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Le Nigeria lance une nouvelle compagnie aérienne nationale… mais va-t-elle décoller ?

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, Nigéria, Economie et entreprises, Gouvernance, Médias citoyens, Voyages

Le logo de Nigeria Air, la nouvelle compagnie aérienne nationale du Nigeria qui a été lancée au milieu de critiques et controverses.

Le gouvernement fédéral du Nigeria s'est lancé dans une nouvelle compagnie aérienne nationale, Nigeria Air, apparemment pas découragé par une histoire d'exploitation des transporteurs nationaux faite d'échecs.

De nombreux Nigérians, y compris des syndicats de l'aviation actifs issus de compagnies aériennes aujourd'hui défuntes, sont sceptiques. En fait, les employés de la compagnie aérienne pionnière du pays, Nigerian Airways, exigent toujours des indemnités de départ depuis la disparition de la compagnie en 2003.

Lancement du premier vol international de Nigeria Airways en 1958. La dame sur la photo, Miss Christie Iugete, fut la première hôtesse de l'air nigériane. Parmi les autres sur cette photo : SL Akintola, TOS Benson, Udo Udoma, et O. Fadahunsi, président de Nigeria Airways. Crédit : TOS.

En 2004, Virgin Airways de Richard Branson a entrepris une participation avec le gouvernement nigérian et a lancé Air Nigeria [fr] [3]. Cependant, Virgin s'est retiré de l'entreprise en 2010. En septembre 2012, Air Nigeria a cessé ses activités [4] :

Je suis assez vieux pour me souvenir de la première compagnie aérienne privée opérant au niveau national au Nigeria.

Elle a cessé ses activités après que le gouvernement a envoyé “des poids lourds pour détruire notre salon avec des masses… le comportement des autorités était similaire à celle des mafieux aux États-Unis dans les années 30.” [Richard Branson, 2008]

Les raisons derrière les tentatives infructueuses de réanimation de Nigerian Airways n'ont jamais été dévoilées, mais beaucoup en attribuent la responsabilité à une direction inepte. En 2013, l'homme d'affaires nigérian Pascal Dozie avait déclaré [7] que Nigerian Airways avait échoué faute de “bonne gestion”. De plus, faire des affaires avec le gouvernement nigérian est toxique en raison [8] d'un “environnement peu propice, des politiques hostiles et une fiscalité abusive”.

En 2017, le président Buhari s'était opposé au lancement d'une nouvelle compagnie aérienne parce que “les Nigérians ont besoin de savoir comment nous avons perdu celle que nous avions [9]“, se référant à Nigerian Airways. Ses remarques ont soulevé de sérieuses inquiétudes sur le fait que sa raison d'aller de l'avant avec le lancement d'une nouvelle compagnie peut être une façon de gagner un avantage politique en vue des élections présidentielles de 2019.

Hadi Sirika, le ministre de l'Aviation du Nigeria, a tenté d'atténuer la méfiance en disant que Nigeria Air fonctionnerait selon un modèle de partenariat public-privé [10] :

This airline is a business and not a social service. It is not intended to kill any airline in Nigeria but complement it and promote it. It must be done in the right way so that it will be here to stay. Government will not hold shares beyond five per cent at the topmost. This airline has the backing of the government. Government will come up with funding according to the business case that has been delivered to the government.

Cette compagnie aérienne est une entreprise et non un service social. Elle n'est pas destinée à tuer une compagnie aérienne au Nigeria mais à la compléter et à la promouvoir. Cela doit être fait de la bonne façon pour qu'elle soit là pour rester. Le gouvernement ne détiendra pas d'actions au-delà de cinq pour cent tout au plus. Cette compagnie aérienne a l'appui du gouvernement. Le gouvernement fournira des fonds en fonction de l'analyse de rentabilisation qui a été présentée au gouvernement.

Mais les syndicats ont averti le gouvernement qu'ils pourraient tronquer la nouvelle compagnie aérienne nationale si leurs demandes n'étaient pas satisfaites.

En avril 2018, les syndicats de l'aviation affirmaient que le gouvernement fédéral devait 45 milliards [11] de nairas nigérians (environ 125 millions d'euros) aux ex-employés de l'ancienne Nigerian Airways. Les deux principaux syndicats du secteur ont [11]organisé une grève [11] le 19 mars, donnant au gouvernement un ultimatum de 14 jours pour le paiement : elle a plus tard été annulée suite à l'assurance du ministre Sirika que le paiement avait été garanti et qu'il devait seulement être approuvé par le parlement.

Dans une interview à l'Independent [12], le camarade Olayinka Abioye, secrétaire général du Syndicat national des employés des transports aériens (NUATE), a donné un avertissement sévère à propos de la nouvelle compagnie :

We are not concerned about this new national carrier even though it is our baby with supposed benefits to the country. We are much more concerned about the families of the defunct national carrier, Nigerian Airways, some of whom have died. We are much more concerned about those who are living and managing to live and we are calling on this minister and government to speed up action in whatever capacity they can to ensure that Mrs. Kemi Adeosun, the Minister of Finance, make releases and pay our people. Enough is enough.

The unions may truncate the process of the new national carrier; you can take that from me. There are so many fundamental issues begging for answers in some of these things. The national carrier that we are advocating for is not what they are planning now. We said private sector-driven national carrier, what is the problem with this government? The same government that said it didn’t have money to revamp our comatose airports is now spending $308 million as take-off grant for the airline. The same government wants to bring in six new aircraft from God-knows-where. Where then is the intervention of the private sector in all these? At what point is private sector going to be involved? These are issues that should be tackled. Then, how do you want to unveil a national carrier and take it overseas, leaving Nigeria behind. Those politicking are too much and we are not interested.

Nous ne sommes pas préoccupés par cette nouvelle compagnie aérienne nationale, même si c'est notre bébé avec des avantages supposés pour le pays. Nous sommes beaucoup plus préoccupés par les familles du défunt transporteur national, Nigerian Airways, dont certains sont décédés. Nous sommes beaucoup plus préoccupés pour ceux qui vivent et survivent et nous demandons à ce ministre ainsi qu'au gouvernement d'accélérer les choses, de quelque façon que ce soit, pour que Mme Kemi Adeosun, ministre des Finances, libère les fonds et paie nos membres. Trop c'est trop.

Les syndicats peuvent interrompre le processus de création du nouveau transporteur national, vous pouvez me croire. Il y a tellement de questions fondamentales qui demandent des réponses dans ce processus. La compagnie nationale que nous préconisons n'est pas ce qu'ils prévoient aujourd'hui. Nous avons dit un transporteur national basé sur le secteur privé, quel est le problème avec ce gouvernement ? Le même gouvernement qui a dit ne pas avoir d'argent pour réorganiser nos aéroports comateux dépense maintenant 264 millions d'euros pour subventionner la création de cette compagnie aérienne. Le même gouvernement veut faire venir six nouveaux avions de Dieu sait où. Où est alors l'intervention du secteur privé dans tous ces domaines ? À quel moment le secteur privé sera-t-il impliqué ? Ce sont des questions qui devraient être abordées. Ensuite, comment voulez-vous créer une compagnie aérienne nationale et la baser à l'étranger, laissant le Nigeria de côté. Les aspects politiques sont trop nombreux et nous ne sommes pas intéressés.

Les internautes nigérians débattent de la viabilité de Nigeria Air

Les sceptiques quant au tout nouveau Nigeria Air ont partagé leurs doutes sur Twitter, alors que les fans ont vu cela comme une chance de se vanter en ligne de leur fierté nationale :

Dans notre hâte de condamner tout ce qui est “détenu par le gouvernement”, nous sous-estimons l'effet inspirant de voir quelque chose portant les couleurs du Nigeria voler dans les airs et une affaire avec le nom Nigeria qui fonctionne bien. Rien que pour ces raisons, je suis un fan de Nigeria Air.

Dr. Joe Abah exhorte les Nigérians à être plus “positifs” à propos de la nouvelle compagnie aérienne :

La négativité est si facile. Tout ce que vous devez continuer à dire est : “Ça ne marchera pas”. Vous n'avez rien à perdre. Si cela ne fonctionne pas, vous pouvez dire “Je vous l'avais bien dit!” Si cela fonctionne, vous pouvez dire “Je n'étais inquiet que sur la base de l'expérience passée.” Cela convient aux intellectuellement paresseux. Pas besoin de lutter ou de penser.

Cependant, beaucoup de Nigérians n'acceptent pas la rhétorique de positivité et de fierté nationale au sujet de Nigéria Air. L'ancien vice-président de la Banque mondiale, Dr. Oby Ezekwesili, a parlé de la nécessité d'améliorer les politiques et les cadres réglementaires en plus des problèmes d'infrastructure :

Le secteur de l'aviation M'ATTRISTE beaucoup. C'est un secteur qui, avec un bon cadre réglementaire et politique, complété par des normes de sécurité de qualité et une infrastructure de sécurité, va SÛREMENT attirer des capitaux.
Mais NON. Les amateurs d'un système étatique veulent nous donner une “compagnie aérienne nationale”.

Certains se réfèrent au succès [18] de la privatisation des télécommunications, lorsque le gouvernement a totalement déréglementé l'industrie en 1999, comme un exemple de ce qui est possible pour l'aviation nigériane.

Le journaliste Nicholas Ibekwe a répliqué que les Nigérians ne sont pas négatifs mais ont besoin de preuves solides pour soutenir la viabilité de la nouvelle compagnie :

Personne ne veut qu'elle échoue. Nous vous demandons simplement de ne pas mettre la charrue avant les boeufs; pour montrer votre travail, pas de wuruwuru comme réponse. Montrez-nous les investisseurs. Voyons l'accord signé.
Autoriseriez-vous le propriétaire d'une participation de 5% dans une entreprise dont vous possédez 95% à mener les négociations?

L'utilisateur de Twitter “AndyRoidO” affirme qu'il n'y a “aucune base pour l'optimisme” à propos d'un transporteur national parce que “nous avons essayé et échoué plusieurs fois.”

Ce que vous Nigérians avez besoin d'apprendre, c'est que le gouvernement nigérian en tant qu'institution, quel que soit son parti, a gagné notre scepticisme. Notre histoire  depuis l'indépendance est une longue chaîne de mauvaise politique l'une après l'autre. Il n'y a aucune raison d'être optimiste quant à un transporteur national.

Premier Tweet : Et cette administration en particulier est pire que d'autres, et a accompli bien moins qu'aucune autre pour mériter votre confiance quand elle entreprend quelque chose de nouveau.

Second Tweet : Et un transporteur national est quelque chose que nous avons essayé de faire et échoué à plusieurs reprises. Alors, sur quelle base fondez-vous votre espoir qu'une administration qui a échoué plus que d'autres réussira dans une entreprise où les autres ont échoué ? Vous ont-ils maudits pour accueillir votre propre pauvreté ?

Premier Tweet : Votre ministre de l'Aviation a déjà démontré qu'il ne sait pas que le marketing et l'achat/location d'avions sont des décisions OPÉRATIONNELLES qui relèvent du partenaire. Attendez-vous à plus de conflits sur l'interférence du gouvernement au fur et à mesure. Frères, ouvrons nos bouches et PRIONS que Dieu l'arrête !

Second Tweet : Dans un pays sain d'esprit, le gouvernement reconnaîtrait le cimetière des transporteurs nationaux ratés et les tentatives avortées, identifierait pour nous ce qui a causé ces échecs, et nous dirait pourquoi ce sera différent cette fois, avec des détails concrets sur les étapes améliorées. Mais vous, les Nigérians, donnez votre soutien à bon marché.