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#SOSNicaragua : Au moins 25 morts, dont un journaliste, dans les manifestations au Nicaragua, selon les défenseurs des droits humains

Catégories: Nicaragua, Censure, Cyber-activisme, Dernière Heure, Droits humains, Gouvernance, Guerre/Conflit, Liberté d'expression, Manifestations, Média et journalisme, Médias citoyens, Advox
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Quelques-uns des manifestants tués au Nicaragua, confirmés par le site d'information  indépendant Confidencial. Photo assemblées par Confidencial. Photos Individuelles provenant de divers canaux de médias sociaux.

Au Nicaragua, ce qui avait commencé comme des manifestations contre des réformes de sécurité sociale est devenu une indignation nationale contre la corruption, la censure et la répression généralisée.

En cinq jours à peine de manifestations, le gouvernement s'est lancé dans une répression brutale. Si les sources étatiques [2] indiquent dix tués, les mouvements contestataires et les organismes de défense des droits estiment qu'au moins 25 personnes ont été tuées [3] dans les manifestations, beaucoup plus ont été blessées, et les arrestations et disparitions se comptent par dizaines. Un journaliste et un policier sont au nombre des morts.

De multiples chaînes de télévision ont reçu interdiction de montrer les manifestations. L'accès à Confidencial [4], un site d'information nicaraguayen indépendant qui évoquait le bilan des manifestants tués [1], était chancelant [5] peut avant la publication de cet article.

Le 18 avril, le gouvernement, dirigé par le Président Daniel Ortega [6] et la Première Dame Rosario Murillo, qui est aussi la vice-présidente, avait adopté unilatéralement un décret réduisant le montant des pensions de retraite de 5% et imposant des contributions supplémentaires aux employeurs et salariés.

Les retraités et les étudiants réagirent en organisant des manifestations pacifiques pour exprimer leur désapprobation, mais se retrouvèrent face à la police anti-émeutes et aux membres de l'organisation para-étatique de la Jeunesse Sandiniste [7]. C'est là que les choses ont dégénéré. Les affrontements sont devenus violents et des manifestants ont rapporté que les policiers tiraient à balles réelles [8].

Le vidéo-journaliste Ángel Gahona a été abattu le 21 avril pendant qu'il diffusait une manifestation en temps réel sur Facebook Live.

Le journaliste nicaraguayen Angel Eduardo Gahona a passé les quatre dernières minutes de sa vie à couvrir la manifestation des jeunes et l'arrivée de la police anti-émeutes ce soir à Bluefields. Il transmettait en direct sur Facebook quand il a été tué d'un coup de feu. Voilé sa dernière émission :

D'autres journalistes ont été attaqués et agressés, et leur matériel a été volé. En parallèle, au moins trois chaînes de télévision [12] ont reçu interdiction de couvrir les manifestations.

Dans un pays où la liberté des médias est fugace, la censure n'a pas dissuadé les Nicaraguayens, qui diffusent en direct, tweetent et vloguent sur la crise depuis le terrain.

Les mots-clics comme #SOSNicaragua, #SOSINSS et #QueSeRindaTuMadre sont devenus viraux sur Twitter et Facebook, et des vidéos spontanées sont postées sur Dropbox [13]. A travers le militantisme en ligne, les Nicaraguayens plaident pour un soutien international — tout en demandant particulièrement aux USA de ne pas intervenir. [14]

Manifestants à Managua. Arrêt sur image d'une vidéo d'Euronews.

Les étudiants de premier cycle sont le visage du mouvement, activement soutenus par des Nicaraguayens de tout l'éventail politique, à commencer par leurs parents [15], les mouvements féministe [16] et rural, les retraités. Voilà pourquoi les manifestants soulignent qu'ils n'ont pas de lien avec un parti politique en particulier, mais qu'ils revendiquent au nom des droits humains et de la démocratie au Nicaragua. Les protestataires se disent “auto-gérés, auto-convoqués”.

Le journaliste Wilfredo Miranda a filmé une manifestation où les présents crient ironiquement “la minorité, c'est ici”, en référence à la certitude de la Vice-Présidente Murillo que la protestation ne représente qu'une minorité de Nicaraguayens.

“La minorité c'est ici”, réponse à Rosario Murillo

Puisque ce sont les étudiants qui font les frais des agressions et meurtres de la police, les civils collectent vivres et médicaments pour eux dans les universités et dans la cathédrale de Managua, car l’Église soutient [20] le soulèvement.

Dans une vidéo [21] postée sur Facebook par Franklin Leonel, on voit des étudiants et des médecins s'occuper des blessés dans les salles de l'université. Sous une image, iI commente :

No son pandilleros!!! #SOSNicaragua masacran a nuestros estudiantes!!!

Ce ne sont pas des voyous !!! #SOSNicaragua ils massacrent nos étudiants !!!

La position officielle du gouvernement a varié dans les déclarations publiques, mais la violence appliquée par l’État paraît se poursuivre.

Le Président Ortega a publiquement ignoré les manifestations pendant trois jours, avant de faire une apparition le 21 avril. La présence militaire s'est ensuite multipliée dans les rues. Il s'est ultérieurement déclaré ouvert à un dialogue avec le secteur privé, qui a accepté l'invitation sous certaines conditions [22], dont l'invitation d'autres secteurs de la société à la table. Le Président Ortega n'a pas donné suite, mais a annulé sa réforme des retraites le 22 avril.

Mais les manifestations s'étendent désormais au-delà de la cause de la réforme des retraites. Les protestataires réclament [23] la justice pour ceux tués par les tirs des policiers et militaires, et la fin de la corruption publique. Certains appellent à la dissolution totale du gouvernement Ortega.

Sur Facebook, la sympathisante de la contestation Leonor Zúniga a publié une vidéo [24] explicative :

…the people are tired. It’s been 11 years that we’ve been in a very authoritarian [state], where we've been constantly repressed, where state decisions are made in secret, where we’re never taken into account.

[…]

I think that [the social security reform] was the last straw.

…les gens n'en peuvent plus. Cela fait 11 ans que nous sommes dans un [État] très autoritaire, qui nous réprime constamment, où les décisions sont prises dans le secret, où nous ne sommes jamais pris en compte. […] Je pense que [la réforme des retraites] était la goutte de trop.

La réforme des retraites annulée était, comme le dit Zúniga, la goutte de trop s'ajoutant au déclin de la responsabilité gouvernementale, à la situation économique, à la dégradation de l'environnement (avec les récents feux de forêt [25] dans la réserve naturelle d'Indio Maíz) et au naufrage des institutions démocratiques en général.

Le Nicaragua, un pays de six millions d'habitants, a vécu sous le régime autoritaire de Somoza [26] jusqu'à son renversement par la révolution sandiniste en 1979. Dans les années 1980, une guerre civile a fait rage entre le régime sandiniste et les “Contras” [27], des combattants d'opposition financés et armés par le gouvernement des USA. Daniel Ortega, un ex-guérillero et membre du Front sandiniste de libération nationale [28] (FSLN) fut élu président en 1985. Il resta en fonction jusqu'à sa défaite dans sa tentative pour se faire réélire en 1990, ce qui mit fin à la guerre civile.

Ortega a été réélu en 2007 et est resté au pouvoir depuis lors. L'exercice de ses fonctions a été marqué par la suppression des limitations du nombre de mandats présidentiels, un musèlement croissant de la presse [29], un affairisme opaque, et un contrôle direct [30] sur la police, l'armée, et les pouvoirs judiciaire et exécutif.