L'activiste et lanceur d'alerte, Naïm Touré, devant les juges au Burkina Faso pour une publication sur Facebook

Capture d’écran d'une vidéo de Naim Traoré expliquant son cas via Droit libre TV sur YouTube

L'activiste et lanceur d'alerte, Naïm Touré, a comparu le 27 juin 2018 devant la chambre correctionnelle du Tribunal de grande instance de Ouagadougou, Burkina Faso. A la fin des débats, le procureur de la république a requis un an d'emprisonnement, mais la sentence ne sera connue que le 3 juillet 2018.

Il a été interpellé par la gendarmerie nationale et placé en garde à vue, le jeudi 14 juin 2018, pour s'être indigné sur sa page Facebook du sort d’un gendarme qui,  un mois après avoir été blessé lors d’une opération antiterroriste, était toujours en attente d’une évacuation sanitaire.

Le site ouagalais netafrique.net reprend ainsi les chefs d'inculpation, selon les propos d'un de ses avocats, Me Prosper Farama:

Il lui est reproché trois infractions : la première, il aurait participé à une opération de démoralisation des forces de défenses et de sécurité (FDS) par une publication sur sa page Facebook. La 2e infraction, c’est d’avoir proposé aux FDS de former un complot contre la sûreté de l’Etat. La 3e ; c’est incitation de troubles à l’ordre public

Lors du procès, qui s'est déroulé avec l'assistance d'une dizaine d'avocats, Touré a plaidé non coupable, selon Armand Kinda s'exprimant sur infowakat.net:

Pour l’accusé, son poste en date du 13 juin sur le réseau social facebook n’avait pas pour but de « participer à une entreprise de démoralisation des Forces armées nationales » comme l’estime le procureur du Faso. Selon les explications données par Naïm Touré à la barre, « ce poste a été fait pour informer l’opinion et pour dénoncer l’attitude des autorités (actuelles) qui ont une lenteur administrative », en ce qui concerne le retard constaté dans la procédure d’évacuation du pandore blessé pendant l’opération de démantèlement du réseau de terroristes le 22 mai 2018 à Rayongo où le gendarme François De Salle Ouédraogo y a perdu la vie.

Beaucoup de ses amis sur Facebook, plus de 34 000, et militants pour les droits humains, ont réagi. Der Rodolphe Somd compare ce que l'on écrit sur Facebook à ce qui se dit entre collègues et amis sur la situation de leur pays:

Des zélés en quête de postes de nommination ont induit nos autorités en erreur. Bien au contraire de mettre Naïm en prison, on aurait dû le remercier du fait qu'il desarme consciemment ou inconsciemment toutes entreprises des fds [Forces de sécurité] allant dans ce sens. Bien entendu son poste anticipe voire dejoue tout projet allant dans ce sens en ce qu il éveille un peu plus la vigilence des autorités sur un probable coup de force. Alors libérez ce morpion qui ne constitue aucune menace contre la sureté de l'Etat… Or facebook est un autre cabaret où ce qui s y dit ne devrait pas avoir plus d importance…

En effet, au vu de ce qu'il a écrit et qui a été partagé 525 fois, on a du mal à y déceler les accusations portées contre lui. Le site kelgueka.wordpress.com trouve que de telles accusations devraient provoquer l'hilarité car il faudrait beaucoup plus pour que les militaires entrent en rébellion:

 De telles accusations pour des militaires déjà en rébellion, c’est l’hilarité. Quand aux causes des révoltes ou rébellions dans les armées, au Burkina comme ailleurs, elles sont pareilles pour la majorité des cas. En 2011 , les mutineries avaient été suscitées par l’humaine condition. Blaise Compaore recevant la troupe s’était rendu à l’évidence de la misère de celle-ci. Chez Ouattara en côte d’Ivoire, les révoltes ont eu pour cause essentielle les impayés de soldes.

Récemment au Sahel, les bruits des mécontentements étaient liés à la non tenue d’engagements pris par l’autorité en lien avec les conditions de vie et de travail dans cette mission périlleuse de la lutte anti terroriste. Jusqu’à preuve du contraire, outre la gestion de l’armée et très rarement les manipulations occidentales pour des visées politiques, l’armée ne s’est jamais mise en situation de révolte par le fait de l’opinion publique.

L'arrestation de Naim Touré est survenu à quelques jours de la tenue dans la capitale burkinabé du deuxième sommet de la Ligue africaine des blogueurs et cyber-activistes pour la démocratie (Africtivistes), les 22 et 23 juin 2018.
Dans son allocution d'ouverture, Cheikh Fall, coordonnateur d’Africtivistes après avoir expliqué le choix de Ouagadougou pour abriter le deuxième sommet, 3 ans après la première édition qui avait eu lieu à Dakar, n'a pas manqué d'évoquer le cas de Naim Touré:

Pour lui le choix de Ouagadougou se justifie par le rôle que les activistes ont joué dans les différentes crises socio politiques notamment la résistance au putsch de septembre 2015. Puis il s’est attardé sur la situation difficile que vivent les activistes sur le continent africain. Pour lui, pression, exil, prison vont partie des difficultés auxquelles les activistes africains sont confrontés.

C’est pourquoi il a souhaité que le chef de l’Etat soit le porte-parole auprès de ses pairs. « Cette tribune est pour nous, Monsieur le Président, une occasion pour vous demander au nom de tous les Africtivistes, d’être notre porte-parole auprès de vos pairs pour une clémence pour toutes ces personnes notamment Naim Touré du Burkina Faso » a indiqué le célèbre activiste sénégalais.

Luandino Vieira trouve que ça fait désordre d'arrêter une des icônes burkinabé du cyber activisme, justement au moment où des activistes venus de tout le continent convergeaient vers Ougadougou:

Alors que dans deux jours on va réunir la crème des cyberactivistes africains, avec l’onction du gouvernement burkinabé, ça fait désordre d’arrêter une des icônes du cyberactivisme burkinabè. Naïm, n’a jamais été pris à défaut sur les informations qu’il a livrées. Que lui reproche-t-on donc de dire les choses avec un certain ton. On veut le domestiquer. Or, du peu que je sais de lui, c’est peine perdue. Les autorités burkinabè devraient plutôt le considérer comme un allié et en tant que lanceur d’alerte le protéger au lieu de chercher à le museler. Libérer Naïm Touré !

Il a suscité beaucoup de soutien de la part de la société civile. Safiatou F. LOPEZ ZONGO, Présidente Cadre de concertation national des organisations de la société civile, rappelle que la liberté d'expression est un droit constitutionnel

Je viens d’apprendre l’arrestation du cyber-activiste NAÏM TOURÉ et sincèrement, je suis dépassée, le pouvoir creuse sa tombe chaque jour un peu plus et c’est désolant. La liberté d’expression est un droit Constitutionnel dans notre pays, chers Mogho puissants du moment, libérez le petit NAÏM TOURÉ. C’est tout simplement un abus de pouvoir et tôt ou tard le pouvoir sera entre les mains d’autres personnes et ça risque d’être compliqué pour certains d’entre vous. …

Alors, si consciencieusement vous savez que le peuple est déçu, il n’y a qu’une seule chose à faire, changez votre fusil d’épaule, au lieu de la chasse aux sorcières, travailler à gagner du crédit auprès du peuple qui vous a fait confiance…

Paz Hien se rappelle ce que Naïm Touré lui aurait confié un jour:

Un jour, Naïm Touré m'a dit ceci : “les gens me guettent. Certains mêmes me l'ont dit ouvertement qu'à la première occasion ils vont me mâter. Mais ça ne m'inquiète pas. Plus ils me menacent, plus je suis engagé. Et s'il arrivait que je meurs un jour, svp ne trahissez pas la lutte. Souvent certains pensent que je suis contre eux, et finalement ils se rendent compte que c'est pour eux que je me suis battu car moi je n'y gagne rien directement. Nous avons un devoir d'honnêteté mon frère”.

Ces propos sonnent en moi depuis hier!
LIBEREZ NAÏM TOURE.

C'est la troisième fois que Naim Touré comparait devant les juges pour des publications sur sa page Facebook. En 2016, toujours pour avoir cherché à attirer l'attention des pouvoirs publics sur le cas d'un autre militaire blessé, l’adjudant-chef Moussa Nébié dit Rambo, et en 2017, pour “diffamations et injures publiques” à l'endroit du conseiller du président de l’Assemblée nationale d’alors, Elisée Antoine Zong Naba.

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