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L'Argentine face au débat sur la légalisation de l'avortement

Catégories: Amérique latine, Argentine, Droits humains, Femmes et genre, Médias citoyens, Santé

« Aucune femme ne doit mourir de l'avortement clandestin ». Photo Emergentes (CC BY-NC 2.0)

[Article d'origine paru le 6 mars 2018]

Durant la semaine historique des femmes en Argentine, mardi dernier, le 6 mars 2018, fut présenté au Sénat national le projet de loi sur l'interruption volontaire de grossesse [1] [en espagnol, comme les liens suivants sauf indication contraire] poussé par la Campagne nationale pour le droit à l'avortement légal [2] et signé par 71 député-e-s de divers partis politiques [3] [en].

Après des décennies de renvoi de la question et six tentatives infructueuses [4] depuis 2005 [en], cette année, le gouvernement argentin a donné le feu vert [5] [en] à la discussion du projet de loi à partir du 20 mars. Etant donné la grande diversité des positions, y compris à l'intérieur du même bloc de partis, une liberté de conscience absolue [6] a été accordée aux législateurs eux-mêmes, en les encourageant à voter en conformité avec leurs principes et convictions.

Le 1er mars, dans son discours d'ouverture [7] de la session ordinaire du Congrès, le Président argentin, Mauricio Macri a déclaré :

Hace 35 años que se viene postergando un debate muy sensible que como sociedad nos debemos: el aborto. Como más de una vez dije, estoy a favor de la vida. Pero también estoy a favor de los debates maduros y responsables que como argentinos tenemos que darnos. Por eso, vemos con agrado que el Congreso incluya este tema en su agenda de este año. Espero que se escuchen todas las voces y se tomen en cuenta todas las posturas.

Cela fait 35 ans qu'est repoussé un débat très sensible, que nous devons aborder en tant que société : l'avortement. Comme je l'ai exprimé à plusieurs reprises, je suis en faveur de la vie. Mais également favorable aux débats matures et responsables auxquels nous, Argentins, devons nous confronter. Pour cette raison, je suis heureux de voir que le Congrès a inclus ce thème dans son agenda de l'année. J'espère que toutes les voix seront entendues et que toutes les positions prises en compte.

Macri a également apporté deux arguments intéressant le domaine de l'égalité de genre : l'extension du congé paternité – qui aujourd'hui autorise seulement quelques jours – et la promesse de réduire l'écart de salaire entre hommes et femmes, ce qui est déjà encadré par la loi mais qui, en réalité, laisse énormément à désirer [8].

Il faut relever que l'initiative d'accueillir ce débat au Congrès provient d'un gouvernement connu pour être proche des positions de droite et conservatrices. Les débats ont été retardés et empêchés durant les deux mandats de l'ex -Présidente Cristina Kirchner [9], qui appartient au parti politique opposé. Kirchner était explicite [10] dans son soutien à l'interdiction de l'avortement.

Le débat sur l'avortement en Argentine n'est pas nettement tranché selon les lignes du parti, mais s'articule autour des expériences personnes, des valeurs, et des croyances religieuses des individus. La grande diversité d'opinions pour et contre la dépénalisation se trouve aussi bien à l'intérieur du parti du gouvernement que de celui de l'opposition.

Le débat sur internet : un miroir de la division de la société argentine

La possibilité de dépénaliser l'avortement a polarisé l'opinion publique en Argentine, celle-ci est tiraillée entre sa trajectoire progressiste et son patrimoine conservateur et religieux.

Comme on pouvait s'y attendre, quelques jours avant la grève des femmes [11] programmée pour la Journée Internationale des droits de la Femme, les réseaux sociaux explosaient déjà de commentaires et de mèmes reflétant la gamme d'opinions (y compris certaines extrêmes) sur la question de l'avortement.

Il ne fait aucun doute que ce sujet provoque aussi bien des débats réfléchis que des réactions émotionnelles intenses, cela explique l'abondance d'insultes, attaques personnelles et moqueries. Parmi les hashtags les plus utilisés se trouent #abortolegal [12] (avortement légal), #AbortoLegalYA [13] (avortement légal maintenant) #NOalAborto [14] (Non à l'avortement) et #Sialavida [15] (Oui à la vie).

Image : La question n'est pas quand un ovule fécondé devient-il un être humain. La question est quand une femme cesse-t-elle d'être humaine et devient une incubatrice régulée par l’État ? Nos corps. Nos territoires. #AvortementLegalMaintenant

Si on donne l'#AvortementLégal gratuit, pour pouvoir avoir des rapports sexuels non protégés, alors je veux un bypass gastrique et une liposuccion gratuite, pour pouvoir manger ce que je veux en restant mince. De fait, on meurt davantage d'obésité que d'avortement. Non ? #BonVendredi

Déshumaniser le foetus peut soulager ta conscience, mais ça ne changera pas la réalité. C'est une vie comme la tienne ! Laisse le vivre ! #OuiALaVie

La discussion ne porte par sur le fait d'être pour ou contre l'avortement, mais entre avortement légal et avortement clandestin. Tout le reste n'est qu'une question d'opinion et de décisions personnelles, toutes respectables et non discutables. #AvortementLégalMaintenant

Dans les jours suivant l'annonce du débat sur la dépénalisation de l'avortement, des personnalités politiques et artistiques ont également exprimé leur propre opinion. La députée nationale Elisa Carrió, alliée importante du parti du gouvernent Cambiemos, a clarifié sa position [26] contre l'avortement dans sa déclaration demandant le « le respect pour les croyants parmi nous ». La vice-présidente argentine, Gabriela Michetti, [27] suit également cette ligne, bien qu'elle soit d'accord avec la nécessité du débat.

Le ministre des Sciences et de la Technologie, Lino Barañao, s'est déclaré [28] en faveur de la dépénalisation. Le ministre de la Culture, Pablo Avelluto, a également soutenu la dépénalisation, mais en demandant [29] que le débat se déroule sans diaboliser ceux qui ont des positions opposées. L'actrice Mercedes Funes a partagé une lettre [30], dans laquelle elle souligne son soutien à un avortement sûr et légal  :

Conozco varias mujeres que han abortado. Todas ellas cuando me lo contaron, me lo contaron hablando desde la huella que a cada una les dejó. No me lo contaron con liviandad, como una anécdota más, como si hubieran ido a hacer un trámite, o a sacarse una muela.

Je connais beaucoup de femmes qui ont avorté. Toutes, quand elles me l'ont raconté, me l'ont raconté en parlant du poids que cela leur a laissé. Elles ne me l'ont pas raconté avec légèreté, comme une anecdote de plus, comme s'il s'agit d'une simple formalité, ou de se faire enlever une dent.

Polémiques et réalités diverses

[31]

« Appel global pour l'avortement légal, sûr et gratuit ». Images : Emergentes (CC BY-NC 2.0)

Au-delà des débats sur internet et des opinions personnelles, la proposition de loi ne secoue par uniquement les valeurs de la société argentine, elle contraint également à prendre en considération d’autres réalités [32]. Selon la branche Argentine d'Amnesty International, on estime que chaque année près de 450 000 avortements illégaux [33] sont effectués.

Et d'après des collectifs comme Varones Antipatriarcales de Rosario et Corriente La Colectiva sur Medium : [34]

…las prácticas de abortos no solo existen en el tejido social con una cotidianeidad mayor a la que imaginamos, sino que se distribuyen [y son atravesadas] por vectores de racialización, sexo, género, clase, posiciones políticas, ideológicas, religiosas, éticas y fundamentalmente, por los intereses económicos de corporaciones médicas y farmacéuticas.

… la pratique des avortements n'existe pas seulement dans le tissu social avec une quotidienneté supérieure à celle que l'on imagine, mais elle se distribue [et est traversée] par des enjeux de race, sexe, genre, classe, positions politiques, idéologiques, religieuses et fondamentalement par les intérêts économiques des firmes médicales et pharmaceutiques.

En réponse à la présentation du projet de loi au Sénat, la Campagne nationale pour le droit à l'avortement légal, sûr et libre [35] a organisé une manifestation [36] le 6 mars, devant le Congrès National et dans les principales villes du pays. La manifestation a été rejointe par divers organisations [37] et groupes de la société civile, féministes, et de défense des droits humains, certaines d'entre elles discutant du sujet en direct sur les réseaux sociaux [38].