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Nationalistes grecs et macédoniens s'opposent à l'accord réglant le vieux différend sur le nom de la Macédoine

Catégories: Europe Centrale et de l'Est, Europe de l'ouest, Grèce, Macédoine, Ethnicité et racisme, Manifestations, Médias citoyens, Politique, Relations internationales
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Les ministres des Affaires étrangères de Macédoine et de Grèce, Nikola Dimitrov et Nikos Kotzias signent un accord historique avec les premiers ministres Zoran Zaev et Alexis Tsipras (à l'arrière plan) le 17 juin 2018 dans le village de Psarades / Nivici dans la partie grecque du district du lac Prespa. Photo du gouvernement de la République de Macédoine, domaine public.

Après que les Premiers ministres de la Macédoine et de la Grèce ont accepté, pour le plus grand plaisir de l'opinion internationale, de mettre fin au conflit sur le nom [2] [fr] de la Macédoine, leurs adversaires internes tentent de saboter l'accord qui ouvrira la voie à l'entrée de la Macédoine dans l'Union européenne. et l'OTAN.

L'accord implique des concessions des deux côtés, dont la prise en considération de la principale demande grecque que le futur nom de l'actuelle République de Macédoine contienne un qualificatif géographique qui la désignerait comme une partie seulement de la région géographique de Macédoine, dont le territoire s'étend au nord de la Grèce, ainsi qu'à des parties de la Bulgarie orientale et de l'Albanie occidentale.

Alors, quel est ce nom sur lequel les deux gouvernements se sont mis d'accord ? “République de Macédoine du Nord”.

L'accord répond également aux préoccupations des Macédoniens de souche, qui constituent la majorité de la population de la République de Macédoine. Leur identité distincte a été niée par les nationalistes des pays balkaniques voisins, qui affirment qu'ils sont vraiment une sous-catégorie “étrangère” des peuples slaves voisins – Bulgares ou Serbes – malgré le fait que les marqueurs ethniques de l'identité des Macédoniens, comme leur langue et culture uniques, ont été reconnus par la communauté internationale pendant des décennies.

Avec l'accord, la Grèce accepte de les respecter [3] et de désigner leur nationalité en tant que “Macédoniens” ou “citoyens de la République de Macédoine du Nord”.

Pour la République de Macédoine du Nord, la fin du conflit est un développement inespéré. Cela signifie que la Grèce lèvera le veto qui a bloqué l'entrée de la Macédoine dans deux organisations internationales clés : l’ OTAN et l'Union européenne. La majorité des citoyens macédoniens, qui sont par ailleurs divisés entre groupes ethniques, religieux et idéologiques, conviennent que la réalisation de cet objectif stratégique consensuel à long terme aidera leur société multiethnique à passer d'un purgatoire de transition à celui d'un pays européen normal.

L'adhésion à l'OTAN est particulièrement importante, car elle garantirait la sécurité et la pérennité de l'État – dont l'existence même est contestée par diverses forces nationalistes, ce qui l'a portée deux fois au bord de la guerre civile ces trois dernières années grâce à son ancien régime populiste soutenu par la Russie, qui a dirigé le pays de 2006 à 2017.

L'adhésion à l'UE offrirait plus de possibilités de bonne gouvernance et de développement économique. Les négociations d'adhésion comprennent un examen approfondi de tous les aspects de la gouvernance, ce qui pourrait aboutir à une lutte plus efficace contre la corruption. Cette adhésion fournit également des mécanismes supplémentaires pour la protection des droits des citoyens, des subventions pour la construction d'infrastructures et d'autres activités, ainsi que des possibilités de libre circulation et d'emploi dans l'ensemble de l'Union. Au cours des dernières années, plus de 120 000 citoyens macédoniens (sur environ deux millions) ont demandé la citoyenneté dans la Bulgarie voisine, principalement pour des raisons économiques.

Confiance de voisinage contre posture nationaliste

Contrairement à l'approche des anciens gouvernements des deux pays balkaniques, qui a surtout creusé les divisions entre la Macédoine et la Grèce, les premiers ministres Zoran Zaev et Alexis Tsipras ont mené un processus de confiance que la communauté internationale a été heureuse de soutenir.

Quand ils ont annoncé avoir conclu un accord pour mettre fin au différend qui, depuis plus d'un quart de siècle, générait des tensions qui flirtaient dangereusement avec la possibilité d'une nouvelle guerre balkanique, leur exploit a été salué comme digne d'un prix Nobel pour la paix : [4]

Nous sommes enfermés depuis trop longtemps dans la salle d'attente de l'UE à cause de la question du nom. Maintenant, les gens ont besoin de voir cette porte s'ouvrir complètement pour soutenir le compromis. Reconnaissant au ministre @HeikoMaas d'avoir soutenu l'acharnement macédonien pour entamer les négociations d'adhésion à l'UE et à l'OTAN.

Un utilisateur macédonien de Twitter a pris à partie les anciens premiers ministres et présidents macédoniens qui n'avaient pas réussi à résoudre le conflit de dénomination de la Macédoine, les accusant d'avoir maintenu le pays dans l'isolement et la pauvreté :

Vous savez ce que vous êtes, maudits [Branko Crvenkovski [10]], [Ljubcho Georgievski [11]], [Vlado Buchkovski [12]], [Kiro Gligorov [13]], [Gjorge Ivanov [14]] …
27 ANS que vous avez volés au peuple de la Macédoine.
27 ANS d'EMPRISONNEMENT prescrits par vous.
27 ANS pour quelque chose que Zoran Zaev a résolu en 9 mois.

Même si la plupart des Macédoniens ne considèrent pas l'accord comme parfait, ils reconnaissent que leur pays se trouvait dans une situation défavorable et doit donc faire des compromis:

Vous pouvez dire ce que vous voulez, mais Zaev a joué comme un homme et c'était la seule solution.

Les réactions internationales [16] à l'accord ont été extrêmement positives [17], l’OTAN et l'UE déclarant conjointement [18] vouloir faciliter l'adhésion de la Macédoine dès la concrétisation de l'accord :

L'accord d'aujourd'hui entre Athènes et Skopje est une réussite historique et très courageuse qui profitera aux deux parties et à toute la région. Nous attendons que tous les acteurs politiques dans les deux pays montrent un leadership constructif dans les prochaines étapes.

Les ennemis politiques transfrontaliers unis pour s'opposer à l'accord

Dans les deux pays, les nationalistes traditionnels ont organisé des manifestations et des actions politiques déclarant l'accord une trahison et une atteinte aux intérêts nationaux. En Macédoine ce sont l'Organisation révolutionnaire macédonienne intérieure – Parti démocratique pour l'unité nationale macédonienne (VMRO-DPMNE), et en Grèce Nouvelle démocratie [21]. Tous deux, anciens partis au pouvoir, sont membres du Parti populaire européen (PPE) [22] de centre-droit. A l'instar d'autres organisations internationales, le PPE a appelé [23] à un soutien constructif de l'accord par “tous les partis politiques”, en utilisant un langage diplomatique sans réprimander ouvertement ses membres :

N'est-il pas paradoxal que le VMRO-DPMNE, dont le président objecte à [la dénomination] République de Macédoine du Nord, alors qu'il est inscrit sur le site Internet du PPE sous ex-République yougoslave de [Macédoine] et a Nouvelle Démocratie pour partenaire ?

Quand ils étaient au pouvoir, les deux “partis frères” du PPE ont exploité la peur et la haine alimentées par le conflit de dénomination en Macédoine pour se présenter comme les défenseurs de leurs intérêts nationaux respectifs et augmenter le soutien des électeurs de droite :

De toute façon [le] VMRO ne peut que s'en prendre à soi-même pour l'acceptation indolente des citoyens du changement de nom … Il les a transformés en indigents et maintenant le nom le plus humiliant est plus acceptable que l'humiliation de ne pas pouvoir donner d'argent à son propre enfant pour un sandwich au déjeuner à l'école, acheter des vêtements, se permettre un voyage modeste ou des vacances ….

En Grèce, l'opposition parlementaire dirigée par Nouvelle Démocratie a lancé une motion de défiance [28] contre le gouvernement de Tsipras avant la signature de l'accord par les ministres des Affaires étrangères le 17 juin 2018 [29]. La majorité gouvernementale a persévéré, et les députés ont voté à 153 contre 127 [30] en faveur de la motion, au parlement qui compte 300 membres.

En Macédoine, la VMRO-DPMNE a estimé [31] que l'accord “capitulait” devant le chantage grec et a juré “de s'y opposer par tous les moyens démocratiques”. Le président macédonien Gjorge Ivanov, entré en fonction avec le soutien de la VMRO-DPMNE lors des élections de 2014 – qui ont été gâchées par des allégations de fraude – a fait écho à ces affirmations [32].

Au cours de la période précédant la publication du texte intégral [33] de l'accord par le gouvernement, la VMRO-DPMNE a fait de nombreuses tentatives pour persuader les citoyens que l'accord était préjudiciable. Sur les réseaux sociaux, par exemple, les apparatchiks de la VMRO-DPMNE ont participé à des efforts apparemment coordonnés pour convaincre les non-anglophones que le nouveau nom implique que le mot “Macédoine” serait “abandonné” et ne désignerait que le territoire grec. Faisant une erreur intentionnelle, ils prétendaient que le nouveau nom serait la “République au Nord de la Macédoine”, ce qui signifie une terre non nommée au nord de la Macédoine grecque, au lieu du nom exact, la “République de Macédoine du Nord” :

Tweet: L'ancien maire de Kriva Palanka [VMRO-DPMNE] apprend l'anglais avec Google Translate.

Image: Capture d'écran du message Facebook d'Arsenco Aleksovski en tapant “République du Nord de la Macédoine” en anglais et traduction correspondante en macédonien, avec son commentaire “Eh bien, c'est encore plus effrayant ? Vous pouvez voir par vous-même sur Google Translate”.

À l'instar des événements qui ont conduit à l'attaque au parlement [36] [fr] macédonien le 27 avril 2017, des groupes proches de la VMRO-DPMNE, se présentant comme des organisations de la société civile “patriotique” et des groupes de supporters d'équipes de football ont organisé des manifestations avant la signature, avec des discours haineux et le lancement de cocktails Molotov [37] devant le parlement macédonien.

Comme par le passé, de telles manifestations – avec l'appel à une “Macédoine propre” et des slogans appelant à tuer les Albanais dans des chambres à gaz [38] – ont servi de plate-forme à ceux qui prônent le nettoyage ethnique contre des groupes de personnes vivant dans le pays.

Ils chantent contre les maudits [insultes ethniques] Albanais, alors que le problème avec le nom est avec les Grecs. Ils prennent des drogues dures.

En Grèce [40] et en Macédoine, des manifestations violentes ont continué après la signature de l'accord, la police des deux pays utilisant des gaz lacrymogènes pour disperser les participants. À Skopje, la police est intervenue quand des manifestants ont lancé des engins [41] incendiaires et tenté de prendre le parlement d'assaut en agitant le vieux drapeau [42] [fr] macédonien “Vergina” (qui avait été modifié après un accord de 1995 avec la Grèce) ainsi que le drapeau russe [43].

La signature de l'accord n'est qu'un premier pas dans un long processus : il doit être ratifié par les parlements des deux pays et il pourrait y avoir un éventuel référendum pour son approbation en Macédoine. Ses adversaires auront, donc, d'autres occasions de faire obstruction.