Simone Veil, l'Immortelle : conversation avec Pascal Bresson sur l'héritage qu'elle nous lègue

Couverture du prochain roman graphique “Simone Veil, L'immortelle” par Pascal Bresson

Le 1er jSimone Veil fera son entrée au Panthéon avec son époux. Figure incontournable de l'histoire contemporaine française, Simone Veil est une personnalité centrale de la société civile : rescapée de sa déportation à Auschwitz, grande figure de la défense des droits des femmes et première présidente du Parlement européen. A quelques jours de cette reconnaissance nationale au Panthéon, Global Voices a échangé avec Pascal Bresson, auteur de BD engagé avec plus de 40 albums à son actif, et qui vient de finaliser un roman graphique basé sur la vie de Mme Veil. Ci-après à travers notre conversation, une présentation de cette œuvre et la signification de l'héritage de Simone Veil dans le contexte politique actuel.

Global Voices (GV) : Merci de d'avoir accepté de répondre aux questions de GV. Votre ouvrage,  SIMONE VEIL, L'IMMORTELLE, va paraitre le 27/06/2018 aux Editions Marabulles. Pouvez-vous nous parler du contexte de cet ouvrage et les raisons qui ont inspiré ce roman ?

Pascal Bresson (PB) : Avec grand plaisir. C'est le tout premier roman graphique autorisé par la famille Veil. J'ai élaboré ce projet depuis plus de trois ans. Suite à une visite au Panthéon en 2014, il faut préciser que je voue une admiration depuis petit aux grandes personnalités qui ont fait quelque chose de bien pour notre pays, en regardant ces nombreuses cryptes : Zola, Jean Jaurès, Victor Hugo, Marie Curie, jean Moulin, Aimé Césaire, etc… Je me demandais qui pourrait être la prochaine personnalité à y entrer ! De suite, Simone Veil m'est apparue comme une évidence. Une femme humaniste, une femme indépendante et intransigeante sur ses convictions, une conscience morale et combative. Un personnage fort au destin à la fois tragique et exceptionnel. Au-delà de son image de droiture et d'honnêteté, Simone Veil est d'abord et avant tout une femme qui incarne son temps et son combat. Son histoire personnelle se confond intimement avec l'histoire collective : la guerre, l'enfer des camps de la mort, la loi sur l'avortement, le combat pour les femmes, l'engagement pour une Europe réunie. Il faut dire que son destin fascine et intrigue. A travers ces 176 pages, je perce le mystère qui entoure un parcours exemplaire de celle qui est devenue une icône, un symbole pour des générations de femmes. Je me suis nourri de ses propres témoignages, j'ai retracé l'itinéraire d'une petite fille au caractère rebelle, intelligente née à Nice un 13 juillet 1927 qui s'appelait encore Simone Jacob. Je mets en lumière les coulisses de ses combats politiques, les blessures, la souffrance qui ont émaillées sa vie. Ni hagiographie ni pamphlet, cet ouvrage destiné de 7 à 77 ans (et plus) est celui d'un auteur passionné qui restitue en BD pour la première fois un personnage essentiel de notre temps.

GV : Simone Veil est certes une figure emblématique de l'histoire française. Cependant, l'ensemble de son oeuvre est encore méconnu par le grand public. Si vous devez résumer en quelques phrases pourquoi Simone Veil est maintenant au Panthéon, qu'est ce que vous ferez ressortir de son histoire (exercice difficile, j'en conviens) ? 

 PB : Son livre le plus connu est sans conteste « Une Vie ». Le grand public connaît bien son combat pour l'IVG en 1974, par contre au tout long de sa vie, elle n'aura cessé de mener d'autres combats comme réussir à faire transférer en France des prisonnières algériennes qu'elle estimait exposées aux mauvais traitements et aux viols, elle a fait obtenir le régime politique aux milliers de membres du FLN internés en France… Mais son plus gros combat mené était contre le Front National et pour finir le combat pour l'Europe, indissociable de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale. En effet, Simone Veil entrera au Panthéon le dimanche 1er juillet 2018. Elle y reposera en compagnie de son mari Antoine Veil, mort en 2013. C'est la première fois qu'un homme fera son entrée en tant qu'époux au Panthéon. A ce propos, j'ai une petite anecdote à ce sujet ! Quand j'ai rencontré pour la première fois Simone Veil et son fils Jean, je me souviens lui avoir dit qu'il était important que sa maman aille au Panthéon. Ce dernier, éclate de rire en disant : « Oh, si maman doit entrer un jour au Panthéon, il faudra que papa suive ». Simone Veil sera la cinquième femme à reposer dans ces lieux symboliques. Ce sera une belle façon de lui témoigner l'immense remerciement du peuple français. Elle mérite tant d'entrer dans ce temple de la République. A savoir, que son mari Antoine s'est mis à l'ombre en 1974 pour laisser son épouse devenir Ministre de la santé. Lui était prédestiné à devenir homme politique pas elle. Il s'est sacrifié par amour pour elle. Il ne voulait pas lui faire de l'ombre. C'était un couple fusionnel. Au moins, ils dormiront ensemble éternellement et ne seront plus jamais séparés. C'est une belle reconnaissance de la nation et surtout du peuple français qui s'est mobilisé sur les réseaux sociaux pour que Simone soit inhumée au Panthéon… 

Pascal Bresson, avec sa permission

GV : Vous êtes vous-même un auteur engagé de BD depuis 25 ans où vous traitez de sujets tel que l'humanisme, la tolérance, le ségrégation, le racisme, l'injustice et le devoir de mémoire. Le monde actuel est particulièrement riche en situations qui paraissent injustes, voire cruelles. Comment voyez-vous le rôle de l'auteur dans le monde actuel et quelles situations injustes en particulier souhaiteriez-vous pouvoir voir évoluer dans le futur ?

PB : Dans la vie, il y a deux sentiments que je déteste plus que tout : l’injustice et la médiocrité. Souvent les deux s’associent bien. L’injustice est un vrai dégoût pour moi. Depuis quelques années, je me suis spécialisé dans divers domaines : « humanisme », « justice », « social », « racisme », « écologie ». Je suis devenu un auteur engagé avec le temps. D’ailleurs, ce n’est pas pour rien que mon auteur préféré est Victor Hugo. La question du rôle de l’auteur dans notre société est plus d’actualité que jamais. Je tiens à être un « médiateur de la société », pas un « spectateur », mais un « acteur actif » qui raconte, dénonce, analyse tout ce qui se passe de bon ou de mauvais dans notre société. C’est à l’auteur que revient le rôle de gardien et de passeur de mémoire. Des bouts de vie mis sur papier pour les faire durer. L’écriture a toujours eu pour moi des vertus thérapeutiques. Écrire aide soi-même et aide les autres. Mais l’écriture est aussi un moyen d’exprimer les états d’esprit et d’humeur, les colères ou les aspects frivoles de la vie. L’écriture peut se révéler être un outil éducatif essentiel. Je tiens à être celui qui récolte des données pour leur donner forme et les coucher sur papier, c’est une sorte de transmission. Je suis un passeur. Quel monde je désire pour demain ? Le meilleur du monde ! Pour tout vous dire, j’essaie petit à petit de trouver ma place un peu « en dehors du système », même si ce n’est pas une chose facile car on est obligé de faire avec ce système (à moins de se marginaliser, ce qui n’est pas mon objectif) où l’argent et le « toujours plus » régissent tout, c’est une question de compromis et d’équilibre. Je me dois de rester optimiste déjà pour les miens. Je travaille l'exemplarité et surtout ma conscience. Je fais tout pour être une belle personne avec sincérité. Il faut garder foi dans l'humanité. Quand je vois la bêtise humaine, je suis écœuré, mais je dois avancer. Maintenant, je reste convaincu que l'avenir pour les hommes seront les femmes. « L’avenir de l’homme, c’est la femme », disait Louis Aragon. A l’instar du célèbre poète, ils sont nombreux, ces grands hommes, à affirmer que sans le soutien des femmes de leurs vies, leur ascension professionnelle aurait été différente. Notre époque peine à penser conjointement l'égalité et la différence. Il est urgent de renouer avec la tradition française unique des rapports entre hommes et femmes pacifiés et complémentaires, humanistes en somme – c'est-à-dire fondés sur une haute idée de l'humanité et de son destin…

 

GV : Une de vos BD “Plus Fort que la Haine aux Editions Glénat a reçu le “Prix du Meilleur Album Public 2015, catégorie BD Européenne. Il traite de l'histoire de Doug Wiston, un jeune travailleur noir dans les années 1930 à la Nouvelle-Orléans dans une Amérique rongée par le racisme et la ségrégation. Le mandat du président Trump aux USA semble raviver les années les plus sombres de cette ségrégation. Comment expliquez-vous ce regain de racisme aux USA et dans une certaine mesure à travers le monde en général ?

PB : Le racisme, la ségrégation sont deux sujets que j'aime traiter. Il faut regarder la vérité en face : Trump est raciste. Il parle des gens et les traite différemment selon leurs origines. Cela fait des années que ça dure, et il continue à le faire.Déjà dans les années 70, la société immobilière de Trump veillait à éviter de louer des appartements aux Noirs américains et accordait un traitement préférentiel aux Blancs, à en croire le gouvernement fédéral. Ce pays n'a jamais été bâti sur l'intégration des Noirs. Les disparités raciales n'ont donc pas disparu après l'élection du premier président Noir des États-Unis. Le racisme non plus. Tout cela est assez effrayant ! Certains observateurs affirment que les discours anti-Obama, souvent très populistes, sont dirigés vers les groupes radicaux. Je pense que l'on ne naît pas raciste, on le devient. D'une manière générale, il semble qu'aujourd'hui le racisme ne corresponde pas forcément à la croyance profonde de l'appartenance à une race supérieure. Il est plutôt fait de la peur et de l'inquiétude face à un autre qui est différent de soi et qu'on n'arrive pas à comprendre. Le racisme, c'est quand on en arrive à refuser ces différences et à refuser l'autre. Pour revenir à mon album « Plus Fort que la Haine », on peut dire que les coups pleuvent sur la tête du jeune Doug le héros de cette BD, qui va devoir apprendre à maîtriser sa révolte, à la dompter, la canaliser. Pourtant, les injustices s’amoncellent pour lui, pour les siens, pour ses semblables. Son salut, il va le tenir par l’intervention de deux sages, l’un noir qui l’empêchera de commettre une erreur irréparable, et l’autre blanc, son voisin, qui lui donnera ses premiers gants de boxe, et un billet pour la ville. Une fable humaniste dans une Amérique rongée par le racisme et la ségrégation, qui prouve que, quoi qu'il arrive, la haine n'est jamais la réponse…

 

GV : Revenons à votre ouvrage à paraitre. Vous avez eu l'accord de la famille de Simone Veil pour ce roman. Mme Veil en son temps a eu à faire face à un déferlement de haine pour son travail en faveur du droit des femmes, notamment sur l'avortement. Est-il plus difficile de nos jours d'essayer de faire avancer une cause progressiste qu'en 1974 ? Et est-il possible que l'on revienne en arrière sur les progrès obtenus en matière de droit de la femme ?

PB : En 40 ans, les Français ont nettement changé d'opinion sur les conditions d'avortement. 75% d'entre eux se disent favorables à une IVG sans restriction, contre seulement 48% en 1974, l'année de la « loi Veil ». On peut ajouter le Chili sur la liste qui s’apprête enfin à alléger sa législation sur l’IVG. En Amérique latine ou en Afrique, certains pays prohibent l’avortement quand certains ne l’autorisent qu’à des conditions très restrictives. Ce sont les femmes d’Europe et d’Amérique du Nord qui bénéficient des législations les plus libérales. Dans la pratique, l’IVG reste fortement limitée dans certains pays. Les médecins peuvent en effet faire appel à la « clause de conscience », qui les autorise à ne pas pratiquer d’acte pouvant heurter leurs convictions éthiques, morales et religieuses. Il ne s’agit pas d’un retour brutal des vagues réactionnaires, c’est plus un état d’esprit, une ouverture d’esprit. Un nombre important de pays continuent de l’autoriser uniquement sous des conditions extrêmement restrictives. Notamment en cas de danger pour la vie de la mère. Par contre pour les autres, ceux qui sont contre, le problème qui se pose est précisément celui-ci : qui tranchera et sur la base de quel(s) critère(s) ? Qui décidera quand il y a vie humaine et quand il n’y a rien ou presque rien ? Mais pour moi, pour résumer : « Les femmes ont le droit de disposer de leur corps » comme elles le veulent. « Je n’imaginais pas la haine que j’allais susciter » disait Simone Veil le 26 novembre 1974. L’opinion des Français sur les conditions d’avortement a changé de manière très significative. On observe que dans la France d’aujourd’hui, il n’existe pas de réel clivage de sexe ou d’âge sur les conditions d’interruption volontaire de grossesse. En effet, hommes et femmes se prononcent tout autant pour une autorisation extensive de l’IVG respectivement. On peut considérer qu’aujourd’hui le public est sensible à ce raisonnement. Si l’opinion française est massivement acquise à un recours à l’IVG sans condition, une minorité non négligeable, représentant un quart de la population totale mais aussi un quart des femmes et des jeunes, souhaiterait que cette pratique soit plus encadrée. Les prises de position sont les mêmes chez les hommes et chez les femmes, et quel que soit le nombre d’enfants des personnes interrogées. Mais l’âge fait sentir son effet : plus on est jeune et plus on se montre favorable à la liberté de l’avortement. D’autre part, dans l’ensemble du public prédomine l’idée que l’avis médical doit avoir un grand poids dans la décision d’un avortement pour raisons sociales.

GV : Vous êtes passionné par la justice et par la mer. Je ne pouvais pas ne pas mentionner l'épisode tragique de l'Aquarius et des réfugiés en mer Méditerranée. Que retenez-vous de la situation actuelle des réfugiés traversant  la mer Méditerranée et comment cela pourrait-il être amélioré ?

PB : Si Simone Veil était encore vivante et vivace, je peux vous affirmer qu'elle aurait tapé du poing sur la table ! C'est une honte. Cette grande dame, authentique Européenne n'aurait jamais laissé cette triste situation telle que nous la vivons, car nous pouvons le dire, c'est une honte européenne absolue. Évidemment, je réagis en tant qu'humain, citoyen, c'est peut-être facile d'écrire ces lignes de là où je me trouve. Mais, il faut bien reconnaître que le désordre est total, le manque de cohérence patent, l’absence de règles communes est d’une terrible banalité. Chaque pays fait ce qu’il veut, accueille ou rejette qui il veut, quitte à l’envoyer vers une mort certaine. Cela avait déjà commencé avec l’accueil des Syriens. Alors que chaque pays européen s’était engagé sur un quota d’accueil minimal de ceux qui fuyaient Daech, la plupart ne l’ont pas respecté, et encore moins la France. Le nombre de personnes qui meurent en Méditerranée est un désastre humanitaire considérable, et pourtant, l’Europe n’est toujours pas capable de  l’enrayer. Tout cela fait peur, peur pour l'avenir, notamment l'avenir de nos enfants. Comment leur montrer un bon exemple de solidarité ? Cela montre à quel point l'Europe a perdu sa compassion morale dans la Méditerranée. Ces hommes, ces femmes, ces enfants ont fui la pauvreté et la guerre. Je vous avoue que je suis dépassé devant un tel comportement. Comment va évoluer cette situation ? Je ne sais pas. J'ose espérer que les mentalités vont évoluer, mais j'ai tendance à penser que l'humain régresse. Car pour être humain, il faut : Être humain, c’est être digne et respectueux, Être humain, c’est penser avec intelligence, Être humain, c’est partager avec les autres, Être humain demande d'être libre au sein d'une société civilisée… Mais tous ces aspects par lesquels j'ai essayé essayé de caractériser une attitude humaine sont actuellement en régression dans la vie quotidienne. Pour demain, j'espère beaucoup…

GV : Merci encore pour cet interview et l'ensemble de votre œuvre.

PB : Merci à vous pour ce moment fort agréable.

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