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Instantanés culturels n° 8 : Les femmes au Canada

Catégories: Amérique du Nord, Canada, Femmes et genre, Médias citoyens, NewsFrames

 

Photo de aoreste [1] sur [2] Pixabay [2]. CC0 Creative Commons.

Les “Instantanés Culturels” de NewsFrames sont une série d'articles qui examinent comment les attitudes, coutumes et croyances se manifestent dans le traitement de l'information. Nous posons des questions sur la manière dont les discussions autour de certains sujets sont cadrées et ce que peut signifier ce cadrage.

Juste après la commémoration de la Journée internationale de la femme, il nous a semblé intéressant d’enquêter sur la représentation des femmes dans les médias. Notre attention s’est portée sur le Canada où une étude récente [3] a classé ce pays parmi les dix meilleurs pour les femmes (sur les 153 pays que comptait la liste) en ce qui concerne la paix, la sécurité, l’insertion et la justice.

De plus, nous avons trouvé d’autres indices de développement humain [4] qui évaluaient la promotion de la femme au Canada, ainsi que des enquêtes [5] et des articles [6] consacrés à la qualité de vie, les perspectives d’emploi, la liberté et les rôles de genre [fr] [7], qui laisseraient supposer que beaucoup considèrent le Canada comme un pays où il fait bon vivre et travailler pour les femmes.

Après avoir analysé ces études, nous avons voulu savoir quelle optique utilisaient les médias pour représenter les femmes au Canada, et observer sous quelles formes le sujet était traité. Dans cet Instantané culturel [8], nous avons examiné comment les médias canadiens de langue anglaise représentent les femmes et nous nous sommes posé les questions suivantes :  à quoi ressemble l’image de la femme dans les médias d’un pays qui figure parmi les meilleurs pour elles ? Est-ce que tous les problèmes ont été pris en considération dans les articles cités précédemment ?

Alors, que disent exactement les médias canadiens à propos des femmes ?

Pour explorer ce thème, nous avons utilisé l’outil d’analyse de médias Media Cloud [9] qui nous a permis de trouver les termes le plus fréquemment associés au mot « femmes » dans l’environnement des médias canadiens anglophones.

Qu’est-ce que Media Cloud ?

Media Cloud [9] est une plateforme open source développée par le Center for Civic Media du MIT et le Berkman Klein Center for Internet and Society de Harvard. Media Cloud a pour objet d'agréger, analyser, livrer et visualiser l'information tout en répondant à des questions quantitatives et qualitatives complexes sur le contenu des médias en ligne.

Le nuage de mots suivant montre les mots clés apparus avec le terme « femmes » dans un échantillon d’articles de la presse écrite et numérique canadienne, pour une période allant de février 2017 à février 2018. Plus le mot est grand dans le nuage, plus sa fréquence d’apparition dans l’échantillon de la base de données de Media Cloud, composée d’articles de journaux, de blogs et d’autres moyens de communication, est élevée.

Ce nuage de mots représente les thèmes apparus avec le mot « femmes » par ordre de prévalence, pour un échantillon d’articles de sources canadiennes anglophones de Media Cloud de février 2017 à février 2018 (requête originale [10]). Cliquer ici pour agrandir l’image [11].

La première chose que l’on remarque en regardant ce nuage de mots (qui est le résultat d’un échantillon de 210 921 articles et textes extraits de moyens de communication canadiens qui composent les collections de Media Cloud au niveau national et provincial), c’est que, même si le Canada arrive en haut du classement pour le bien-être des femmes et est considéré comme un endroit où il fait bon vivre pour les femmes, la réalité présentée par le cadrage des médias canadiens anglophones est loin d’être aussi idyllique. Ainsi, on peut voir que des termes comme égalité et émancipation n’apparaissent qu’au milieu ou à la fin du nuage, alors que d’autres comme violenceplainte, harcèlementattaqueassassinatabusaccusationvictimes et viol s’imposent dans la recherche. L’évaluation attentive de certains articles qui utilisent ces termes fait ressortir des perspectives intéressantes sur les constructions narratives choisies par les médias pour traiter les problèmes qui concernent les femmes.

Violence et abus

On s’aperçoit que les articles qui contiennent les termes abus et violence ont tendance à porter sur un grand nombre de problèmes. Le premier sujet détecté qui revient fréquemment est lié à la violence domestique :

Les femmes de la communauté inuit partagent des histoires d’abus dans le cadre d’une campagne pour mettre fin à la violence domestique. [12]

11 octobre 2017 — CBC

Un groupe de femmes du Nunatsiavut a réalisé deux vidéos dans le cadre d’une campagne pour mettre fin à la violence domestique dans les communautés inuit. La directrice générale de l’association, Kim Campbell-McLean, a déclaré que la violence domestique dans sa communauté est très stigmatisée et trop fréquente.

Un groupe demande au gouvernement du Québec de consacrer des fonds supplémentaires aux affaires de violence conjugale [13]

25 mars 2017 — Montreal Gazette

Après l’homicide d’une adolescente de Mont-St-Hilaire, une organisation de femmes demande au gouvernement provincial de s’attaquer au problème et de rédiger un protocole formel pour les affaires de violence conjugale. Le groupe a déclaré qu’il est impératif que les femmes qui subissent des violences de la part de leur conjoint reçoivent toute l’assistance nécessaire.

Même si de nombreux articles évoquent le travail réalisé pour aider les victimes, comme des campagnes, divers projets et des refuges, on y décrypte un message sous-jacent qui met l’accent sur la nécessité d’améliorer l’aide et l’assistance légale offertes aux victimes.

Quoique plus rares, les autres thèmes associés à ces termes concernent la maltraitance en ligne et le cyber-harcèlement, la consommation de drogues et la violence dont les femmes et les enfants sont si souvent les victimes, au Canada ou ailleurs. Il est important de noter que ce dernier sujet, qui traite de la couverture médiatique de la violence à l’encontre des femmes dans les autres pays ne contredit pas nécessairement les affirmations des enquêtes et des articles. Cela soulève cependant une question intéressante sur la façon dont la couverture des médias canadiens de langue anglaise s’inscrit dans un débat plus vaste sur la violence envers les femmes à l’échelle mondiale.

Harcèlement

Alors que les articles mentionnant les mots abus et violence traitent d’une large palette de problèmes, ceux qui emploient le terme harcèlement ont tendance à traiter de sujets plus spécifiques, et en grande majorité, du milieu professionnel. Certains articles abordent notamment le débat en cours sur le harcèlement sexuel dans différents secteurs professionnels, allant des serveuses aux policières en passant par les étudiantes :

D’après une enquête de l’Université de Victoria, les serveuses sont plus exposées au harcèlement sexuel au travail  [14]
9 février 2017 — Global News 

Les serveuses doivent endurer de nombreuses situations de harcèlement sexuel au travail, d’après une enquête à Victoria. « J’ai entendu des histoires de clients qui parlaient de leur vie sexuelle, faisaient des blagues sexistes ou des insinuations et allaient même parfois jusqu'à des attouchements sexuels », raconte Kaitlyn Matulewicz, étudiante en doctorat de l’Université de Victoria.

La démission publique d’une policière de Calgary relance le débat sur le harcèlement et l’intimidation dans la police [15]
1° février 2017 — CBC(Marlene) Hope et (Jen) Magnus font partie d’un groupe de femmes policières qui se sont réunies ces derniers mois pour parler des problèmes sur leur lieu de travail. En annonçant sa démission hier, Magnus a déclaré à la commission avoir déposé une plainte, avec une autre policière, qui a abouti à un audit des ressources humaines, lancé en 2013 par son ancien chef Rick Hanson, pour enquêter sur la culture (collective) au sein de la police de Calgary. Ce rapport de 29 pages a vu le jour en 2016. Il a mis en évidence des preuves d’une culture de brimades, de harcèlement, d’intimidation et de représailles.

Nous avons remarqué aussi que certains articles qui mentionnaient le terme harcèlement se concentraient ou faisaient référence au mouvement #MeToo [16] (Moi aussi), qui incite les femmes à se manifester contre la violence et le harcèlement sexuel. Dès qu’il s’est converti en phénomène viral en octobre 2017 [17] dans le cadre des plaintes contre Harvey Weinstein [18] et autres personnalités, le mouvement a été le point de départ d’une tendance mondiale [19] qui incite à parler ouvertement du harcèlement en général. La mention de cette campagne dans des articles, à côté du mot Weinstein, suggère que la prévalence du thème du harcèlement dans les médias canadiens de langue anglaise pourrait être reliée dans une certaine mesure, à l’importance que ce travail a reconnue au harcèlement sexuel en milieu professionnel.

Assassinat

Assassinée est un des autres termes apparus dans le nuage de mots. Nous nous sommes rendu compte, en recherchant les articles liés à ce terme, que beaucoup d’entre eux provenaient de l’enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, [20] dont l’objectif est de se pencher sur « les causes systémiques de toutes les formes de violence à l’égard des femmes et des filles autochtones au Canada en analysant les modèles et les facteurs sous-jacents », et de comprendre les raisons dont découlent les morts et les disparitions de ces femmes :

Il faut que justice soit faite pour les femmes indigènes disparues et assassinées et leurs familles [21]

30 novembre 2017, Alberta Native News 

Des inspecteurs se rendent dans des communautés en Alberta, Nouvelle-Écosse, Manitoba, Colombie-Britannique et Yukon pour parler aux victimes survivantes et étudier les circonstances des décès et des disparitions de centaines de femmes et enfants indigènes ces dernières décennies. Dès qu’ils auront terminé les entretiens, la Commission préparera un rapport incluant leurs recommandations pour promouvoir une plus grande sécurité et une meilleure santé des communautés.

Le fait que le terme assassinée apparaisse surtout dans des articles liées aux femmes des premières nations laisse aussi supposer que la situation n’est pas la même pour toutes les femmes dans ce pays. Les femmes indigènes et des premières nations, notamment, ainsi que les migrantes, peuvent être amenées à affronter des problèmes spécifiques qui échappent au référentiel du bien-être des femmes à l’échelle nationale.

Que nous révèlent ces résultats ?

Selon notre recherche, même s’il est probable que le Canada dispose d’une bonne réputation internationale pour le cadre de vie qu’il offre aux femmes et que la situation des femmes dans ce pays semble bien meilleure qu’ailleurs, la couverture médiatique nationale anglophone indique que certains problèmes existent qu’il faut encore résoudre.

Pour résumer, cette enquête nous apporte plus d’interrogations que de réponses : si le Canada est réellement un endroit parfait pour les femmes, pourquoi les thèmes dominants sont-ils si négatifs ? Existe-t-il une importante différence dans la façon de parler des femmes des premières nations et autochtones, et aussi des migrantes ? Que disent les médias francophones sur les femmes dans ce pays ? Et pour reprendre la question précédente, quid de la couverture médiatique des femmes dans les autres pays à l’échelle mondiale ? Trouve-t-on des similitudes entre les médias canadiens et ceux d’autres pays moins bien classés dans la liste citée en début d’article ?

En conclusion, la question est peut-être plus simple : quelle couverture doit-on donner aux femmes dans les pays démocratiques que nous voulons soutenir ?

Nous espérons continuer nos recherches sur ces questions dans nos prochaines publications.