A la veille des élections au Mali, une évaluation mitigée du 1er mandat du président Ibrahim Boubacar Keïta

Le président de la république malienne, Ibrahim Boubacar Keïta au Parlement européen de Strasbourg par © Claude Truong-Ngoc / Wikimedia Commons

[Cet article a été écrit par Alfa Sissoko, auteur invité. L'article a ensuite été édité par Global Voices pour ajout de précisions et de contexte]

A moins d’un mois du premier tour de l’élection présidentielle malienne, le bilan d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) est au centre de toutes les attentions. De l’aveu général, le président sortant serait loin d’avoir tenu ses promesses de réconciliation avec le nord du Mali et d’éradication de la corruption.

« Une fois élu, corruption : tolérance zéro. Nul ne sera au-dessus de la loi ». Prononcée lors de la dernière campagne présidentielle de 2013, cette déclaration d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) joue aujourd’hui en sa défaveur à l’approche du scrutin du 29 juillet 2018, qui devrait désigner les deux candidats restant en lice pour le deuxième tour des élections. Car depuis son élection à la tête du Mali, IBK fait face à une pluie d’accusations de détournement de l’argent public, qui entachent aujourd’hui son bilan quinquennal. Et pour cause, en cinq ans de mandat, le chef de l’État malien a été mis en cause dans moultes affaires de sommes d’argent dilapidées ou disparues, de surfacturations de marchés publics et autres conflits d’intérêts.

Dès 2014, le Fonds monétaire international (FMI) a demandé des comptes à l’ancienne ministre de l’Economie et des Finances, Bouaré Fily Sissoko, suite à l’achat d’un avion présidentiel à 30 millions d’euros et la signature d’un contrat d’équipements passé par le ministère de la Défense pour un montant de 105 millions d’euros. Ils n’avaient, en effet, pas fait l’objet d’appels d’offres. Soupçonnant un délit de surfacturation, l’institution internationale a suspendu le versement de l’aide financière au Mali pendant plusieurs mois. Parmi les autres scandales de dépense publique suspecte qui ont marqué le quinquennat d’IBK – tels que l’achat d’engrais frelatés, de tracteurs au prix exorbitant ou l’attribution de logements à des personnes non-éligibles –, plusieurs anciens et actuels membres du gouvernement – dont le Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga – doivent encore répondre à la disparition de 153 milliards de FCFA (230 millions d’euros) du budget de l’État entre 2013 et 2014, ainsi qu’à la dilapidation de plus de 28 milliards de FCFA (40 millions d’euros) dans l’achat d’un aéronef et d’équipements militaires. Une plainte a été déposée ce 18 mai par le BIPREM (Bloc d’intervention populaire et pacifique pour la réunification entière du Mali).

Le gouvernement [a été] obligé de se séparer de ses ministres, […] mais il n’y a pas eu de sanction puisque tous ceux-ci ont été rétablis dans leurs fonctions,

déplore Soumaïla Cissé, président de l’URD (Union pour la république et la démocratie) et candidat désigné par la principale coalition d’opposition à l’élection présidentielle. Certains se sont retrouvés à des postes encore plus prestigieux, deux se sont retrouvés à l’international. En fin de compte, on les a fait sortir par une porte et ils sont rentrés par une autre porte. » Le finaliste malheureux des suffrages de 2002 et 2013 n’est pas le seul à dénoncer les largesses financières d’IBK au détriment de son peuple. Comme lui, l’autre opposant malien Tiébilé Dramé accuse le chef de l’État d’avoir dilapidé les ressources budgétaires publiques dans des achats de matériels pour l’armée, qui n’ont cependant pas permis de diminuer les violences djihadistes dans le nord du pays.

Échec de la lutte anti-djihadiste 

D’importants moyens auraient été acquis pour mettre nos forces en état d’accomplir leur mission. […] Malheureusement pour les Maliens, plus le président et ses ministres parlent de nouvelles acquisitions de moyens de défense, plus l’insécurité augmente. Les Maliens ont le droit de s’interroger sur la vraie destination des centaines de milliards votés par l’Assemblée nationale pour mettre l’armée dans les conditions [de faire face à la menace djihadiste].

souligne l’ancien ministre Tiébilé Dramé et actuel président de PARENA (Parti pour la renaissance nationale), en référence aux 1 230 milliards de FCFA (1,875 milliard d’euros) alloués par la loi quinquennale de programmation militaire adoptée en 2015. Et Tiébilé Dramé de rappeler d’autres achats douteux de l’État malien : celui de six avions de combat à une entreprise brésilienne, qui n’en aurait livré que quatre ; et de deux hélicoptères, dont un payé en espèces.  Des accusations d’autant plus alarmantes qu’IBK entretient depuis longtemps des liens très proches avec le troublant homme d’affaires français Michel Tomi, qualifié d’« empereur de la Françafrique » par le journaliste Frédéric Ploquin. Celui que « les plus hautes autorités de l’État » appellent « patron », et qui fait l’objet de plusieurs enquêtes policières, aurait joué le rôle d’intermédiaire dans plusieurs contrats passés avec le Mali. Les rapports « fraternel » d’IBK avec Michel Tomi ajoutent encore davantage à l’opacité de l’action du président malien, alors que ses administrés continuent de craindre pour leur sécurité, faute d’avoir réussi à rétablir totalement le contrôle du territoire. Malgré l’intervention de la France en janvier 2013 et la signature d’un accord de paix en juin 2015, des zones entières sont encore sous le joug des terroristes dans le nord du pays.

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