque demuestra que los medios de comunicación masivos tienden a representar temas más ligados a los intereses comerciales, mas no generan información desde la realidad de los pueblos y nacionalidades. Herramientas de este estilo pueden servir como un elemento para ver desde qué línea trabajar desde la parte comunicativa y cómo responder a la información generada por los medios tradicionales.

Cet outil est une excellente solution pour analyser l'utilisation de la dynamique du langage et des éléments discursifs dans les médias. Il vient compléter le processus collaboratif de notre propre communication en démontrant que les médias traditionnels ont tendance à présenter des sujets liés aux intérêts commerciaux, et ne fournissent aucune information sur la réalité des peuples et des nationalités indigènes. Ce genre d’outils peut nous aider à choisir une stratégie de communication et à réagir à l’information fournie par les médias classiques.

Pour Tapia :

Este tipo de herramientas podrían resultar muy útiles, tanto en términos internos para el trabajo comunicacional de los pueblos y nacionalidades indígenas como para un tema formativo. Nosotros hacemos mucho trabajo con las comunidades, y este programa nos ayudaría a mostrar visualmente cómo los medios están cubriendo ciertos temas, y a la vez demostrar que la comunicación sí tiene un impacto importante.

Ce genre d’outil pourrait devenir très utile, que ce soit pour le travail de communication des peuples et des nationalités indigènes ou comme instrument de formation. Nous travaillons énormément avec les communautés, et ce programme pourrait nous aider à démontrer visuellement comment les médias couvrent certains sujets, et en même temps à quel point l'impact de la communication est important.

Abigail Gualinga, responsable des jeunes de Sarayaku

Les participants, eux aussi, pensent que des outils comme Media Cloud ne peuvent qu’inciter les groupes à se rassembler et partager leurs expériences. Pour Abigail Gualinga, responsable des jeunes de Sarayaku :

La comunicación nos ayuda a los jóvenes a conectarnos entre nosotros, a decir lo que sentimos y pensamos a un grupo más amplio, y a documentar las actividades que implementamos para seguir trabajando y uniendo fuerzas con gente de todas las edades.

La communication nous permet de nous connecter les uns aux autres, d’exprimer ce que nous ressentons et ce que nous pensons à un groupe plus étendu. Elle nous aide à diffuser les informations sur les activités que nous avons mises en place pour continuer à travailler en unissant les forces de gens de tout âge.

Apawki Castro, responsable de communication de la Confédération des nationalités indigènes de l’Équateur (CONAIE) [19], insiste lui aussi sur le potentiel de ces nouveaux outils qui, en provoquant des processus collaboratifs de communication, apportent un complément au combat des peuples et des nationalités :

Cada época trae algo nuevo y queremos seguir generando más enlaces, usando nuevas tecnologías que nos permiten seguir creando nuevos tejidos donde todos vamos  compartiendo desde una forma colectiva de construcción en unidad, donde cada quien aporta su granito para contribuir y para ayudarnos de distintas formas. La globalización y la invasión de la era tecnológica no deben absorbernos a los pueblos y nacionalidades. Mas bien, desde los pueblos tomamos a la tecnología como una herramienta complementaria a nuestras acciones de lucha.

Chaque époque apporte ses nouveautés et nous voulons continuer à créer toujours plus de liens grâce aux nouvelles technologies qui nous permettent de partager tout ce que nous avons appris tout au long de cette construction collective dans l’unité, où chacun contribue à sa manière. Nous ne devons pas nous laisser absorber, nous les peuples et les nationalités par la mondialisation ni envahir par la technologie. Nous considérons au contraire que la technologie est un outil indispensable à nos actions et à nos combats.

Comme le déclare José Santi, un des blogueurs de Sarayaku [21], ces nouveaux outils peuvent jeter des ponts entre différents groupes dans le monde et créer des liens de collaboration et de solidarité au-delà des frontières :

Además de crear nuestros propios medios, tales como nuestro blog [22], estamos muy interesados en colaborar con distintos medios y grupos usando nuevas herramientas y tecnologías, para que así la gente dentro y fuera del Ecuador conozca más sobre lo que estamos haciendo en Sarayaku y en otros lugares del país, y podamos unir fuerzas y aprender los unos de los otros.

En plus de créer nos propres médias, par exemple notre blog [es] [22], nous souhaitons avant tout collaborer avec différents médias et groupes qui utilisent de nouveaux outils et de nouvelles technologies, afin que les gens, à l’intérieur et en dehors de l’Équateur, puissent découvrir ce que nous faisons à Sarayaju et ailleurs dans le pays, et nous rejoignent pour apprendre les uns des autres.

José Santi, un des responsables du blog de Sarayaku, Sarayaku signifie le peuple de midi.

L’avenir de Reframed Stories

Ces nouveaux outils peuvent devenir de puissants alliés dans la lutte pour la représentation médiatique. Grâce aux commentaires recueillis auprès des membres du peuple Kichwa de Sarayaku et de la nationalité Shuar qui ont participé au projet de Reframed Stories, on s’aperçoit que les nouveaux outils de communication comme Media Cloud sont susceptibles d’aider les communautés à participer à des discussions sur leur représentation médiatique, et à explorer les différentes pistes de réaction à cet état de fait. Et ainsi créer des liens entre les communautés, favoriser la collaboration et renforcer les démarches déjà existantes. Ces liens sont encore renforcés grâce au projet Lingua de Global Voices [23], qui traduit des articles en plus de 45 langues différentes. Ce projet a permis aux articles de la première série de Reframed Stories de toucher un large public mondial grâce à ses traductions en anglais, russe, malgache, français et chinois.

Encouragés par les enseignements de cette expérience, nous avons commencé à coopérer avec des communautés indigènes et des Premières Nations du Canada. De plus, nous espérons pouvoir continuer à offrir à nos partenaires existants les moyens d’utiliser Media Cloud.

Nous sommes en train de faire en sorte de rendre cet outil accessible à d’autres communautés pour qu’elles puissent étudier leur représentation médiatique. Pour plus d’informations, n’hésitez pas à nous contacter [24]. Nous serions enchantés d’aider votre communauté à trouver de nouvelles solutions pour raconter ses propres histoires !