Une caution de 6 000 euros est tout ce qui sépare de la liberté les participants de “La Manada (la Meute)”, le groupe protagoniste d'un viol collectif pendant les fêtes de la Saint Firmin de 2016. L'Audience (tribunal) de Pampelune a décidé, par deux voix contre une, d'accorder la liberté provisoire aux accusés en attendant un jugement sur l'incrimination proposée par la défense des mis en cause.
Les jeunes hommes ─dont le sobriquet provient du groupe Whatsapp sur lequel ils diffusaient leurs “prouesses” sexuelles─ ont passé presque deux ans en détention préventive, et en l'absence de condamnation ferme, c'est la durée limite de privation de liberté, bien que ce délai puisse être prolongé dans la pratique, et toujours si le tribunal en décide ainsi. L'un des deux magistrats qui se sont prononcés en faveur de la remise en liberté de la Meute est le juge Ricardo González, qui a émis un vote particulier polémique en ce qu'il exonère les défendeurs d'un quelconque délit contre le consentement sexuel, et constate dans la vidéo des faits une expression “détendue et distanciée” sur le visage de la victime s'ajoutant à “une désinhibition totale et des actes sexuels explicites tous dans une ambiance festive de bamboche”. L'autre vote en faveur de la décision émane de la seule femme du tribunal, la juge Raquel Fernandino, tandis que le président, José Cobo, était un ferme partisan de la prorogation de l'emprisonnement.
Une affaire riche en polémiques
Après le scandale qu'avait provoqué le verdict en première instance ─considéré comme trop clément par une bonne partie de la société espagnole, puisque les juges avaient vu des indices non de viol, mais d’ “agression sexuelle”─ la liberté provisoire accordée aux membres de la Meute a fait l'effet d'une douche froide. L'audience de Navarre a considéré que la perte de l'anonymat et le faible pouvoir d'achat des violeurs présumés compliquaient leur fuite ou leur récidive, outre l'éloignement de leur lieu de résidence d'avec celui de la victime. La journaliste Laura Duarte traduit sur Twitter :
Como ya conocemos las caras de los cinco de #LaManada debemos estar sobre aviso. O sea, que caminemos atentas. Esta es la conclusión que se extrae del auto de la Audiencia de Navarra, que entiende que la pérdida de anonimato evita que reincidan. Terrible. https://t.co/RqyHCJJmjP
— Laura Duarte (@lau_duart) 22 de junio de 2018
Les visages des cinq de la Meute sont connus, nous devons donc être sur nos gardes. Autrement dit, faire attention en marchant. Voilà la conclusion qui émane du jugement de l'Audience de Navarre, qui laisse entendre que la perte de l'anonymat évite qu'ils recommencent. Terrible.
L'avocat défenseur du groupe a attribué à “la solidarité entre les familles” le paiement en peu de temps de la caution. Il a aussi critiqué la mobilisation sociale qu'a provoquée cet incident, affirmant que “toutes ces manifestations hystériques montées par un parti sont injustifieés et injustifiables”.
Sur les réseaux sociaux, les avis sont généralement très critiques de la décision judiciaire. Miguel Urbán, eurodéputé Podemos, a twitté :
El tribunal que estimó que no hubo agresión valora ahora que no hay riesgo de fuga o de reiteración delictiva. El movimiento feminista ha demostrado estar varios pasos por delante de la sociedad; la #JusticiaPatriarcal aún está varios kilómetros por detrás https://t.co/iUA3isTZhT
— Miguel Urbán Crespo (@MiguelUrban) 21 de junio de 2018
Le tribunal qui a estimé qu'il n'y a pas eu agression considère maintenant qu'il n'y a pas de risque de fuite ou de récidive. Le mouvement féministe montre qu'il est plusieurs pas en avant de la société ; la justice patriarcale est encore plusieurs kilomètres derrière.
Le scénariste Sergio Santesteban doute de l'impartialité du tribunal :
He perdido la cuenta. Después de la decisión de los tres magistrados de la Audiencia de Navarra, ¿cuántos miembros tiene ya “La manada”?
— Sergio V.Santesteban (@Sergio_VSantes) 21 de junio de 2018
J'ai perdu le compte. Après la décision des trois magistrats de l'Audience de Navarre, combien de membres a “La Meute” ?
Les dangers d'une banalisation de la violence
Pour beaucoup, les circonstances et le dénouement du jugement ont des conséquences qui dépassent l’affaire. Diverses personnes sont allées sur le réseau social Twitter pour signaler les risques de mésestimer la violence et de l'impact social de laisser la Meute en liberté. Il suffit de se rappeler que parmi les chefs d'accusation, il y a le viol en réunion, le vol du téléphone de la victime et la publication des agissements par une vidéo sur les réseaux sociaux.
De plus, quatre des membres du groupe sont en instance de procès pour une autre agression sexuelle commise peu avant l'incident de Pampelune, dans laquelle ils auraient drogué une jeune fille et abusé d'elle à Pozoblanco (Córdoba), avant de l'abandonner sur l'autoroute.
No todos los hombres son violadores, pero con que hayamos dejado en libertad a cinco que sí que lo son todas las mujeres nos hemos convertido en posibles víctimas.
Nadie debería mantenerse en silencio ahora. El silencio, por lo que se ve, no condena.
Así que gritemos.#LaManada— Clara D. (@Watoreon) 21 de junio de 2018
Tous les hommes ne sont pas des violeurs, mais maintenant qu'on en a laissé en liberté cinq qui le sont, toutes les femmes se sont transformées en victimes possibles.
Personne ne devrait garder le silence à présent. Le silence, comme on le voit, nous condamne.
Alors crions.
La Audiencia de Navarra se pone firme y obligará a los miembros de la manada a jurar por el niño Jesús que se van a portar bien mientras estén en la calle.
— Anacleto Panceto (@Xuxipc) 21 de junio de 2018
L'Audience de Navarre opte pour la fermeté et oblige les membres de la meute à jurer sur l'enfant Jésus qu'ils se tiendront bien dans la rue.
A los de la Manada los reciben con vítores, otros chicos los quieren imitar, otros tantos hacen bromas sobre hacerlo. Lo vemos y somos conscientes de que no estáis en nuestro bando pero se os olvida que nosotras cada día somos más. #EsUnaGuerra
— Tartaruga.? (@NoPennywise) 22 de junio de 2018
Les types de la Meute ont été reçus en vainqueurs, les autres garçons veulent les imiter, d'autres encore font des blagues sur les viols. Nous le voyons et sommes conscientes que vous n'êtes pas de nôtre côté mais on oublie que nous sommes chaque jour plus nombreuses.
Pourtant quelques-uns se sont réjouis de la décision judiciaire, comme la rédaction d'Innisfree :
Hemos estado esperando este día mucho tiempo.
Feminazis, ¡que os jodan!#LaManada está en libertad porque las contradicciones y mentiras de la denunciante repugnan a cualquiera que haya leído la sentencia. Ni delito ni abuso sexual, habrá absolución en el Tribunal Supremo.— Editorial Innisfree (@Edinnisfree) June 21, 2018
Nous avons attendu longtemps ce jour.
Féminazies, allez vous faire f… ! La Meute est en liberté parce que les contradictions et mensonges de la plaignante répugnent à quiconque a lu le jugement. Ni délit ni abus sexuel, il y aura absolution au Tribunal Suprême.
Ou encore l'utilisateur Juanote, qui dans son commentaire sur El Confidencial recourt à tous les thèmes antiféministes :
Espero que esta sea la primera victoria frente al totalitarismo feminazzi. Espero que sea la primera y no la última. Tengo miedo de la sociedad que quiere imponer el feminazzismo. Están demostrando todas las características que demostró el nazzismo en su ascenso al poder.
J'espère que ceci sera la première victoire contre le totalitarisme féminazi. J'espère que ce sera la première et non la dernière. Une société qui veut imposer le féminazisme me fait peur. Toutes les caractéristiques sont là qu'a montrées le nazisme dans son ascension vers le pouvoir.
A l'inverse, tous les partis politiques ont critiqué la décision du tribunal, même s'ils la respectent et s'y conforment. La porte-parole du PSOE à la commission parlementaire de l'égalité, Ángeles Álvarez, a averti que la décision est cause que la population se sent “ignorée par la justice”, et la ministre de la Justice, Dolores Delgado, s’est engagée à étudier la situation pour “donner une réponse à la société, car elle la réclame”.
A peu de jours du début des fêtes de Saint Firmin 2018 à Pampelune, la décision du tribunal local n'est pas la meilleure publicité pour cet événement populaire.
Los miembros de la manada salen de la cárcel unos días antes de San Fermín. No quiero ni pensar cómo se sentirá la víctima.
No estamos seguras.#JusticiaPatriarcal— Cenicienta sin prisa (@Rockmantica) 21 de junio de 2018
Les membres de la meute sortent de prison quelques jours avant la Saint Firmin. Je ne veux pas penser à ce que ressentira la victime.
Nous ne sommes pas en sécurité.