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Le dernier site d'informations indépendant du Cambodge racheté par une agence de relations publiques proche du parti au pouvoir

Catégories: Asie de l'Est, Cambodge, Gouvernance, Liberté d'expression, Manifestations, Média et journalisme, Médias citoyens, Politique, Advox
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Photographie de couverture de la page Facebook du Phnom Penh Post

Plusieurs membres de la rédaction et journalistes salariés du Phnom Penh Post ont démissionné [2], craignant que le rachat du quotidien anglophone – fondé il y a 26 ans au Cambodge – par le dirigeant d'une entreprise de relations publiques malaisienne ne remette en question leur indépendance éditoriale.

Le Phnom Penh Post [3] a récemment été racheté par Sivakumar S. Ganapathy, le directeur général de l'entreprise ASIA PR, basée en Malaisie.

L'équipe du Phnom Penh Post a publié un article [4] sur le rachat, détaillant le profil commercial et les intérêts d'ASIA PR et mentionnant que l'entreprise avait mené un projet intitulé « Le Cambodge et l'entrée de Hun Sen à la tête du gouvernement [5] ».

Le projet semble avoir été conduit pour le compte de l'actuel Premier ministre cambodgien Hun Sen, au pouvoir depuis trois décennies. Le site d'ASIA PR ne fournit pas davantage d'informations sur son contenu.

Des représentants du nouveau propriétaire du journal ont demandé [6] à son rédacteur en chef, Kay Kimsong, de supprimer l'article qui contiendrait selon eux des « erreurs factuelles ».

Après avoir refusé, Kay Kimsong a été licencié [7]. D'autres membres de la rédaction ainsi que des journalistes étrangers travaillant pour le quotidien ont présenté leur démission en signe de protestation.

L'article a rapidement été retiré du site, mais il a pu être récupéré [8] et remis [9] en ligne.

Les journalistes ayant quitté le Phnom Penh Post se sont exprimés sur les médias sociaux en soulignant les risques que représente la politique éditoriale de la nouvelle direction pour la liberté de la presse au Cambodge.

Mots d'adieu de l'ancien rédacteur en chef Kay Kimsong lundi : « Je suis content d'avoir sorti cette une aujourd'hui. Je pense qu'il s'agit là du sens de la profession de journaliste – leur travail est de dire la vérité. Le propriétaire [du journal] n'accepte pas la vérité. »

Notre rédacteur en chef a été viré pour avoir défendu le journalisme indépendant et refusé de retirer un article faisant toute la lumière sur notre nouveau propriétaire. Quatre autres ont démissionné. Triste journée pour la liberté de la presse au Cambodge.

Après de longues discussions avec les nouveaux propriétaires du Phnom Penh Post, sept autres employés étrangers, moi y compris, ont démissionné. Dans ces circonstances, nous estimons que notre indépendance éditoriale a été compromise dans des proportions inacceptables.

Lorsque les nouveaux dirigeants m'ont ordonné de retirer du site internet mon article sur la vente du Phnom Penh Post, j'ai refusé et ai présenté ma démission, qui a été acceptée. Je souhaite bonne chance aux fantastiques journalistes du Post.

Le nouveau propriétaire du Phnom Penh Post nous a ordonné de retirer l'article sur la vente du journal. Je ne retournerai pas travailler au Post. Je suis dévasté à l'idée de ne plus pouvoir travailler chaque jour aux côtés de quelques uns des meilleurs journalistes que je connaisse. Je leur souhaite bonne chance.

Aujourd'hui nous comptons sept démissions supplémentaires du Phnom Penh Post dont la mienne, et je le regrette.

Premier tweet : Je suis bouleversée par le nombre de médias qui s’intéressent au limogeage de notre rédacteur en chef et aux démissions massives de plusieurs cadres supérieurs du Phnom Penh Post. Il ne s’agit plus d’un seul petit journal, mais du recul de la liberté de la presse au Cambodge avant les élections nationales.

Second tweet : Nous pensons en particulier à nos collègues khmers, dont certains travaillent pour le Post ou d'autres médias indépendants depuis des décennies. C'est une triste journée pour nous tous, mais surtout pour eux. Beaucoup de questions restent sans réponses quant à la transparence de l'information à l'avenir.

Nos nouveaux suzerains voudraient nous faire croire que le journalisme se limite à strictement décrire ce qui s'est passé. Sans analyse, sans contexte, sans évoquer les implications plus larges.

Le dernier site d'informations indépendant du Cambodge

Le Phnom Penh Post était considéré par beaucoup comme le dernier site d'informations professionnel indépendant depuis que le gouvernement avait ordonné la fermeture de dizaines de radios en 2017, prétextant des problèmes fiscaux ou de licence. Le Cambodia Daily, un quotidien anglophone majeur, a été obligé de mettre la clé sous la porte [22] après s'être vu imposer de lourdes taxes.

La vente du Phnom Penh Post à une entreprise qui entretiendrait des liens avec le parti au pouvoir a provoqué l’inquiétude [23] de nombreux groupes, et notamment de l'opposition politique. Beaucoup craignent que les voix critiques ne soient réduites au silence, au détriment de la liberté de la presse.

Ces événements surviennent dans un contexte de forte répression des voix dissidentes, où le parti d'opposition fait face à des poursuites judiciaires et où Hun Sen est accusé d'avoir neutralisé la liberté d'expression en amont des élections générales.

Chak Sopheap, la directrice du Cambodia Center for Human Rights, a rendu hommage au Phnom Penh Post tout en soulignant ce qu’impliquerait  [24]la perte de l'indépendance éditoriale et de l'intégrité du journal :

It is difficult to overestimate the crucial role that the Post has played in Cambodia over the years. It has consistently spoken truth to power, fearlessly exposed corruption, and unflinchingly held a mirror to Cambodian society – often revealing uncomfortable truths.

Cambodian democracy and its pillars – press freedom and civil society – lie in ruins.

Il est difficile de surestimer le rôle crucial qu'a joué le Post au Cambodge au fil du temps. Le journal n'a eu de cesse de dire la vérité aux puissants, dénoncer la corruption avec courage et refléter sans faillir la société cambodgienne, en révélant souvent des vérités dérangeantes.

La démocratie cambodgienne et ses piliers – la liberté de la presse et la société civile – tombent en ruines.