Les utilisateurs russes de Telegram amusés et inquiets de l'interdiction annoncée de l'application

La Russie interdit l'usage de Telegram; collage réalisé par RuNet Echo

Après qu'un tribunal de Moscou a ordonné l'interdiction de l'application de messagerie Telegram le 13 avril 2018 [au motif de son refus de remettre toutes ses clés de chiffrement aux services de sécurité russes, NdT] , le ministre adjoint des Communications et Médias Alexeï Voline a essayé de se montrer rassurant : ceux qui veulent continuer à l'utiliser, dit-il, “chercheront des moyens de contourner le blocage”. Dans un rare moment de consensus avec les autorités russes, de nombreux utilisateurs de l’application Telegram ont accepté.

Bien que conçue comme une application de messagerie instantanée similaire à WhatsApp, Telegram a gagné sa popularité en Russie grâce à ses “canaux”, une plateforme de blogs quelque part entre Twitter et Facebook et qui a rapidement attiré des commentateurs politiques, des journalistes et des responsables politiques. Les chaînes de Telegram sont également en plein essor et sont largement utilisées dans les guerres politiques ou d'entreprise. L'an dernier, Vedomosti, un journal d'affaires, a déclaré que les publicités politiques (ou fuites préjudiciables) sur les chaînes les plus populaires de Telegram pouvaient coûter jusqu'à 450 000 roubles (soit 5900€).

Mais le PDG de Telegram, Pavel Durov, a refusé de façon véhémente à plusieurs reprises de se conformer à la demande des services de sécurité russes de fournir les clés de cryptage du système de messagerie. Et comme la bataille qui opposait depuis un an Telegram et les autorités russes semblait s’acheminer vers la décision de bloquer l'application, les réactions à cette annonce ont été passionnées.

“La Russie est enfin devenue la deuxième économie mondiale après la Chine ! Au moins dans le domaine du blocage permanent de Telegram” a écrit Kristina Potupchik, ancienne attachée de presse d'un mouvement de jeunesse pro-Kremlin.

De nombreuses chaînes ont adopté une position de défi, encourageant leurs abonnés à trouver des moyens de contourner le blocage. “Ils nous bloquent, et nous devenons plus forts !” a écrit le 13 avril l'auteur du “Deer of Nizhny Novgorod”, une chaîne consacrée à la politique dans la région de Nijni Novgorod. Comme plusieurs autres chaînes, “Deer of Nizhny Novgorod” a ensuite publié des liens permettant d'accéder à des explications détaillées sur la façon de contourner le blocage de Telegram en utilisant un VPN ou réseau privé virtuel. “Si vous n'êtes pas une grand-mère, vous pourrez le faire facilement et rapidement “, a-t-il ajouté.

Mais tous ne sont pas d'accord sur le fait que tricher pour se soustraire à une interdiction gouvernementale soit un jeu d’enfants :

Quand on est diplômé en sciences humaines et qu'on essaie maintenant de comprendre comment fonctionnent les proxies de Telegram

Les chaînes consacrées à la politique russe et au fonctionnement interne du Kremlin – parmi les plus populaires sur la plate-forme – ont également largement affirmé qu'elles n'étaient pas préoccupées par l'interdiction.

“Environ 85 % de nos utilisateurs en ont installé un [un réseau privé virtuel ou VPN] au cours des dernières 24 heures. Si ce n'est pas le cas, voici les instructions” a déclaré la chaîne “Karaulny” (La Sentinelle) à ses plus de 66 000 abonnés.

Le propriétaire de “Nezygar” (“Pas Zygar”, un jeu de mots sur le nom de Mikhail Zygar, journaliste politique russe et auteur du best-seller “Les Hommes du Kremlin”), l'une des chaînes politiques les plus influentes avec 133 000 téléspectateurs, a déclaré au groupe de médias russe RBC que cette interdiction “confirme le statut de Telegram comme plate-forme indépendante”.

“Nezygar restera sur la plate-forme et n'ira pas sur une autre”, a-t-il ajouté.

D'autres ont pris un chemin différent. Sergey Boyarskiy, le député du parti au pouvoir Russie Unie, a publié sur Twitter une vidéo se montrant en train de supprimer théâtralement l’application Telegram de son smartphone :

Je suis la décision du tribunal. Je respecte les lois de la Fédération de Russie.

L'homme fort de la Tchétchénie, Ramzan Kadyrov, qui a été banni d'Instagram en décembre 2017, a également déclaré qu'il n'essaiera pas de contourner le blocage. Au lieu de cela, Kadyrov a dit à l'agence de presse russe TASS qu'il passerait à “Mylistory”, un obscur clone d'Instagram développé en Tchétchénie.

Les concurrents les plus probables dans la course pour s'emparer de la base d'utilisateurs de Telegram s'ils quittent la plate-forme sont Viber et TamTam, deux applications de messagerie qui ont également mis l'accent sur leur fonction “canaux”. Ce dernier, qui appartient au géant russe Mail.ru, a placé des annonces en temps opportun dans trois journaux d'affaires russes le jour où le blocage de Telegram a été annoncé par un tribunal de Moscou. Dans Vedomosti et Kommersant, l'annonce pleine page montrait ce message : “Juste au cas où, nous sommes ici”. La publicité était plus ciblée sur “Business Petersburg”, où l’on pouvait lire : “Des canaux 2.000 fois plus grands qu'à St. Pétersbourg”, une référence aux nombreux canaux d'eau de la ville (le même mot en russe).

Vkontakte, le réseau social le plus populaire de Russie (conçu et développé par le même Pavel Durov qui possède maintenant Telegram), a également annoncé  un programme de promotion des chaînes de Telegram avec plus de 1 000 abonnés prêts à passer à Vkontakte.

Cependant, tous les utilisateurs de Telegram ne sont pas convaincus que l'application pourra survivre au blocage. Le propriétaire de “Cello case” (une allusion à l'ami de longue date de Vladimir Poutine et violoncelliste accompli, Sergueï Roldougine qui s'est enrichi de façon astronomique et inexplicable selon les Panama Papers) une chaîne suivie par plus de 142 000 personnes, a déclaré à l'agence de presse russe RBC que son nombre de téléspectateurs quotidien pourrait chuter de moitié si le blocage est appliqué. Mash, une chaîne d'information qui compte plus de 280 000 abonnés et créée par l'ancien directeur adjoint de l'empire médiatique pro-Kremlin “Life” a écrit sur Telegram qu'elle continuerait de publier sur l'application de messagerie, mais a également énuméré tous les autres réseaux sociaux sur lesquels elle est présente. “Tous les hauts responsables administratifs ressentent vraiment le blues” a déclaré le propriétaire de la chaîne “Akitipol” (le mot russe “politique” à l'envers, suivi par plus de 15 000 personnes) à la chaîne d'information 360.

Jusqu'à présent, Telegram reste disponible en Russie. Toutefois, des sources ont dit à l'agence de presse Interfax que le blocage pourrait commencer dès le 16 avril.

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