“Libéral, pluraliste, démocratique, pacifique, libre, juste et non-violent”. Ce sont les mots utilisés par un bureau de presse cambodgien affilié à l'État pour décrire la manière dont le gouvernement mènera les élections générales prévues pour le 29 juillet 2018. La campagne commence le 7 juillet.
Une vidéo produite par l'Unité de presse et de réaction rapide du bureau du Conseil des Ministres s'est même vantée que la prochaine élection “pourrait être considérée comme l'une des meilleures élections (sic) de l'histoire du Cambodge”.
La vidéo visait probablement à répondre aux critiques des groupes de la société civile locale et mondiale concernant la détérioration de la démocratie au Cambodge. Le Parti du peuple cambodgien est au pouvoir depuis 33 ans sous la direction du Premier ministre Hun Sen, considéré comme le plus ancien chef d’État de l'Asie du Sud-Est.
La vidéo suggère que, contrairement à ce que les critiques ont dit dans les forums internationaux, l'élection est ouverte à tous les candidats. Elle inclut même un discours de Hun Sen demandant aux fonctionnaires d'assister tous les partis politiques enregistrés durant la période de la campagne.
Mais le mot clé est “enregistré”. En effet, il est vrai que les partis enregistrés sont libres de participer aux élections.
Mais le principal parti d'opposition du pays, le Cambodia National Rescue Party (CNRP), a été dissous par la Cour suprême en novembre 2017, après que Hun Sen l'a accusé d'avoir conspiré avec des pays étrangers pour renverser son gouvernement. Les principaux dirigeants du CNRP soit ont fui le pays, soit sont actuellement détenus, ses députés démis de leurs fonctions et empêchés de se présenter à des élections pendant cinq ans.
La vidéo affirme même que le Cambodge offre une leçon aux autres pays sur la manière de promouvoir le pluralisme, soulignant le fait qu'en 2013 [fr], il n'y avait que huit partis en lice pour les élections générales. Le gouvernement a enregistré 20 partis politiques aujourd'hui.
La vidéo souligne également la présence d'observateurs internationaux qui peuvent se rendre dans les bureaux de vote sans aucune restriction. Le gouvernement a indiqué que 50 000 observateurs avaient été invités et que 300 journalistes de 35 médias avaient été accrédités pour l'élection de cette année.
Mais la vidéo ne mentionne pas qu'en mai 2018, le gouvernement a publié un code de conduite pour les observateurs électoraux qui, selon les médias, restreindrait le travail des journalistes. Le code de conduite interdit aux journalistes d'exprimer des “opinions personnelles ou des préjugés” ou de mener des entretiens non autorisés dans les bureaux de vote. Le code criminalise également la diffusion de nouvelles susceptibles de causer “confusion et perte de confiance” lors des élections.
En réponse à ce code de conduite, la Fédération internationale des journalistes a déclaré : “Ces dernières directives ont privé les Cambodgiens de toute possibilité d'information vitale pour prendre des décisions politiques éclairées.”
Dans une autre partie de la vidéo, l'élection est présentée comme un événement pacifique “libre de toute querelle rhétorique”.
La vidéo ne mentionne pas le prakas (décret) interministériel publié le 28 mai 2018, qui a étendu le contrôle sur le web et les médias sociaux dans le pays. La nouvelle directive impose à plusieurs agences gouvernementales de bloquer les sites Web dont le contenu est considéré comme “incitation, rupture de la solidarité, discrimination et création délibérée de troubles qui menacent la sécurité nationale, l'intérêt public et l'ordre social”.
Plus de 116 groupes de la société civile basés au Cambodge ont signé une déclaration critiquant les prakas, arguant qu'ils “menacent le droit à la vie privée et la liberté d'expression de tous les utilisateurs d'Internet et des médias sociaux au Cambodge en restreignant davantage l'espace, déjà limité, pour le débat public après des mois d'atteintes aux libertés des médias.” La déclaration poursuit :
L'ordre peut être utilisé pour étouffer toutes les formes de discussion publique au Cambodge. Pratiquement toute opinion jugée inacceptable par les autorités pourrait tomber sous des critères vagues et radicaux tels que “rupture de la solidarité” ou “atteinte à l'ordre social”.
En plus d'attaquer l'opposition, le gouvernement de Hun Sen a également été accusé de saper la liberté d'expression après avoir ordonné le dépôt d'accusations d'évasion fiscale contre des stations de radio locales et des journaux qui critiquaient le parti au pouvoir.
Ces accusations ont déclenché la disparition des deux seuls journaux indépendants du pays – The Phnom Pehn Post et The Cambodia Daily. Après avoir reçu des avis d'impôt rédhibitoires, le Daily a cessé ses activités en septembre 2017, tandis que le propriétaire du Post a vendu le journal [fr] à une société de relations publiques qui a travaillé pour le compte du gouvernement.
Curieusement, la vidéo souligne également que “la participation électorale n'est pas un facteur déterminant dans le processus de démocratisation”. Elle cite même le faible taux de participation électorale dans des pays comme les États-Unis et la France. Ces éléments ont peut-être été inclus à la lumière du fait que le CNRP exhorte ses partisans et le public à boycotter les élections.
S'exprimant devant les Nations Unies à la fin du mois de juin 2018, la Commission internationale des juristes a résumé la critique des groupes de défense des droits de l'homme sur le déclin de la démocratie au Cambodge :
Les autorités continuent d'utiliser le système judiciaire pour réprimer la société civile, les médias indépendants, l'opposition politique et, de plus en plus, les individus.
Le gouvernement a menacé de poursuivre toute personne qui appelle au boycott des élections déjà hautement compromises. Il a mis en place un groupe de travail pour surveiller et contrôler toutes les informations sur les sites Web ainsi que les médias sociaux. Des personnes ordinaires sont arrêtées, inculpées et détenues en vertu d'une nouvelle loi sur la lèse-majesté.
Ci-dessous la vidéo complète de l'Unité de presse et de réaction rapide du bureau du Conseil des Ministres :